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Vieux et jeunes cons : faut-il avancer l'âge de la majorité... ou le reculer ?
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Age de raison

Dominique Bertinotti, la ministre de la Famille, étudie un statut "pré-majorité". Ce dernier comprendrait le droit de vote à 16 ans pour les élections locales notamment, mais aussi la possibilité de créer une association ou une entreprise. 16 ou 18 ans comment savoir si les jeunes sont assez matures pour voter.

Atlantico : La ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, envisage la création d'un statut "pré-majorité" à 16 ans. Ce statut donnerait aux jeunes le droit de vote pour certaines élections, notamment au niveau local. D'une manière générale, faudrait-il avancer l'âge de la majorité ? Ou plutôt le reculer ? 

Bruno Cautrès : L'âge de la majorité électorale a toujours été une question débattue et l'objet de projets de réforme. Faire entrer la jeunesse dans la citoyenneté, "responsabiliser" le jeunesse, luter contre l'indifférence pour la chose publique sont des motifs souvent évoqués. L'histoire électorale européenne a montré, notamment à partir de 1950/1960 et plus encore dans le début des années 1970, un abaissement de cet âge : de 21 ans à 18 ans en Allemagne (1972) ou en France (1974) ou encore aux Pays-Bas (1972, après un premier abaissement de 23 à 21 ans une décennie plus tôt). Par ailleurs, dans de nombreux pays, Royaume-Uni, France, Canada pour ne prendre que quelques exemples, des réformes ont été entreprises par faciliter et anticiper l'inscription sur les listes électorales des moins de 18 ans afin de favoriser leur participation une fois atteint la majorité. En France, Lionel Jospin avait évoqué, dans la campagne électorale de 2002, l'idée d'abaisser la majorité électorale à 16 ans. En 2003/2004, la Commission électorale britannique a commandité une étude très approfondie sur cette question pour finalement recommander le maintien de la majorité électorale à 18 ans. La proposition de Dominique Bertinotti s'inscrit donc dans une un ensemble de réflexions conduite en Europe, voire en dehors de l'Europe, sur l'exercice de la citoyenneté chez les jeunes. Cette proposition est assez en cohérence avec le thème de la jeunesse, axe fort de la campagne de François Hollande. La question ne se pose pas vraiment en terme normatifs (faut-il ou pas le faire ?) mais en termes politiques : c'est toute la question de la compétence civique, de l'éducation civique, qui se pose en fait. Comment renouer les fils parfois fragiles, voire cassés, de la jeunesse avec l'espace public : les partis, les élections, l'engagement dans la société ?

Eric Deschavanne : La question de l'âge de la majorité ne fait pas débat dans la mesure où elle ne revêt aucun enjeu réel et sérieux. En 1792, l'abaissement de l'âge de la majorité à 21 ans visait à émanciper les fils (et les filles) de la puissance paternelle, en particulier en matière matrimoniale. La réforme de 1974 qui a établi l'âge de la majorité à 18 ans s'inscrivait dans le sillage de mai 68 : il s'agissait de donner le droit de vote à une jeunesse qui venait de faire irruption sur la scène politique.

Rétrospectivement, on peut cependant se demander si cette réforme ne constituait pas déjà un contresens historique : on a en effet abaissé l'âge de la majorité civique au moment même où s'amorçait la vague de démocratisation de l'enseignement secondaire et supérieur qui allait repousser les limites de la majorité sociale. Tous les seuils d'entrée dans la vie adulte ont été depuis différés, ce qui a eu pour conséquence de prolonger le temps de la dépendance économique et de l'immaturité sociale et politique. On peut juger la jeunesse soixante-huitarde irresponsable et pétrie d'illusions idéologiques, mais elle était à certains égards beaucoup plus mature, beaucoup plus impliquée par les problèmes du monde adulte que la jeunesse contemporaine. S'il fallait donc tenir compte de l'évolution du statut de la jeunesse dans la société afin de faire coïncider majorité civique et majorité sociale, il faudrait sans aucun doute reculer l'âge de la majorité ! En vérité, le statu quo ne dérangeait personne et il ne s'est pas manifesté que je sache une forte demande sociale en faveur du droit de suffrage des ados. Ce projet ne me paraît pas s'appuyer sur une doctrine des âges de la vie clairement constituée : il tient de la réforme gadget pour ministre désœuvré.

La ministre part d'un constat, qu'il y a une incohérence. "Nous avons des jeunes et des adolescents qui peuvent commencer à travailler à 16 ans, dont la majorité sexuelle est à 15 ans, avec des droits dans certains cas, mais aussi des incapacités dans d'autres", estime-t-elle. Partagez-vous ce constat ? S'agit-il réellement d'une incohérence et le droit de vote aux élections locales permettrait-il d'y mettre un terme ? 

