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Voilà pourquoi le vrai problème du coup de rabot gouvernemental sur la défiscalisation des aides pour les seniors n’est pas d’être une politique “dure aux vieux”
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Usine à gaz

Sibeth Ndiaye a annoncé sur LCI hier que le gouvernement comptait supprimer l'"automaticité" du dispositif de suppression des cotisations patronales pour les personnes âgées.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : Sibeth Ndiaye a annoncé sur LCI hier que le gouvernement comptait supprimer l'"automaticité" du dispositif de suppression des cotisations patronales pour les personnes âgées. En quoi ce dispositif était-il à la base contestable en termes de justice sociale ?

Marc de Basquiat : Le dispositif en question est hérité d’une idée géniale. On fait d’une pierre trois coups : aider les vieux à vivre plus longtemps chez eux, occuper les chômeurs, décourager le travail au noir. En théorie c’est superbe. Mais en pratique ?

Très concrètement, les personnes de plus de 70 ans, qu’elles soient riches ou pauvres, ne paient aucune cotisation sociale sur les salaires des personnes qui leur rendent divers services à domicile : ménage, cuisine, soins, jardinage, ou simple compagnie... On comprend tout de suite l’effet d’aubaine dont bénéficient les riches aisés. Il n’est donc pas choquant que le gouvernement souhaite plus de sélectivité dans les aides apportées aux séniors, en introduisant un critère de dépendance.

Mais tous les bénéficiaires ne sont pas aisés. Pour les septuagénaires qui bouclent difficilement leurs budgets, la rigueur gouvernementale est moins plaisante. Certains vont alléger certains services, contribuant marginalement au chômage d’une population peu qualifiée. Ou basculer vers l’informel pour éviter de payer des « charges sociales » dont ils n’ont pas l’intérêt direct. Malgré ces réactions alarmistes des représentants des particuliers employeurs, il n’est pas simple d’anticiper l’impact réel de la décision gouvernementale. D’autant que les personnes âgées bénéficient d’autres dispositifs d’aide : exonérations partielles de cotisations, crédits d’impôts et prestations ciblées (en particulier l’APA). Ce ne sera peut-être pas si catastrophique que certains le proclament.

Plus intéressant : la décision révèle un changement dans la doxa sur les allègements de cotisations sociales patronales. Elles se sont accumulées pour les salariés au Smic. En règle générale, pour un net de 1200 euros le coût employeur atteint à peine 1600 euros. Et le salarié – non imposable – perçoit de l’Etat une prime d’activité d’environ 200 euros, ou plus selon ses charges de famille. Les bas salaires cotisent extrêmement peu, les revenus moyens un peu plus. Il faut utiliser un simulateur, même très simple d’utilisation comme lemodele.fr, pour mesurer l’impact de tous ces dispositifs dérogatoires. 

Les débats de l’ère Hollande menant à la création du CICE ou du « pacte de compétitivité » ont installé cette idée que les cotisations sociales patronales sont les premières responsables du chômage et que les exonérations ciblées sur les salariés moyens peuvent booster la création d’emplois de qualité, dans l’industrie en particulier… On attend toujours !

De leur côté, les retraités ne contribuent quasiment pas à la prestation universelle maladie (PUMa) dont ils sont logiquement les premiers utilisateurs. Pourtant, leur niveau de vie moyen est supérieur à celui des actifs. Malgré les cris d’orfraie qui ont accompagné la hausse de la CSG au début du quinquennat, les cotisations sociales des retraités (hors mutuelles) restent modestes. Les descendants paieront l’addition, via une dette actuellement attractive du fait de taux négatifs. Mais ce sera plus tard !

Donc oui, il est légitime que le gouvernement tente de mettre un peu d’ordre dans le maquis des exonérations de cotisations sociales, qui nous condamnent à une survie administrée, sous perfusion de dette.

C'est à la complexité fiscale (et aux niches indues) que le gouvernement semble vouloir s'attaquer. Est-ce ce genre de suppression à la marge qui lui permettra de résoudre le problème ?

En entreprise, un plan de transformation se conduit à partir d’un diagnostic, partagé dans un vaste plan de communication pour impliquer chacun dans l’objectif global. Chacun sait grosso modo où on va et contribue à sa mesure au mouvement général, pour éviter d’être mis de côté. Cette rationalité opérationnelle ne semble pas fonctionner en politique. Dès qu’un changement est annoncé, les micros des journalistes sont immédiatement dirigés vers ceux qui expliquent pourquoi c’est une mauvaise idée. Lorsque tout un pays est abreuvé en continu par les réactions des opposants politiques et des réseaux sociaux, d’autant plus sur des sujets qui ne les concernent en rien, tout changement – même bénéfique pour le plus grand nombre – est voué au brouhaha. Les politiques ont plus que jamais conscience que « les réformes font des perdants et des ingrats ». 

On en voit l’illustration avec l’évolution majeure du barème de l’impôt sur le revenu pour 2020, qui va réellement alléger l’impôt de millions de contribuables. Qui en a vraiment conscience ? Le simulateur lemodele.fr permet de calculer comment son impôt évoluera entre 2019 et 2020. Dans cet exemple, le ménage de Paul et Virginie et ses deux enfants verra son impôt diminuer de 239 euros

Dans ce contexte passablement pollué, deux stratégies sont envisageables. Soit, on accumule les réformettes en espérant passer sous le feu des contestataires, soit on tente de gagner l’adhésion générale sur un projet ambitieux et consensuel. Le projet En Marche ! de 2017 hésitait entre les deux, parvenant à intéresser des électeurs des deux bords politiques en distillant ses propositions au compte-goutte. Depuis, ce sens tactique payant a montré sa limite, les changements présentés successivement s’insérant rarement dans une vision d’ensemble partagée. La réforme des retraites est l’exception, dont on espère le succès. 

Sur les niches fiscales, on se désole de la permanence de quelques 500 dispositifs spécifiques dont on suspecte qu’ils servent plus des intérêts catégoriels que le bien commun. Mais comment les supprimer un à un si on ne dispose pas du plan d’ensemble pour la fiscalité française du 21ème siècle ? Supprimer la taxe d’habitation a peut-être du sens, mais la remplacer par quoi ? Personne n’est capable aujourd’hui de décrire la vision globale du gouvernement en matière fiscale. 

La proposition n'a pas manqué de provoquer des réactions d'indignation. Est-ce la meilleure manière de faire évoluer les choses sur ces questions ?

La succession des guéguerres sur tous les sujets épuise le pays, discrédite les gouvernants et avilit la démocratie. Dans un monde ordonné, on commencerait par remonter à quelques principes structurants, élevés, simples et consensuels, du type : « chacun doit être éduqué, logé, soigné, nourri ». Etablir ce genre de consensus n’est pas très compliqué. Il suffit de demander aux opposants  de décrire les cas où le principe ne s’applique pas… Ensuite, on décline en objectifs secondaires, puis en cibles plus opérationnelles. C’est un travail qui nécessite d’approfondir les valeurs qui pourront faire consensus, d’interroger les désaccords, de mobiliser toutes les compétences et de structurer une communication inclusive. Les propositions de rationalisation viennent ensuite, sur la politique familiale, le logement ou le revenu universel, qui appellent  un débat démocratique avec le support d’outils tels que lemodele.fr

La règle du jeu politique est malheureusement à l’opposé. Pour gagner la prochaine élection, mieux vaut exacerber sa différence, moquer ses opposants, surfer sur des messages simplistes et identifier avec précision ses électeurs grâce au micro-ciblage. Pour gouverner aujourd’hui, le dédoublement de la personnalité est un atout.

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