Voilà pourquoi Marine Le Pen ou Jordan Bardella ne pourraient sans doute pas être élus à l’Elysée sans alliance électorale<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et Jordan Bardella.
Marine Le Pen et Jordan Bardella.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Le vent en poupe

Dans les sondages, le RN progresse incontestablement sur de nouvelles cibles qui lui étaient jusqu’à présent rétives : les cadres et les retraités. Suffisant pour accéder au pouvoir seul ?

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway. Il est l'auteur de "La Présidence anormale – Aux racines de l’élection d’Emmanuel Macron", mars 2018, éditions Cent Mille Milliards / Descartes & Cie.

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Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Atlantico : Même si le RN est annoncé gagnant au second tour de la présidentielle, selon un nouveau sondage Ifop-Fiducial pour Sud Radio et Le Figaro Magazine, le score reste très serré. Est-ce qu'une alliance du RN, pour franchir le plafond de verre, avec Les Républicains, est selon vous nécessaire ?

Bruno Jeanbart : Il est important de relativiser beaucoup des seconds tours hypothétiques à une période aussi éloignée du scrutin. Le fait que les résultats au deuxième tour soient très serrés confirment que Marine Le Pen et le Rassemblement National sont encore loin d'une victoire dans une élection présidentielle. Lors des dernières présidentielles, Marine Le Pen avait fait un moins bon résultat au soir du second tour que son score dans les intentions de vote et les sondages avant le premier tour. Il y a un phénomène qui n’est pas mesurable pour les seconds tours dans les sondages à une période aussi éloignée du scrutin. Il s’agit du phénomène de barrage mis en place par les électeurs qui voteraient contre l'arrivée potentielle au pouvoir du Rassemblement National. A une période aussi éloignée de l'élection présidentielle, ces électeurs et ces tendances ne peuvent pas être pris en compte. Le fait que les résultats soient très serrés montre que la question du plafond de verre est loin d'être réglée aujourd'hui encore pour l’élection présidentielle pour le RN et LR.

Une des raisons du maintien de ce barrage contre le Rassemblement national dans un second tour de la présidentielle va concerner l'inquiétude que susciterait le fait de devoir confier le pouvoir au RN.

Le Rassemblement national va donc devoir élargir sa base pour remporter l’élection et le fait de conclure des alliances peut y contribuer. Reste à savoir si cela va concrètement apporter des électeurs supplémentaires. Au regard des enquêtes et des sondages, une partie des électeurs LR vote déjà pour la candidate du Rassemblement National. Dans une hypothèse de second tour, l'apport en terme électoral de l'alliance avec LR a un certain poids mais il est moindre que la question de la crédibilisation d’une alliance avec un parti de gouvernement. Cela apporte de la crédibilité et une forme de réassurance sur la question de la capacité à gouverner du RN, un parti qui a été jusque-là un parti protestataire et d'opposition et qui doit faire ses preuves comme parti de gouvernement.

Jean-Sébastien Ferjou : Les Français ont compris comment utiliser les sondages dans les phases inter-électorales : pendant longtemps, beaucoup d’électeurs n’assumaient pas de répondre à un sondeur qu’ils pourraient voter RN. Les coefficients de correction utilisés avant présentation des sondages pour compenser cette sous-déclaration du vote RN étaient forts. Aujourd’hui, ils fonctionnent presque à l’inverse : dire dans un sondage qu’on veut voter RN ne signifie pas nécessairement qu’on va effectivement le faire. Mais beaucoup d’électeurs ont compris que le simple fait de le dire, avait un impact sur le réel et était une manière d’exercer une pression politique sur les gouvernements en place.

Le vrai enseignement du sondage Ifop publié par Le Figaro, c’est la très grande différence entre premier et deuxième tour. Au premier tour, Marine Le Pen ou Jordan Bardella ont une avance massive sur n’importe lequel de leur concurrent possible. Au deuxième tour c’est peu ou prou du 50-50 et un résultat qui navigue dans la marge d’erreur.

Vraisemblablement, on peut donc en déduire qu’ils auraient de la peine à passer cette barre des 50% sans une alliance électorale. Et la seule alliance électorale possible est vraisemblablement celle avec LR puisqu’une alliance avec Reconquête!, risquerait de radicaliser, rediaboliser le RN, aux yeux des électeurs et de faire perdre au parti d’une main, ce qu’il gagnerait de l’autre.

Xavier Dupuy : Pour le Rassemblement National, le fait de conclure un accord électoral avec une autre formation politique qui se situe dans le champ républicain peut renforcer son image, sa crédibilité et probablement atténuer ce qui reste du plafond de verre. La question qui se pose est de savoir si cet accord ne va pas faire perdre certains électeurs au RN à la marge, notamment ceux qui sont issus de la gauche.

