Vie (de moins en moins) privée : les Google glasses avec caméras intégrées débarquent au Royaume-Uni… et il n’y a vraiment pas de quoi s’en réjouir <!-- --> | Atlantico.fr
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Les Google glasses avec caméras intégrées débarquent au Royaume-Uni.
Les Google glasses avec caméras intégrées débarquent au Royaume-Uni.
©Reuters

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Claudia Joseph, journaliste pour le media britannique "Daily Mail" s'est récemment livré à une expérimentation des fameuses Google Glass dans les rues de Londres. Un fait anodin en apparence mais qui lui a permis de filmer des alentours de banques, des intérieurs de palais de justice ainsi que des particuliers retirant de l'argent

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Mesure t-on vraiment aujourd'hui le casse tête éthique et juridique que risque d'apporter la démocratisation des "lunettes intelligentes" ?

Fabrice Epelboin : Ca fait un bout de temps qu’on sait que ce genre d’innovation finira par arriver, déjà plusieurs années que Google a cela dans ses labos, et vingt ans que les militaires planchent sur le sujet. On commence a bien cerner le problème. Les lunettes qui filment ce que voit celui qui les porte, et communiquent avec un vaste système informatique, c’est tout de même un classique de la science fiction depuis un bout de temps.

Ce qui nous manque, aujourd’hui, c’est l’expérimentation. Comment notre culture, ainsi que d’autres, qui nous entourent, vont embrasser cette technologie, l’adopter, la rejeter, ou bien encore se la voir imposée.

On devrait assister à une redéfinition de ce qu’est l’espace public, une redéfinition de la frontière entre espace public et espace privé, voir considérablement se rétrécir ce que nous considérons - sans doute à juste titre - comme espace privé.

Vous noterez que cette mutation est en en tout point comparable à l’impact de Facebook sur la notion de vie privée, et de la redéfinition permanente faite par Facebook de la frontière avec la vie publique. Cette frontière est depuis déjà quelques années en renégociation continue, sous le feu d’intérêts commerciaux comme Facebook et Google. Qui plus est, elle est profondément remise en question par l’arrivée de la société de la surveillance, que Snowden a mis en lumière.

Avec la Google Glass - et Google ne restera pas bien longtemps sur ce marché -, ainsi qu’avec les innovations et les usages qui vont apparaitre derrière, nous allons vers une redéfinition complète de la frontière public/privé.

Google se défend pourtant en affirmant qu'un signal lumineux permet aux personnes alentour de deviner si elles sont enregistrées. Peut-on vraiment voir cet argument comme un garantie du maintien de notre vie privée ?

Bien sûr. Evidemment. Sony, lui aussi, se défend du fait que je puisse utiliser un jeu acheté au Japon sur ma console PS3 achetée en France, mais bon. Entre nous, hein. On s’en fout un peu. Je suis sûr que vous sauriez vous débrouiller pour faire sauter ce genre de protection, et je suis sûr que le type qui vous fourni ce genre de services vous désactivera, demain, cette “feature de sécurité”.

Cet argument est risible. Pire, contre productif. Il aurait tendance à exciter la curiosité des hackers qui se feraient une joie de faire sauter cette protection. Habituellement, à ce genre de jeu, c’est le célèbre Chaos Computer Club de Berlin qui gagne.

Par ailleurs, même si on pouvait garantir cela, je ne vais pas repérer cette lumière à 30 mètres dans la foule. Il faudra combien de temps à cette technologie pour repérer, zoomer et obtenir une image parfaite et stabilisée d’un objet distant ? 5 ans ? 10 ans ? En tout cas ça va arriver, donc autant nous préparer dès maintenant et anticiper.

Quelles régulations serait-il nécessaire d'imaginer pour éviter de transformer notre quotidien en un enfer juridique et numérique ? 

Transformer notre quotidien en un enfer juridique et numérique ? Franchement… Welcome to my world. Ca fait un bout de temps qu’on y est, en fait. Vous vous souvenez d’Hadopi ? Ben voilà. Voilà pourquoi les activistes parlaient à l’époque d’atteinte aux libertés fondamentales.

Le problème de la régulation de tout ça, c’est avant tout le régulateur. On compte sur les doigts de la main les députés qui sont en mesure de comprendre la technologie et ses impacts sociétaux. On ne va guère qu’assister à une lutte de vieux concepts juridiques qui font encore barrage. Le droit à l’image à de soucis à se faire, ses jours sont comptés.

Cependant, de plus en plus de gens réalisent que la “révolution internet” perturbe bien plus que l’économie, les médias ou le commerce. On va aussi assister à de profondes disruptions sociales et politiques. On entame déjà une perturbation profonde de la notion de vie privée.

Au delà de la technologie, le projet politique porté par Google est très clairement transhumaniste - un projet de transformation de l’humain par la technologie. Cela laisse entrevoir la prochaine étape. Il y a dans le transhumaniste de réelles perspectives, mais attendez vous à y voir un revival du concept du surhomme cher à Nietzsche.

Comment expliquer que malgré l'imminence de l'arrivée de ces nouvelles technologies les pouvoirs publics ne semblent pas disposés à légiférer davantage sur un sujet aussi crucial ?

Vaste sujet. Je doute qu’il n’y ait qu’une réponse, tant la capacité à penser les technologies et rare chez les politiques.

Je crois que pour une vaste majorité d’entre eux, ils ne comprennent absolument pas en quoi internet va tout changer, y compris les structures les plus profondes de l’identité, de ce qui fait société, et demain de l’homme - autant dire de l’humanité. Pour la plupart des politiques, c’est un sujet de geeks, qui ne représente pas un volume économique si considérable - en tout cas pour la France - et il y a des sujet autrement plus importants à traiter. Tenez, le chômage, par exemple.

Ensuite, au sein du petit club des politiques qui comprennent plus ou moins ce qui est en train de se passer, ils font déjà face à un problème de taille : Snowden. Il leur faut faire face avec l’arrivée de la société de la surveillance, avec la transformation panoptique de la société que la France a entamé, comme beaucoup d’autres nations sur Terre. Ajouter à la surveillance d’Etat la surveillance des pairs - avec Google Glass, tout le monde se surveille - est aussi un moyen de faire accepter la surveillance tout court. UMP comme PS, les deux “partis de gouvernement” ont accéléré l’arrivée de la société de la surveillance, au point qu’on peut même dire aujourd’hui que c’est pour ainsi dire le seul projet de société qu’ils portent réellement.

Cela fait des années qu’on installe dans l’indifférence générale des caméras de surveillance un peu partout (que le législateur à jugé bon de renommer vidéo-protection) - on sait maintenant que le projet final - INDECT - est assez peu réjouissant, et qu’il pose des problèmes éthiques au moins aussi grands que les Google Glass… Et pourtant, le législateur n’a pas l’air de s’y opposer.

Ceci dit, la balle n’est pas que dans le camp des politiques, et il faut aussi arrêter de prendre les citoyens pour des bœufs ou des moutons. Avec le simple droit à l’image, les procès pourraient se multiplier en France, établir une jurisprudence et pousser un agenda législatif. Il existe des moyens pour faire du lobbying citoyen, reste à voir comment la population française va accepter cette technologie. Après tout, les français ont accepté - contrairement aux allemands - la surveillance d’Etat, et l’affaire Snowden a été, ici, vite réglée. Il se pourrait bien que De Gaulle ait raison et que les français soient des veaux. On va bien voir.

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