Voilà pourquoi le prix des voitures est bien parti pour monter en flèche <!-- --> | Atlantico.fr
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Photographie prise chez un concessionnaire Renault à Hérouville en 2005.
Photographie prise chez un concessionnaire Renault à Hérouville en 2005.
©MYCHELE DANIAU / AFP

Flambée des tarifs

La crise sanitaire a perturbé la production de certains matériaux pour le secteur automobile. Le coût de la main d'oeuvre connaît également une augmentation. Les tarifs du secteur de l'automobile devraient connaître une forte hausse.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Le coût des matériaux pour construire les voitures ainsi que la main d’œuvre augmente. Comment l’expliquer ?

Jean-Pierre Corniou : La crise sanitaire, qui a démarré au cœur d’une région productrice d’automobiles, a profondément déréglé un système industriel sophistiqué dont on a mesuré l’imbrication mondiale. En effet, la fermeture des usines chinoises de Wuhan, qui au cœur de la région du Hubei -concentre 10% de la production automobile chinoise, a immédiatement stoppé la production automobile de la Chine. Puis le développement rapide du virus en Italie a frappé la Lombardie, cœur de la production automobile italienne mais aussi européenne avec son réseau d’équipementiers. La crise s’est ensuite étendue à la plupart des centres de production mondiaux pour conduire au pire premier semestre de l’histoire automobile mondiale avec un effondrement des volumes de produits finis, mais a également entraîné, on le mesure aujourd’hui, une rupture de cette subtile orchestration mondiale des flux entre constructeurs, équipementiers, sous-traitants et logisticiens. Le redémarrage s’est aussi révélé complexe car l’économie mondiale est désynchronisée. La Chine a commencé dès juin 2020 à retrouver une dynamique de croissance alors que les autres grands pays industriels sont toujours en convalescence.

« Industrie des industries », l’automobile fait appel à une vaste gamme de produits industriels et de matières premières dont la production et l’assemblage sont réglés au sein d’une chaine d’approvisionnement mondiale. L’efficacité de ce système en flux tendu conduit à l’absence de stocks. Lorsque le système fonctionne de façon fluide, chaque composant de cette chaîne est en mesure de remplir ses engagements en volume et en prix. Mais il suffit d’une défaillance pour que le système se grippe. Ce peut être un problème climatique. Une chute de neige et du verglas sur les routes peut paralyser l’industrie automobile européenne. Un problème comme la paralysie du canal de Suez bloque la circulation des porte-conteneurs dans les deux sens et dérègle la rotation des navires, des conteneurs métalliques et embouteille les capacités portuaires. La réaction des acteurs pour assurer la continuité de la chaîne est généralement de trouver des sources alternatives, mais il est difficile d’improviser quand les fournisseurs n’ont pas été identifiés ou sont incapables de réagir rapidement à une évolution de la demande ou à une thrombose des canaux logistiques. Cela prend plusieurs mois, et parfois, comme pour les composants électroniques, il n’y a pas de solution car la production mondiale est entre les mains d’un très petit nombre d’acteurs.

En économie de marché, toute rareté se compense immédiatement par une hausse des prix, les industriels, incapables de répondre à la demande, acceptent une hausse temporaire des prix pour remplir leurs engagements face au client.

La crise sanitaire a révélé cette nouvelle réalité, qui était une évidence pour les professionnels. L’industrie automobile, qui est une industrie complexe, technique, de volumes et de coûts fixes, s’est progressivement affranchie des frontières nationales pour se constituer en système mondial connecté en temps réel. A cette donnée structurelle s’ajoutent les conséquences de la transformation technique de l’automobile, qui a engagé une mutation pluri-décennale d’une production historiquement dominée par les moteurs thermiques, essence ou diesel, vers la propulsion électrique. Or les véhicules électriques font appel à de nouveaux composants, moteurs électriques, batteries, électronique de puissance, qui se trouvent en tension face à une demande qui, restée marginale pendant la décennie 2010, monte rapidement en volume. Il faut donc implanter de nouvelles usines, de nouveaux circuits de production, sécuriser de nouvelles filières d’approvisionnement en matériaux dont la demande augmente brutalement, comme le lithium ou le cobalt.

Parallèlement à cela, les constructeurs annoncent produire moins de véhicules qu’auparavant. La pénurie de puces électroniques est-elle en cause ? Est-ce la seule raison ?

L’industrie automobile a engagé une mutation profonde. Elle devient « CASE »: connected, autonomous, shared , electric. Tout ceci implique un usage étendu de l’information à bord du véhicule et en communication entre les véhicules et les infrastructures. C’est donc un changement de philosophie de l’automobile qui a construit son essor mondial au XXe siècle sur la totale déconnexion de la voiture individuelle des contraintes externes, symbole de liberté d’usage, contrairement aux réseaux publics de transport. Or la voiture devient aujourd’hui un composant mobile d’un système d’information. Ceci implique le développement de systèmes informatiques qui consomment des composants de plus en plus puissants et surtout beaucoup de logiciels. Une voiture contient aujourd’hui jusqu’à 200 micro-processeurs et se comporte comme un réseau local connecté à l’extérieur. La production de composants électroniques a été sollicitée pendant le crise sanitaire par une demande plus importante que prévue d’ordinateurs individuels, de serveurs et de téléphones mobiles. La demande automobile a également contribué à cette tension sur les marchés sans que l’industrie, très complexe et capitalistique, ne puisse s’adapter à court terme. On pense qu’il faut attendre 2023 pour retrouver une situation fluide sur le marché des composants.

