Voyage au cœur de la vie monastique de l’abbaye de Fontgombault<!-- --> | Atlantico.fr
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Abbaye de Fontgombault Le grand bonheur vie de moines Nicolas Diat
Abbaye de Fontgombault Le grand bonheur vie de moines Nicolas Diat
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Bonnes feuilles

Nicolas Diat publie « Le Grand bonheur, vie des moines » aux éditions Fayard. Ce livre est une invitation à la joie, une invitation à nous faire découvrir la vie des moines pour nous aider à comprendre la paix qui les habite. Ces existences confinées, que l’on pourrait imaginer monotones, sont en réalité extraordinairement riches. Extrait 1/2.

Nicolas Diat

Nicolas Diat

Nicolas Diat est considéré comme un des meilleurs spécialistes du Vatican. 
 
"Un temps pour mourir" de Nicolas Diat
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La route s’enroule en lacets qui épousent le lit de la rivière noire. En arrivant de Châtellerault, ville sans pittoresque, le paysage change après Tournon-Saint-Martin. Les vastes étendues monotones cèdent le pas aux forêts, aux étangs, aux enclos des anciennes métairies. Ce paisible dimanche de juin 2019, je venais voir ceux qu’on appelait autrefois les moines noirs.

L’abbaye bénédictine est à l’avant-poste du bourg ; le promeneur découvre bouche bée les hauts murs d’enceinte, le clocher massif, la longue abbatiale et les vergers qui veillent sur le cimetière.

Je connaissais Fontgombault. L’hiver, le soir tombe vite et le vent joue dans les arbres. Le brouillard flotte longtemps sur les terres.

Pour l’heure, les pâturages, les chemins et les bois avaient le charme des pays de poche. À la radio, on annonçait la canicule. Dans quelques jours, l’église deviendrait le refuge des fidèles qui cherchent Dieu et des estivants qui fuient la chaleur.

Le monastère compte une soixantaine de moines. Ils sont venus de Solesmes en mai 1948 pour relever la vie contemplative. Depuis, Fontgombault a fondé et restauré six autres monastères.

Comment comprendre ces hommes nimbés de mystère ? Les mots pourront-ils exprimer ce qui est d’abord une aventure intérieure ? Ils m’avaient pré‑ venu, sans ménagement : « Votre tâche ne sera pas simple. »

Souvent, j’ai contemplé, fasciné, le départ des moines lors d’un après-midi de promenade. Franchie la porte dérobée du verger, les religieux se perdent dans la campagne. Ils marchent vite, par petits groupes, d’un pas cadencé. Leurs habits noirs de laine fruste, les tuniques traditionnelles des fils de saint Benoît, forment des volumes étranges et impressionnants. Ils avancent, rient, se chamaillent gentiment. Les moines sont heureux. Ces jours exceptionnels, ils se lancent dans de grandes conversations. Car le silence est habituellement une règle d’or.

Les sept offices du jour, et celui des matines, célébré la nuit, sont l’ossature d’un quotidien immuable. Il demeure jusqu’à la mort. La nuit, il faut se lever à quatre heures trente du matin. Matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies se répètent, de jour en jour, de saison en saison.

La belle abbatiale, ce vaisseau de pierre dont le sanctuaire n’a jamais voulu s’effondrer, le réfectoire, avec ses meubles lourds et ses voûtes magnifiques, le bruit de l’eau qui vient se fracasser contre le barrage, jadis un moulin, la belle statue de Notre-Dame du Bien-Mourir, les jardins à perte de vue, ont traversé toutes les vicissitudes de l’histoire. L’unique décor des existences monacales est immobile, étonnamment figé.

Les bénédictins aiment leur monastère. Une vocation est toujours liée à une terre, à une géographie, à une histoire. Je ne peux oublier les mots du père Bernard qui me disait si joliment : « Si on s’absente pour quelques jours, quand nous revenons, l’église apparaît encore plus belle. L’hiver, les murs du sanctuaire sont poudrés d’une poussière dorée. La lumière rasante inonde l’abbatiale. L’été, le soleil est plus haut ; une obscurité mystérieuse recouvre l’édifice. »

Le moine fuit la variété éphémère du monde. Pour lui, le changement est factice, et la monotonie, une méthode. L’ascèse prépare l’âme à la contemplation.

Je voulais savoir si le bonheur est possible dans ces vies d’apparence si corsetées. Ce n’était pas une gageure, plutôt un pari téméraire : la tristesse et la peine ne seraient-elles pas, en effet, l’horizon attendu pour des corps et des intelligences brimés par des carcans venus du fond des âges ? A priori, on peut croire qu’il faut être fou ou déséquilibré pour être moine.

Dans la nuit noire, les pères chargés de réveiller la communauté frappent aux portes des cellules et invitent à la prière en s’exclamant : « Benedicamus Domino !

– Bénissons le Seigneur ! » Le pauvre frère, à peine réveillé, dit : « Deo gratias ! – Rendons grâce à Dieu ! » Le dialogue se poursuit : « Laudetur Jesus Christus ! – Loué soit Jésus-Christ ! », à quoi il est répondu : « Amen ! – Qu’il en soit ainsi ! »

La première parole de la longue journée du moine est une déclaration de foi. De cinq heures du matin à huit heures quarante-cinq, quand prend fin le grand silence de la nuit, le religieux ne parle pas. Il chante les matines, les laudes et prime. Il célèbre ou sert la messe, récite le chapelet. Mais il ne dit mot.