Il y a plusieurs électorats. Certains seront totalement séduits par cette alliance avec Les Républicains. Il y a plusieurs sensibilités électorales à l’intérieur du vote RN.

Les électeurs du Rassemblement National en Provence-Alpes-Côte d’Azur seront satisfaits et approuveront cette alliance avec Les Républicains. Les partisans du RN dans le Nord-Pas-de-Calais et en Picardie pourraient être un peu plus frileux vis-à-vis de cette alliance avec LR.

Quels sont les derniers éléments qui font encore aujourd'hui tenir le plafond de verre ? Quelle est la nature dudit plafond de verre (s’agit-il de la peur du défaut de culture démocratique, de la peur du manque de compétence, de la peur du « gauchisme économique », de la peur du regard du reste du monde ou des marchés financiers) ?

Jean-Sébastien Ferjou : Le RN progresse incontestablement sur de nouvelles cibles qui lui étaient jusqu’à présent rétives : les cadres et les retraités. Pour autant, ça ne veut pas forcément dire que le plafond de verre présidentiel a totalement disparu pour le parti de Marine Le Pen. En revanche, cette possible mobilisation de cadres et de retraités - et quoi qu’il en soit, cette moindre opposition des mêmes au RN - pourrait aussi inciter un parti comme LR à franchir le pas là où auparavant ils avaient terriblement peur de la condamnation qui suivrait la rupture d’un cordon sanitaire.

Intéressant de ce point de vue-là d’ailleurs : la performance médiocre de Gérald Darmanin, au premier tour qui, de tous les héritiers possibles du macronisme, est celui qui réduit le moins le potentiel de vote de la droite et de l’extrême droite. Édouard Philippe ou Gabriel Attal font mieux que lui sur ses cibles-là. Même si Darmanin est l’homme qui assume le plus un positionnement régalien dans la macronie, les électeurs de droite semblent ne pas y croire, peut-être parce qu’ils y voient une forme de trahison ou d’incohérence.

Bruno Jeanbart : Plusieurs éléments entrent en ligne de compte. Mais il faut préciser que la situation idéale pour le Rassemblement National était celle de 2022 où le parti de Marine Le Pen devait affronter un candidat sortant. Avec cette configuration, deux rejets s’affrontaient. Le rejet de l'arrivée au pouvoir de Marine Le Pen et le rejet de la réélection d'un sortant qui avait en partie déçu les électeurs.

Pour 2027, elle n’affrontera pas de sortant si elle est au second tour. Cela sera une difficulté supplémentaire. Marine Le Pen sera face, d'une certaine manière aussi, à une autre forme de nouveauté.

Des barrages subsistent électoralement au regard des enquêtes. Concernant le vote des seniors, des électeurs plus âgés, le Rassemblement National a progressé mais reste relativement faible. Dans une hypothèse de second tour, le vote en faveur du RN auprès des électeurs les plus âgés était trop faible pour espérer l'emporter dans un pays où les 65 ans et plus représentent 25 % du corps électoral.

Une des raisons de l'inquiétude et du dépit des seniors à voter pour le Rassemblement National concerne des éléments qui sont liés à l'histoire du RN.

La différence entre le RN et le FN est beaucoup moins forte pour les seniors que pour les plus jeunes électeurs qui n'ont pas connu les origines politiques du Rassemblement National et la présidence de Jean-Marie Le Pen. Il y a également un élément fondamental d'inquiétude chez les électeurs plus âgés sur les conséquences économiques de l'arrivée au pouvoir du Rassemblement National et sur les effets sur le patrimoine des électeurs. Il y a une forte inquiétude sur un risque d'effondrement économique du pays. Cela constitue un frein très important et participe au phénomène de plafond de verre. Le fait d'avoir cette crainte d'un pays qui subirait un certain nombre de difficultés si le Rassemblement National arrivait au pouvoir peut être un frein sur ce plan-là.

Xavier Dupuy : Il y a une partie non négligeable du corps électoral qui refuse un parti catalogué comme extrême, qu'il soit d'extrême droite ou d'extrême gauche. Il y a une partie du corps électoral qui peut très bien voter à droite ou à gauche et qui au deuxième tour votera pour le candidat résiduel face au Rassemblement National. Il y a un électorat qui est répulsif au fait qu'une formation politique classée aux extrêmes de l'échiquier politique puisse gouverner.