Il est certain que la tension sur le marché des composants explique les difficultés des constructeurs à produire les volumes programmée ; on estime, pour l’année 2021, à une perte de quatre millions de véhicules l’impact de cette pénurie.

Mais le niveau de production des constructeurs n’a, in fine, qu’une seule cause, l’évolution de la demande finale.

Ces deux éléments combinés peuvent-ils conduire à une hausse soudaine du prix de l’automobile ? Quelles en seraient les conséquences pour l’industrie et les consommateurs ?

Les facteurs économiques qui déterminent l’offre et la demande automobile sont suffisamment nombreux et complexes pour écarter l’hypothèse d’une hausse brutale du prix de vente des voitures neuves.  Le prix de vente est en effet la synthèse de facteurs contradictoires que sont les prix de revient industriel, la stratégie commerciale des constructeurs et concessionnaires, et donc leur niveau de marge, la dynamique du marché, les normes et règles publiques, les facteurs d’incitation fiscale ou de pénalisation. Les constructeurs ne maîtrisent qu’une partie de ces paramètres. A ces facteurs classiques il faut ajouter bien évidemment les fluctuations du prix des carburants qui ont un impact direct sur la demande et le choix des modèles.

Les variations rapides de facteurs de coûts endogènes ne peuvent être répercutés sur le prix final car le consommateur n’accepterait pas d’en assumer les conséquences. Sa riposte est immédiate. Il peut évidemment différer son achat, mais surtout, pour les particuliers, se reporter sur le marché de l’occasion qui est extrêmement dynamique. En France pour une voiture neuve vendue, ce sont 3,5 voitures d’occasion qui sont échangées. Or le parc de véhicules d’occasion est de qualité, l’information largement disponible, avec un grand nombre de sites web dédiés, l’essor du C2C (« consumer to consumer») représente 67% du marché de l’occasion. Toutefois, les concessionnaires y sont très actifs et sécurisent les transactions par une garantie technique. Il s’est immatriculé en France, au premier trimestre 2021, 1 571 000 véhicules d’occasion et mars 2021 a été le meilleur mois jamais observé sur le marché avec 591 000 transactions. Cette dynamique cré care d’ailleurs une hausse des prix sur l’occasion et même des pénuries sur les modèles les plus demandés, notamment les plus anciens de plus de cinq ans.

Par ailleurs, sur les véhicules neufs, l’essor des véhicules électriques et hybrides rechargeables bouleverse les habitudes des consommateurs.  Les prix de ces véhicules restent supérieurs aux véhicules essence conventionnels mais les perspectives à moyen terme de restrictions d’usage en ville des moteurs thermiques peuvent inquiéter les consommateurs. Les acheteurs de flotte s’orientent vers les véhicules hybrides rechargeables qui supplantent désormais le diesel. 77% des achats des flottes étaient des véhicules diesel en 2017 pour tomber à 44% en 2021.

Enfin, il faut intégrer les aides fiscales à l’achat de véhicules électriques et hybrides rechargeables, qui dans tous les pays du monde sont de moins en moins généreuses, le marché, de lui-même s’orientant vers ces produits jugés d’avenir. On considère que sans aide publique, les véhicules électriques seront au même prix que les véhicules thermiques en 2025.

A ces facteurs conjoncturels, il faut ajouter l’évolution à long terme de la place de la voiture individuelle dans les moyens de mobilité. Contestée par les pollutions qu’elle génère, et surtout par l’émission de CO2, gaz à effet de serre qui contribue au réchauffement climatique, on lui reproche aussi d’avoir fait des villes un cadre de vie dégradé par l’encombrement et le bruit sans régler efficacement la question cruciale de la mobilité urbaine. La contestation anti-automobile a gagné du terrain dans les pays pionniers de cette industrie tout comme dans les pays consommateurs confrontés à la dégradation sévère de leur environnement. Simultanément, les transports publics ont gagné en attractivité en se modernisant et démontrent leur efficacité dans les grandes villes de la planète.  L’industrie automobile a subi un choc violent avec la crise de 2008/2009 qui a marqué la fin d’un modèle de croissance de la puissance et de la taille des véhicules à moteur thermique. L’industrie a réagi en développant, à l’encontre de ses pratiques historiques et de son ADN de motoriste, une offre de véhicules électriques qui a pris une dimension considérable sous l’impulsion de la Chine. Mais le changement de motorisation ne règle pas nécessairement la contestation anti-automobile, active en ville. La voiture électrique soulève elle-même des questionnements quant à son innocuité environnementale, tant par les composants qu’elle met en œuvre dans les batteries que par l’augmentation de la consommation électrique qu’elle induit. De plus, même électrique, une voiture individuelle occupe de la place et contribue à l’encombrement urbain comme son homologue thermique. Ce n’est que le changement d’usage qui pourra transformer le paysage urbain en poussant massivement les utilisateurs vers les transports publics et les solutions partagées. De fait, la demande de voitures individuelles a baissé dans toutes les grandes villes de la planète, mais c’est un phénomène lent qui n’atteint pas les zones périphériques et rurales où la voiture reste le moyen de transport plébiscité car sans alternative.

Les scénarios qui prédisent un effondrement mondial de la voiture individuelle ne se sont pas réalisés, même la crise de la COVID a bouleversé les tendances de la demande sans que l’on puisse encore déterminer si le marché va retrouver sa dynamique de 2019. Plus que jamais, l’industrie automobile reflète les profondes contradictions de l’économie mondiale, et donc des choix des consommateurs. La voiture est un bien à la fois utile et symbolique. Certes encombrante et (encore) polluante, partout dans le monde, l’automobile demeure pour longtemps un composant indispensable de l’économie mondiale.

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