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Les employés du groupe japonais de brasseries et de distilleries Suntory assistent à une réunion dans leurs bureaux à Tokyo le 24 février 2017.
Les employés du groupe japonais de brasseries et de distilleries Suntory assistent à une réunion dans leurs bureaux à Tokyo le 24 février 2017.
©Toru YAMANAKA / AFP

"groupthink"

Contrairement aux idées reçues, réfléchir à plusieurs ou recourir à la pensée de groupe ne mène pas toujours à de bonnes prises de décisions.

Dominique Muller

Dominique Muller

Dominique Muller est professeur de Psychologie Sociale à l'Université Grenoble Alpes.

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Altantico : Contrairement à ce que l’on pourrait croire, réfléchir à plusieurs ne nous amène pas forcément à prendre les bonnes décisions. Comment définir le concept psycho-sociologique de « pensée de groupe » (groupthink en anglais) ?

Dominique Muller : Cette notion nous vient du chercheur américain Irving Janis qui dans les années 70 a fait un travail d’analyse des pires décisions politico-militaires de l'histoire. Il s’est notamment penché sur le débarquement de la baie des Cochons sous la présidence de Kennedy en se demandant comment une décision aussi catastrophique avait pu être prise alors qu'on avait réuni les personnalités les plus intelligentes dans une même pièce. C'est ce qui l'a amené à parler de groupthink, c’est-à-dire une pensée de groupe qui provoque une mauvaise prise de décision collective.

Quels sont les mécanismes menant à une mauvaise prise de décision ?

Les chercheurs identifient plusieurs « symptômes ». Parmi eux, il y a l'illusion d'invulnérabilité. Dans le cas de la baie des Cochons, tous ces généraux réunis autour d’une table se sentaient puissants, invulnérables. Le groupe surestime sa force ainsi que sa supériorité, vis-à-vis de l'ennemi en l'occurrence. 

Se développe aussi une croyance en la supériorité morale du groupe. L'impression que « nous » sommes le bien et que les autres sont le mal. Cela amène à ne pas voir toute la complexité de la situation. Comme il se considère comme le bien, le groupe (ou endogroupe) va avoir aussi tendance à coller des stéréotypes au groupe adverse (l’exogroupe). Penser qu'ils sont feignants, moins intelligents ou méchants. C'est aussi une façon de voir les autres tous de la même façon.

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Dans le cadre de la prise de décision, on observe un phénomène de pression à l'uniformité, bien connu en psychologie sociale et notamment étudié par Leon Festinger. C'est le fait que dans une discussion au sein du groupe, s'il y a quelqu'un qui a un point de vue divergent, les autres membres vont avoir tendance à essayer de le ramener dans la position majoritaire. Des études expérimentales montrent des tentatives de communication pour ramener la personne dissidente dans le groupe et si elle ne change pas d'avis, des processus d’exclusion. Cela provoque aussi des phénomènes d'autocensure. Si on a l'impression d'être le seul à penser différemment, on n'ose pas exprimer un point de vue divergent. Tout cela est lié au dernier symptôme qui est l'illusion d'unanimité. Les membres du groupe ont l'impression fausse d'être tous d'accord. Cela renvoie à un autre phénomène de psychologie sociale qui est la projection sociale où l’on projette ce que l'on pense sur les autres.

Où observe-t-on ce phénomène ?

Cela s’observe partout. Janis avait tendance à penser que cela arrivait surtout dans les groupes très cohésifs mais Robert Baron en 2005 a montré que cela se produisait beaucoup plus largement.  On le voit dans les entreprises qui font du brainstorming. Ce n’est pas un exercice si efficace que cela compte tenu des raisons évoquées précédemment. Cela peut avoir des effets positifs sur la cohésion du groupe, mais pas sur la qualité des décisions prises.

Cela dit, un phénomène de pensée de groupe est plus susceptible de se produire dans une situation avec un endogroupe qui fait face à un exogroupe.

Comment s’en prémunir ?

Pour éviter cette illusion d'unanimité, il faut encourager l'expression des désaccords. Une technique pourrait être d'attribuer le rôle d'avocat du diable à un membre du groupe. La chercheuse Charlan Nemeth a montré que cela pouvait éviter un groupthink. Une autre solution proposée serait d'avoir des sous-groupes dans le groupe pour développer un débat et avoir des contre-arguments voire même monter un groupe concurrent. Enfin, il faut favoriser au maximum les votes secrets plutôt qu'à main levée de façon à réduire la pression sociale à dire la même chose que les autres. S'il y a un leader dans le groupe, mieux vaut le faire s'exprimer en dernier pour éviter tout phénomène de suivisme.

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