Le vote du Rassemblement National est un vote composite. Il y a une part non négligeable, contrairement à ce qu’il se passait il y a 20 ans, qui vote par adhésion aux idées du Rassemblement National. Il y a une fraction du corps électoral qui vote pour le RN par opposition aux autres formations politiques ou pour sanctionner le pouvoir en place.

Ce qui peut faire progresser le Rassemblement National, en plus de l’alliance politique, est l’évolution du vote contestataire ou du vote d'opposition. Il est difficile pour une formation politique, quelle qu'elle soit, d'aller au-delà de 35 ou 40 % du corps électoral uniquement par un vote d'adhésion. Il y a forcément une partie du corps électoral qui vote pour vous parce qu'ils rejettent les autres. Cette progression du vote contestataire est intervenue lors des élections législatives après le scrutin présidentiel. Le bloc Le Pen – Zemmour (RN et Reconquête) a progressé de 7 points. Cette progression est en partie liée à un vote d’adhésion mais une fraction de cette progression est due au vote d'opposition contre le pouvoir en place. Cela interroge même sur l’existence du plafond de verre. Passer de 34 % au premier tour à 51 % au deuxième signifie que le RN a engrangé 17 %. Une fraction des électeurs des autres formations politiques non représentées au deuxième tour refuse de choisir. En plus de l’alliance à droite, l’autre clé de l'élection va concerner les électeurs de gauche qui refuseront de choisir et ne voteront pas pour le candidat qui sera opposé à Marine Le Pen au second tour.

Pensez-vous que Les Républicains puissent être tentés par une alliance avec le Rassemblement National au vu des sondages dans l'optique des présidentielles ou des futures législatives à venir ?

Xavier Dupuy : Cela dépendra du score des Républicains. Mais si le score des Républicains est celui des sondages actuels (le RN à 34 % au premier tour et Les Républicains à 5 %), l’alliance pourrait être complexe dans ces conditions. Les Républicains sont en opposition avec la gauche, le pouvoir en place et le RN. Il faut néanmoins être très prudent sur ce sondage car lorsque vous regardez les différentes hypothèses testées dans cette étude, Marine Le Pen oscille entre 34 et 36 % d’intentions de vote. La macronie est entre 12 et 24 % . Lorsqu’il y a un tel écart sur le candidat qui est censé représenter la majorité présidentielle, cela veut dire que la situation politique et que l’électorat sont très mouvants.

Le résultat de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle à 51 - 53 % est obtenu face à un candidat de la majorité présidentielle. Je ne suis pas sûr qu'elle obtiendrait le même résultat si elle était face à un candidat LR. Il n'est pas impossible qu'un candidat LR, s'il était présent au second tour, puisse battre Marine Le Pen.

Si vous avez un candidat LR au second tour, cela veut dire qu’il y aurait une partie de l'électorat d’Eric Zemmour qui votera pour le représentant des Républicains face au RN. Une bonne partie de la Macronie votera pour le candidat Les Républicains au second tour en cas de duel avec le Rassemblement National. Du côté de la gauche, il n’y aura pas les mêmes reports de voix avec un candidat LR par rapport à un représentant du pouvoir en place face au RN. Il y a un tel rejet de la majorité présidentielle d’une partie de la gauche qu'un candidat LR peut paraître plus acceptable que le pouvoir en place pour les électeurs sympathisants de la gauche. Les reports de voix au second tour peuvent être beaucoup plus compliqués pour Marine Le Pen si c'est un candidat LR qui est présent au deuxième tour face à elle. La stratégie de l’alliance est donc très importante pour le RN dans l’objectif de la victoire au second tour de l’élection présidentielle.

Bruno Jeanbart : Cette tentation d’alliance ne devrait pas survenir avant le résultat du premier tour de la présidentielle. Les Républicains tentent de prendre le leadership sur la partie modérée du centre droit et du centre. Si Marine Le Pen était élue, la situation changerait dans l'optique de législatives. Ces alliances pourraient intervenir et permettre au RN de l’emporter si le second tour de l’élection présidentielle en 2027 oppose le Rassemblement National à une candidature assez ancrée à gauche, notamment La France insoumise. Cela amènerait Les Républicains et leurs électeurs à devoir choisir entre le Rassemblement National et l’extrême gauche.

L’autre possibilité pour une alliance concerne le départ d’Emmanuel Macron. La fin de son second mandat va ouvrir une fenêtre dans laquelle il y aura éventuellement une possibilité de s'insérer. En revanche, si cette occasion-là est ratée par Les Républicains, notamment via une alliance avec le RN, la question de la survie des Républicains se posera après 2027.

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