Cette vie peut sembler humainement impossible. Les embûches existent. Elles sont légion. Les moines de Fontgombault respirent pourtant la joie. La lumière de leur regard ne trompe pas. C’est un bonheur simple. Car les contemplatifs ne sont pas des demi-dieux. Ils sont des hommes qui décident d’orienter leurs jours vers Dieu.

Leur programme est un voyage exaltant. Il ne se mesure pas.

Les frères considèrent que la vie monastique peut se diviser en trois temps. Les premières années ont le charme de la jeunesse et de la passion. Puis, au milieu de l’existence, le combat se fait difficile. Les doutes, la fatigue, les larmes ne sont pas rares. Quand le terme approche, les jours passent vite. Le quotidien devient délicieux, et le vieux moine sage se joue de tout. Comme au temps de son noviciat, il se souvient de la phrase de la règle de saint Benoît qui demande à ses fils d’« avoir tous les jours la mort présente devant les yeux ». Ainsi, le bénédictin doit « veiller à toute heure sur les actions de sa vie et tenir pour certain qu’en tout lieu Dieu nous regarde ».

« Tant de mains pour transformer ce monde, si peu de regards pour le contempler », écrit Julien Gracq dans Lettrines. Les moines n’appartiennent pas à ce type d’hommes. Ils sont le fruit d’une alchimie subtile qui transforme le monde par des actions cachées. Ils le regardent en silence. Voilà peut-être le premier secret de leur bonheur : la discrétion.

En entrant dans un monastère, il faut abandonner les critères du monde. Le moine est un homme dépouillé, concentré sur les réalités d’en haut, détaché des affaires terrestres. Sa vie n’est plus la nôtre.

Pour mieux le dépeindre, nous pouvons prendre appui sur le psaume premier :

« Heureux l’homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants,

Qui ne s’arrête pas sur la voie des pécheurs,

Et qui ne s’assied pas en compagnie des moqueurs,

Mais qui trouve son plaisir dans la loi de Yahvé,

Et qui la médite jour et nuit !

Il est comme un arbre planté près d’un courant d’eau,

Qui donne son fruit en sa saison,

Et dont le feuillage ne se flétrit point :

Tout ce qu’il fait lui réussit. »

Le psaume commence par le mot « heureux ». Il pourrait être mal interprété. Ce n’est pas d’un bon‑ heur superficiel qu’il s’agit. Il ne dure pas l’instant d’une passion, d’un sentiment trop vif, d’un enivre‑ ment. Pour autant, redisons-le, les moines sont des hommes. Les peines et les chagrins ne disparaissent pas le jour des prises d’habit ou des professions solennelles. L’image d’Épinal du saint moine ascète, perpétuellement perdu dans les nuages, est loin de la réalité. Un bénédictin peut chuter sur le chemin difficile des routes monastiques. La vision d’une vie cotonneuse, inaccessible, lointaine est trompeuse. La devise du fils de saint Benoît est simple : Ora et labora, « Prie et travaille ».

Le vrai bonheur ne se marchande pas, dans le monde comme dans un monastère. Pas à pas, en remettant son ouvrage sur le métier, le moine cherche le bon, le bien, le juste. La règle de saint Benoît est une quête inlassable de l’équilibre. Équilibre du cœur, équilibre de l’intelligence, équilibre de l’âme. Pour ce faire, le moine fuit le méchant, l’impur, le jouisseur et l’avide. Rien de grandiose. Mais le combat est rude.

La vie monastique gardera toujours son secret ; aimer est une affaire de cœur, cela ne se raconte pas, cela se vit. Le Petit Prince n’a pas tort : on ne voit bien qu’avec le cœur. En tout cas, nous chercherons à suivre la voie des moines, celle du bonheur sage.

Les mots de l’évangéliste Jean sont bien connus : « Sur les bords du Jourdain, Jean le Baptiste se trouve là avec deux de ses disciples, André et Philippe. En regardant Jésus qui marche, il leur dit : “Voici l’Agneau de Dieu.” En entendant cela, les deux disciples suivent Jésus. Il se retourne et leur dit : “Que cherchez-vous ?” Ils lui répondent : “Rabbi, maître, où demeures-tu ?” Il leur dit : “Venez, et voyez.” » (Jn 1, 35‑39).

Venez, et voyez Fontgombault... Oh, il ne se pas‑ sera rien de spectaculaire. Mais nos cœurs se réchaufferont. Une petite grâce mystérieuse soufflera. Nous regarderons la lumière traverser l’abbatiale, les arbres des vergers danser dans le vent, les moines marcher au loin, vers les coteaux. Les notes grégoriennes s’élèveront dans les hauteurs mystiques. Nous serons des enfants subjugués par les processions splendides. Nous resterons silencieux. Et nous verrons le beau, le merveilleux, le doux sourire des moines.

Copyright : Fayard - 2020

Extrait du livre de Nicolas Diat, « Le Grand bonheur, vie des moines », publié aux éditions Fayard

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