Vladimir Poutine, champion du wokisme à l’insu de son plein gré <!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine lors d'une conférence de presse depuis le Kremlin.
Vladimir Poutine lors d'une conférence de presse depuis le Kremlin.
©ALEXANDER ZEMLIANICHENKO / POOL / AFP

Valeurs traditionnelles ou progressistes ?

Le président russe avait réussi à capter l’attention d’une partie des mouvements conservateurs internationaux sur l’argument qu’une nation et une armée qui assument des valeurs masculines traditionnelles est nécessairement plus efficace qu’une puissance absorbée par les enjeux de genre ou les nouvelles valeurs progressistes. La guerre en Ukraine vient-elle de prouver que la réalité était plus complexe…?

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : Vladimir Poutine a beaucoup utilisé l’argument qu’une nation et une armée qui assument des valeurs masculines traditionnelles est nécessairement plus efficace qu’une puissance absorbée par les enjeux de genre ou les nouvelles valeurs progressistes. A quel point ce discours avait-il séduit une partie des Occidentaux? Pourquoi ?

Guillaume Lagane : Depuis la fin de la guerre froide, le débat idéologique ne porte plus sur le meilleur modèle politico-économique. Dans ce sens, Fukuyama a eu raison : le modèle libéral et capitaliste a triomphé, personne ne prône plus le marxisme-léninisme, sauf quelques isolats asiatiques (Corée du Nord). En revanche, les questions dites sociétales sont devenues centrales, de pair avec la montée, typique des sociétés libérales, de l’individualisme. Pas une semaine, en Occident, sans une polémique sur la « race », le genre, les minorités sexuelles, etc. 

Le débat droite gauche s’est focalisé sur ces « culture wars » et, face au camp progressiste qui a largement épousé ces thématiques réunies sous l’appellation, polémique, mais  significative, de « wokisme », le camp conservateur les a rejetées. Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, Poutine a cherché à épouser ce combat conservateur et on peut dire qu’il a réussi à faire de la Russie, épouvantail de la droite anti-communiste pendant près d’un siècle, un pays vanté par une large partie de la droite radicale, de Zemmour à Trump en passant par la Ligue italienne. 

Habilement servi par la propagande du régime, ce discours conservateur s’inscrivait dans une longue tradition russe. Souvenons-nous que l’orthodoxie, depuis le schisme de 1054, est un rejet des « novations » de l’Eglise catholique, au premier chef la prééminence de l’évêque de Rome. La chute de l’empire byzantin, en 1453, a fait de Moscou la « troisième Rome », qui doit sauver et purifier le monde. Au XIX° siècle, le courant slavophile a repris cette idée d’une Russie, pétrie de valeurs spirituelles,  résistant à la corruption et au matérialisme de la modernité venue d’Europe. 

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Poutine fait la synthèse entre ce courant conservateur russe et un certain héritage soviétique, car, si l’URSS avait opéré des avancées sociales, pensons à la place des femmes dans le monde du travail (Alexandra Kollontaï a été la première femme ambassadeur), elle s’est aussi érigée en rempart de la morale prolétaire, avec ses ouvriers honnêtes et valeureux, face à la décadence de l’Occident bourgeois.  

La guerre en Ukraine et les difficultés de l’armée russe ont-elles montré que cet argumentaire était au moins en partie erroné ?

Il est certain que la guerre en Ukraine marque un coup d’arrêt à cette vision angélique de la Russie. Pas du côté russe bien sûr où la propagande fait de la lutte contre l’Occident et ses valeurs corrompues un enjeu majeur de « l’opération militaire spéciale ». Et, à voir les sondages, il semble bien qu’une partie majoritaire de l’opinion russe (60% selon l’institut Levada) adhère à ce discours. 

Mais du côté des Occidentaux, c’est la douche froide pour les pro-russes. Si l’on en croit l’ONU, les abus commis par les deux parties en conflit sont plus nombreux côté russe. Difficile de prétendre qu’on défend la famille contre la « propagande homosexuelle » (interdite par une loi en en novembre 2022) quand on bombarde hôpitaux et écoles. Boutcha a beaucoup affaibli l’idée d’une Russie défenseur de la civilisation.

Surtout, l’armée russe, virile et traditionnelle, n’apparaît pas si efficace. En réalité, la Russie s’est heurté à un adversaire de taille. D’une part, l’Ukraine apparaît aussi patriote que son adversaire. D’autre part, déjà bien armée avant la guerre, elle est ravitaillée par les Occidentaux. Or, la guerre moderne a beaucoup à voir avec le nombre des armements et finalement assez peu avec les questions morales. 

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Ce serait allé un peu vite en besogne que de faire de l’Ukraine une société « woke » ! Certes, la société se transforme : la « gay pride » est organisée à Kiev depuis 2013. Mais les Ukrainiens, comme la plupart des peuples d’Europe orientale, sont encore très conservateurs. Des alliés clés de l’Ukraine, comme la Pologne, qui a restreint le droit à l’avortement en 2021, n’ont rien de progressiste. 

En revanche, la guerre en Ukraine renvoie chacun de nous à un choix historique entre sociétés ouvertes et fermées, décrit par Karl Popper en 1945. Une large partie de la droite, qui ne peut que constater le raidissement du régime russe, est désormais plus encline à accepter les travers du progressisme qu’à adhérer à un discours qui a mené au conflit européen le plus sanglant depuis la seconde guerre mondiale.  

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