Bruno Cautrès : Oui, il existe bien des incohérences entre la différents âge fixant des formes différentes de majorité : majorité légale, droit de vote, droit se présenter aux élections, majorité sexuelle. En Allemagne, certains Lander se sont engagés dans la voie du droit de vote à 16 pour les élections locales; au Brésil également depuis 1988 au plan national : le vote n'est pas obligatoire entre 16 et 18 ans, puis il est obligatoire entre 18 et 70 ans. Les conclusions de la Commission électorale britannique en 2004 montraient qui si une courte majorité seulement des 16-18 ans était favorable à l'idée, celle-ci était bien davantage soutenue dès lors que l'on proposait de l'accompagner de mesures d'éducation civique. Un argument est en effet souvent opposé aux partisans du droit de vote à 16 ou 17 ans : par rapport aux autres types de majorités, la majorité électorale ferait appel à une certaine maturité en termes de "compétences" politiques. Le droit de vote à 16 ans aux élections locales représenterait une mesure à forte portée symbolique pour François Hollande qui sans aucun doute prendrait soin de "contextualiser" cette réforme en montrant sa cohérence avec des mesures comme les emplois d'avenir.
Eric Deschavanne : C'est le plus mauvais des arguments. D'abord, si incohérence il y a, pourquoi faudrait-il y remédier par un abaissement de l'âge de la majorité ? Dans le monde éducatif, par exemple, il existe des forces syndicales qui militent pour que l'on repousse l'âge de la scolarité obligatoire à 18 ans (ce qui correspond approximativement à l'âge moyen de fin des études). Cela n'est pas forcément une bonne idée, mais cela se justifie sans doute davantage que le projet d'abaisser l'âge d'accès au droit de vote. Celui-ci est sous-tendu par le stéréotype jeuniste implicite selon lequel avancer l'âge d'entrée dans la vie politique constitue nécessairement une libération et un progrès : on se réserve sans doute la pour les législatures à venir (en politique, il faut savoir en garder sous la pédale) la possibilité d'abaisser l'âge de la majorité à 15 ans, puis à 14, puis à 13, etc... Et pourquoi pas, en effet ?! Si un adolescent de 16 ans, avant même d'avoir son Bac est jugé apte à voter, quel argument pourrait-on avancer pour refuser de reconnaître cette capacité à celui qui a un an de moins ? Pourquoi faudrait-il du reste s'arrêter en si bon chemin : à 13 ans, après tout, on se voit imputer suffisamment de capacité de jugement pour être entendu par un juge; à 7 ans, selon la tradition, l'âge de raison est atteint ... et n'oublions pas que le bébé doit être considéré comme une personne ! Ce qui est incohérent dans cette perspective - jeuniste et progressiste - c'est de ne pas octroyer le droit de vote à la naissance.
Plus sérieusement, il n'y a évidemment aucune incohérence à différencier les seuils en fonction des registres de la vie personnelle et sociale, et aussi en vue d'épouser le mieux possible le devenir d'une personnalité autonome. On ne bascule pas du jour au lendemain de l'enfance à l'âge adulte, et il faut que le droit s'ajuste à l'avènement progressif des capacités qui conduisent à la responsabilité adulte.

Au delà du vote, ce statut permettrait de simplifier certaines démarches comme créer une association, travailler ou créer un entreprise. Ce statut permettrait-il de responsabiliser plus les jeunes ?

Bruno Cautrès : La rhétorique de la "responsabilisation" de la jeunesse est une constante des politiques publiques en faveur des jeunes depuis de nombreuses décennies. Au-delà de cette idée qui semble séduisante, il faudra voir quels autre volets de ces politiques publiques produisent des effets positifs pour la jeunesse : en termes d'emplois, d'éducation, de prévention des risques. L'autonomie des jeunes est un vrai enjeu sociétal, économique et culturel ; avoir le droit de vote à 16 ans ne règle bien sûr rien en termes d'échec scolaire, de difficultés économiques des familles des jeunes, de difficultés à accéder au logement pour la jeunesse et pas seulement les 16-18 ans. Mais il s'agit d'une idée qui, inscrite dans un ensemble plus vaste, pourrait faire sens, notamment pour les élections locales : les collectivités locales gèrent certains des volets importants d'une politique publique de la jeunesse.

Eric Deschavanne : On ne "responsabilisera" pas artificiellement les jeunes par un abaissement de l'âge de la majorité. Ce qui éloigne les jeunes des responsabilités adultes, c'est l'allongement de la durée des études. On pourrait toutefois concevoir – ce serait plus audacieux - d'en finir avec la "police des âges" en faisant dépendre l'accès à la majorité civile non pas d'un âge déterminé, mais de l'entrée effective dans le monde du travail.

En revanche ce statut ne changerait pas les démarches juridiques, les moins de 18 ans ne répondront pas de leurs actes devant un juge "classique". Faut-il y voir une sorte de paradoxe : d'un côté on veut leur donner plus de responsabilités, mais ils n'ont pas à les assumer complètement ?

Eric Deschavanne: Il serait en effet paradoxal d'investir les adolescents d'une responsabilité politique sans leur reconnaître la pleine responsabilité personnelle de leurs actes. Le gouvernement de la Cité ne saurait raisonnablement être considéré comme plus aisé que le gouvernement de soi. L'irresponsabilité pénale ou l'atténuation de la responsabilité pénale sont justifiées par le fait que le mineur est considéré comme en âge d'être éduqué parce qu'encore non pleinement capable et autonome. Vouloir faire advenir l'exercice de la citoyenneté avant l'âge de la responsabilité pénale témoigne à l'évidence d'une perte du sens commun.

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