Virginie Martin : “Emmanuel Macron n’est pas gaullien, il est cynique”<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron a annoncé qu'il dissolvait l'Assemblée nationale et convoquait de nouvelles élections générales les 30 juin et 7 juillet 2024
Emmanuel Macron a annoncé qu'il dissolvait l'Assemblée nationale et convoquait de nouvelles élections générales les 30 juin et 7 juillet 2024
©LUDOVIC MARIN / AFP

Démocratie sous pression

Alors que le Rassemblement national est arrivé largement en tête des européennes, Emmanuel Macron a annoncé des législatives les dimanches 30 juin et 7 juillet.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Jean-Sébastien Ferjou : Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale dans la foulée des résultats aux européennes. Est-ce un piège pour le Rassemblement national ou un cadeau pour l'extrême droite ?

Virginie Martin : Emmanuel Macron nous a habitués à enjamber des élections et à faire fi, en fait souvent, des résultats. Typiquement sur les municipales précédentes, il a complètement ignoré les mauvais résultats de son parti politique. Cette fois-ci, dans un premier temps, il a acté le très mauvais score de sa candidate Valérie Hayer (Renaissance) et l'excellent score, historique en effet, de Jordan Bardella et du Rassemblement National. Il acte et en même temps il écrase tout de suite après cette élection européenne. Donc quelque part, il change un peu de tactique. Il n’enjambe plus tout à fait. Il prend acte pour mieux écraser les résultats. Emmanuel Macron reprend un peu le leadership et il redevient le maître des horloges. Toute la soirée électorale s'est déroulée autour de qui ? Autour d’Emmanuel Macron.

Parmi les dissolutions expérimentées précédemment sous la Ve République, celle-ci est celle qui prévoit le délai le plus court de campagne électorale. La démocratie sous pression reste-t-elle la démocratie ?

C'est une excellente question en effet, dans la mesure où la démocratie et le politique ont quand même besoin de temps longs ou d’un minimum de temps pour s'organiser, pour se coaliser, pour se mettre en ordre de marche, pour se préparer, pour mieux gouverner. Cela est vrai et a été beaucoup dit. Lors de la soirée électorale, les annonces du chef de l’Etat donnaient l'impression d'une espèce de coup de poker. Emmanuel Macron est toujours plus cynique avec les institutions plutôt que gaullien, contrairement à ce que son camp veut bien le laisser dire. Il n'y a rien de gaullien à sa décision de dimanche soir. Il s’agit d’un coup qui met encore évidemment à mal nos processus démocratiques qui doivent être pris dans la sérénité.

D'autant plus qu'aujourd'hui, quel que soit le gouvernement qui pourrait remplacer celui de Gabriel Attal, il serait en prise à la guerre en Ukraine, aux crises de Gaza, à l'organisation extrêmement délicate des Jeux olympiques, avec tout ce qui en découle, en termes de sécurité.

Emmanuel Macron joue quand même avec le feu. Il aurait pu acter cette défaite, mais pour ne pas l'acter complètement, il aurait pu réinventer encore un autre récit qui le remette au centre des débats.

Les candidatures pour les prochaines législatives doivent être déposées au plus tard vendredi prochain. Imaginez-vous une nouvelle forme de NUPES ou de nouvelles alliances électorales entre LR et Renaissance ? Et entre LR et le RN ou d’autres partis ?

Du côté de la gauche, il va falloir inventer une sorte de post-NUPES. Certains disent déjà que cela doit se faire sans Jean-Luc Mélenchon et sans cet esprit d'ultra conflictualisation. Mais est-ce que cette posture du PS est encore possible puisque sur les dossiers européens et internationaux, il y a eu des déchirures extrêmement profondes entre une liste dirigée par Raphaël Glucksmann et une liste dirigée par Manon Aubry. Il semblerait qu'Olivier Faure soit assez friand de cette NUPES.

L’énergie est du côté de la liste de Glucksmann et donc du Parti socialiste et de place publique, dans la mesure où leurs résultats sont bien meilleurs que ceux de LFI et évidemment bien meilleurs que ceux de Europe Écologie-Les Verts.

Une coalition des gauches pourrait créer la surprise et avoir une majorité, certainement pas absolue mais relative. Cette élection au suffrage universel majoritaire à deux tours leur est moins défavorable que pour d'autres partis de l'autre côté de l'échiquier politique.

A gauche, est-ce que ce projet pourrait être possible avec Jean-Luc Mélenchon comme figure tutélaire ?

Avec Jean-Luc Mélenchon il y a eu trop de conflictualisation, de polarisation et beaucoup trop d'instrumentalisation du conflit israélo-palestinien à des fins véritablement cyniques.

Jean-Luc Mélenchon a franchi un cap et des lignes rouges. Le PS aurait tout intérêt à se débarrasser de certaines de ces lignes rouges, notamment depuis le 7 octobre 2023, où les accusations d'antisémitisme sont relativement légitimes.

La droite va devoir clarifier qui elle est et ce qu'elle souhaite. Avec un score inférieur encore à 2019 de François-Xavier Bellamy qui était déjà tête de liste il y a cinq ans et qui n'améliore absolument pas son score, LR est presque invisibilisé. Peu à peu, malgré quelques happenings dans cette campagne, petit à petit, Les Républicains disparaissent. Que doivent faire Les Républicains ? Ils ont toujours des barons locaux relativement importants. Il ne faut pas les oublier mais ceux-là sont aussi parfois partis beaucoup du côté de la macronie.

Le PS renaît de ses cendres via son score aux européennes avec Gabriel Glucksmann qui est relativement correct, même s’il n’est pas porté par quelqu'un de socialiste et qui appartient au PS, il faut quand même le préciser.

Les Républicains vont devoir reprendre leur bâton de pèlerin et essayer de reconquérir leur propre électorat qui est parti plutôt chez Emmanuel Macron et ici ou là chez Marine Le Pen – Jordan Bardella et aussi chez Eric Zemmour. Certains partent de manière éparse du côté de l'extrême droite, d'autres définitivement chez Emmanuel Macron, comme on a pu le voir avec nombre d'entre eux.

Quelles sont les coalitions qu'il peut y avoir à droite et est ce qu'il y aura potentiellement cette union des droites que, seul pour l'instant, Eric Zemmour réclame de ses vœux ? Marion Maréchal a appelé à une coalition des droites. Est-ce une hypothèse réaliste pour le délai imparti ?

Cela paraît très compliqué. Ce serait une union des droites avec des sociologies électorales très différentes et cela n'est pas facile, au-delà du fait que Marine Le Pen a déjà refusé cette proposition aux législatives précédentes, et tactiquement, elle a plutôt bien fait. Par ailleurs, le RN et Reconquête ont des sociologies différentes. Marine Le Pen, le Rassemblement national et Jordan Bardella ont des sociologies électorales extrêmement populaires, CSP moins, avec des gens qui ont peu de revenus ou qui sont précaires. Ce sont essentiellement des actifs qui se sentent en voie de précarisation. Globalement, l'électorat de Zemmour était un peu plus bourgeois à la présidentielle. Aujourd'hui aussi, il y a un peu ce côté CSP moins mais toujours un peu plus diplômé. Ce n'est pas tout à fait l’électorat LR qui viendrait rejoindre une union des droites. Est-ce que ces électorats pourraient se cumuler ou est-ce que finalement pour Jordan Bardella ou Marine Le Pen se coaliser avec Eric Zemmour ou avec une partie des LR représente-t-il le baiser de la mort ? C’est effectivement probable.

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