Voilà ce que révèle vraiment la comparaison entre les lycées Averroès et Stanislas <!-- --> | Atlantico.fr
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Des élèves devant le lycée Averroes à Lille, le 28 septembre 2023.
Des élèves devant le lycée Averroes à Lille, le 28 septembre 2023.
©SAMEER AL-DOUMY AFP

Education nationale et laïcité

Certains dirigeants politiques de gauche s'indignent des différences de traitement entre le lycée Averroès et Stanislas. Y a-t-il réellement des atteintes à la laïcité et un « embrigadement » idéologique des élèves au sein de ces établissements scolaires ?

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Une partie de la classe politique dénonce un deux poids de mesures entre le traitement du lycée Averroès et de Stanislas. Est-ce justifié ? 

Guylain Chevrier : Cette dénonciation d’un deux poids deux mesures relève du fait que ces deux lycées, pointés pour de graves dysfonctionnements, semblent avoir un traitement différent, avec l’un, Averroès, promis à la fermeture après la résiliation de son contrat avec l’Etat, et Stanislas, uniquement l’objet de préconisations. Cela étant, ces dernières constituent tout de même des injonctions, car rien ne dit qu’à l’avenir si elles n’étaient pas prises en compte, ce lycée ne verrait pas son contrat avec l’Etat rompu. Mais si ces deux établissements privés ont pour point commun une mise en cause avec un versant religieux, les renvoyer dos-à-dos dans cette affaire n’est pas sérieux, car qu’on ferme les deux ou pas, les problèmes sont pour une part bien différents, et ce qu’ils impliquent aussi. En ce qui concerne le lycée Averroès, la préfecture met notamment en cause l’utilisation de contenus pédagogiques « hostiles à la République », ce qui renvoie au risque de séparatisme. Aussi, utiliser cet argument d’une différence de traitement, avec en arrière-plan l’idée que ce serait une sorte de mauvais signe envoyé à nos compatriotes musulmans, est de laisser penser que ces derniers devraient s’identifier à ce lycée. C’est tout le contraire de ce à quoi on devrait les inviter. C’est là où ceux qui avancent cette comparaison pour parler de stigmatisation des musulmans se trompent lourdement. Aussi, tirer argument de ce qui apparaît là comme une différence de traitement sans aller au fond des problèmes, participe à ce qui pourrait relever d’un brouillage à haut risque. 

Quels sont les points communs entre la situation des deux établissements ? Et quelles sont les différences ?

Le lycée musulman de Lille et le lycée catholique de Paris ont tous deux fait l’objet de rapports d’inspection critiques. Tous deux sont des établissements au caractère religieux affirmé. Les résultats scolaires sont excellents, avec 100 % de résultat au baccalauréat. Les deux connaissent une atmosphère générale confessionnelle avec fermeture de l’établissement lors des fêtes religieuses musulmanes pour Averroès, assistance aux offices religieux fortement recommandée dans le lycée catholique, et dans l’un et l’autre cas, l’organisation de pèlerinages. « Dans les deux établissements, les cours sur la sexualité sont peu dispensés – ou, disons, unilatéralement orientés, ce qui a pu entraîner des propos homophobes. »  

Au lycée Averroès, selon le Parisien, une inspection du CDI a montré des absences de ressources sur certains thèmes comme l’homosexualité, et la prépondérance d’ouvrages religieux sur l’islam au détriment des autres religions. Le préfet, dans son rapport préalable à la commission académique de novembre dernier pour aller vers la résiliation de son contrat d’association avec l’Etat (8 décembre 2023), avait noté la présence, dans la bibliographie de l’enseignement d’éthique musulmane, d’un recueil de textes religieux comprenant des commentaires prônant la peine de mort pour apostasie ou la ségrégation des sexes. Le lycée musulman se voit reproché des irrégularités de gestion, au caractère opaque, avec un financement étranger qui vient du Qatar, soupçon de financements illicites ou de conflit d’intérêts. La préfecture accuse aussi le lycée Averroès d’avoir fait obstruction à une inspection de l’Education nationale en janvier 2022 et d’avoir constitué un fichier listant les inspecteurs déjà venus dans l’établissement. L’établissement conteste l’ensemble de ces points. Deux signalements ont été confirmés par le parquet de Lille, qui a expliqué au Monde avoir ouvert deux enquêtes. « L’un émane de la chambre régionale des comptes, l’autre du préfet, sur le point précis du « fichier illégal » d’inspecteurs. » Le tribunal administratif qui avait été saisi par le lycée Averroès, qui réclamait la suspension en urgence de la décision du préfet du Nord, l’a rejeté, renvoyant l’examen de l’affaire au fond. Le lycée musulman a annoncé par son avocat saisir le Conseil d'État.  

Il a ainsi été mis fin au contrat liant le lycée lillois à l’Etat après 20 ans de fonctionnement et des polémiques publiques qui ne datent pas d’hier. Après l’attentat contre Charlie Hebdo, en 2015, les élèves d’Averroès s’étaient rassemblés dans le réfectoire en brandissant des pancartes « Pas en mon nom ». On se souvient de la démission d’un enseignant de philosophie dénonçant dans Libération une dérive rigoriste et antisémite au sein de l’établissement. Celle-ci serait dissimulée par un « double discours ». L’Education nationale dépêche alors des inspecteurs pour lesquels le lycée respecte globalement les termes du contrat tout en convenant de « clarifier le statut et la place du religieux dans l’établissement ». Un différend oppose le lycée Averroès depuis 2019 à la région des Hauts-de-France, qui refuse chaque année de verser la subvention prévue dans le cadre du contrat, lui reprochant un don qatari de 950 000 euros en 2014.

Le lycée catholique, quant à lui, dispense la catéchèse sur les heures de cours, cours de religion obligatoires, s’est vu reprocher la censure de films, le refus de faire intervenir le Planning familial… Ajoutons que certaines classes sont, en outre, non mixtes. Certains élèves de Stanislas, dont le fils aîné d’Amélie Oudéa-Castéra, qui était au moment de ces révélations ministre de l’Education nationale, ont été « incités à renoncer à leurs autres vœux dans Parcoursup » en échange de la « garantie d’être admis » en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), comme cela a été admis par Prisca Thevenot porte-parole du gouvernement. Ce rapport, publié en août dernier, a « été suivi d’effet très rapidement », a-t-elle assuré.

On parle de rupture de l’égalité ou encore on oppose les deux en avançant que le lycée musulman accueille les jeunes de classe moyenne et de classe supérieure avec environ la moitié de boursiers, alors que le lycée catholique accueille des élèves très favorisés, avec des boursiers qui sont quasi absents. Le montant de la scolarité à Averroès est en moyenne de 1400 euros par élève, à Stanislas il est plus élevé, 2 500 euros de frais de scolarité par an. Un établissement qui est qualifié en conséquence d’élitiste, ce qui est assez commun concernant les établissements privés, même si tous ne sont pas sur ce modèle et peuvent recevoir des publics défavorisés. Il reste qu’ils peuvent choisir leurs élèves quand l’Education nationale doit les accueillir tous. On notera qu’il y a 40 % d’enfants de milieux très favorisés dans ces deux établissements privés, contre 20 % dans le public, selon le ministère de l’Education nationale.

Est-ce que le comportement des deux lycées crée une idéologie dangereuse pour la société ?

Lors des questions au gouvernement au Sénat, le sénateur communiste Pierre Ouzoulias s’était inquiété des « dérives » de certains établissements privés sous contrat qui « organisent un séparatisme social et scolaire ». On dit que, dans ce prolongement, ces deux établissements portent une lourde responsabilité dans la représentation qu’ils donnent des établissements privés sous contrat, craignant le risque de relancer la « Guerre scolaire », entre discrimination sociale et place de la religion dans l’enseignement. 

En France, 7 500 établissements scolaires sont sous contrat d’association avec l’Etat, 96 % d’entre eux sont catholiques. On sait que trop souvent on peut avoir tendance à y confondre privé et religieux. Averroès est l’un des deux seuls lycées musulmans sous contrat en France. Au niveau national, 1 700 élèves étaient scolarisés dans des écoles, des collèges et ces deux lycées musulmans sous contrat à la rentrée 2022, selon l’Education nationale. On dira alors : mais qu’est-ce que représente le lycée Averroès pour qu’on s’en prenne à lui ainsi ? 

Ce qui s’est passé au lycée Stanislas est évidemment un très mauvais exemple, qui entretient l’idée d’un rapport entre enseignement et religion, selon une démarche conservatrice qui tourne le dos à ce que représente l’instruction comme voie d’émancipation, au regard d’un encadrement des consciences qui passe outre le respect du libre-arbitre des élèves. On peut s’inquiéter que de telles pratiques ne constituent une incitation dangereuse à une dérive idéologique qui éloigne de la République, et dans ce sens, séparatiste. Mais concernant ce risque de séparatisme religieux, il serait bon d’évoquer celui qui inquiète à raison le plus, particulièrement celui d’un islam du repli, de l’enfermement, du communautarisme, de la radicalisation, faisant sécession avec la République. Rappelons que l’établissement lillois a ouvert en 2003 avec le soutien de l’ex-Union des organisations islamiques de France (UOIF, devenue Musulmans de France), organisation qui s’inscrit dans la sphère d’influence des Frères musulmans, et ce, dans la foulée de l’interdiction du voile dans les établissements scolaires publics. Le directeur adjoint d’Averroès [Makhlouf Mamèche] est vice-président des Musulmans de France. 

On ne peut faire ici abstraction du contexte, alors que ces événements se produisent à l’approche de l’anniversaire des 20 ans de la loi du 15 mars 2004 interdisant « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » réaffirmant le caractère laïque de l’école publique. Une loi faite pour protéger l’école du risque de conflits identitaires, ainsi que la liberté de conscience et de choix des élèves, par-delà les prescriptions de la tradition, de la religion, portées parfois par leur famille. Mais que constate-on, que sur la seule année scolaire 2022-2023, 4.710 signalements pour atteintes à la laïcité à l'école ont été recensés, soit une hausse de 150% en un an. Selon une note des services de l'État, les atteintes à la laïcité à l’école sont en constante augmentation depuis l'assassinat de Samuel Paty en octobre 2020. En septembre, ce sont 1.034 "faits d'atteinte au principe de laïcité" qui ont été recensés, soit une hausse de 40% par rapport à juin 2023. 81% de ces faits étaient liés au port de signes et tenues religieux (dans près de 500 établissements au total), autrement dit de l’abaya et du qamis, 4% de contestation de l'enseignement, 3% pour suspicion de prosélytisme, 3% pour refus d'activité scolaire et 9% autres. Sans compter avec les perturbations consécutives aux hommages du 16 octobre en mémoire à l’assassinat de Samuel Paty par un terroriste islamiste, et ce, alors que l’enseignant Dominique Bernard venait d’être assassiné lui aussi, à Arras, dans les mêmes conditions. L’interdiction de l’abaya et du qamis par le ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, depuis devenu Premier ministre, a mis un frein à ce mouvement mais ne change rien sur le fond. L’enjeu majeur qui ressort de ce constat, ne peut que renvoyer à ce que l’on reproche au lycée Averroès tout particulièrement sur le plan du contenu de l’enseignement. Cela, vis-à-vis d’un islam en France qui, si on doit pouvoir empêcher qu’il ne se traduise par une séparation au sein de notre société pour constituer une nation dans la nation, implique de ne rien laisser passer en matière d’éducation dans la mission confiée à une telle école privée sous contrat. 

Amélie Oudéa-Castéra lorsqu’elle était ministre de l’Education nationale, après avoir été épinglée pour avoir scolarisé ses enfants dans l’institution privée Stanislas, a pris l‘initiative de créer un groupe de travail "dans les établissements privés" pour s'assurer d'une application pleine de la laïcité à l'école. Ce qu'elle a abordé avec la présidente du Conseil des Sages de la laïcité Dominique Schnapper. Mais comme le rappelle le Vademecum du Conseil des Sages, concernant le champ d’application de la loi du 15 mars 2004 et l’interdiction de signes religieux, « les élèves scolarisés dans un établissement d’enseignement scolaire privé (y compris sous contrat) ne sont pas concernés par cette disposition, qui peut néanmoins être reprise par le règlement intérieur. » Cette application du principe de laïcité reste donc assez limitée dans les établissements privés sous contrat, en dehors du respect de la liberté de conscience des élèves, l’égalité de traitement de ceux-ci, et sa résonance dans les programmes nationaux qu’ils doivent respecter. Il faudra bien plus pour que l’esprit de nos valeurs et principes républicains s’impose partout dans l’éducation, du public au privé. Il en va pourtant, à tout le moins, de la formation des futurs citoyens.

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