Viande halal : le scandale sanitaire qui inquiète le web en est-il un ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’affaire Findus pose la question de la traçabilité de la viande. Consomme-t-on de la viande halal sans le savoir ?
L’affaire Findus pose la question de la traçabilité de la viande. Consomme-t-on de la viande halal sans le savoir ?
©Reuters

Les pieds dans le plat

Depuis que l'affaire Findus a remis sur le tapis la question de la traçabilité de la viande, des messages circulant sur le web s'interrogent sur le respect des principes d'hygiène dans le cas d'abattages rituels.

Frédéric Freund

Frédéric Freund

Frédéric Freund est président de l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattages (OABA) depuis 2006. Juriste de formation, il a été pendant plusieurs années chargé de travaux dirigés à la Faculté de droit de Nancy, puis chargé de cours à l’Université de Franche-Comté. Amoureux des animaux, il rejoint l’OABA en 2005.

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Atlantico : L’affaire Findus pose la question de la traçabilité de la viande. Dans son livre "Halal à tous les étals", Michel Turin relève que l'"on abat aujourd'hui beaucoup plus de bêtes selon le rituel halal que ne le justifierait la consommation de confession musulmane". Consomme-t-on de la viande halal sans le savoir ?

Frédéric Freund : Dans le cadre des abattages rituels juifs, les parties arrières des animaux ne sont pas consommées. De même, après inspection de la carcasse par le sacrificateur, il se peut que l’animal soit refusé en entier. Dès lors, que devient cette viande jugée "religieusement impropre" à la consommation ? Elle est dirigée vers les circuits "classiques" et approvisionne boucheries, hypermarchés et restaurants. Ce constat peut également être établi pour l’abattage rituel musulman : la consommation musulmane, principalement pour des raisons économiques, porte sur les avants et les abats. Mais une partie de la viande halal, non achetée par les communautés musulmanes, est alors dirigée vers les circuits classiques de distribution. C’est ce que les professionnels appellent "la complémentarité" des circuits.

Dans un rapport rédigé par le COPERCI (Comité permanent de coordination des inspections : Inspection générale de l’Administration, Inspection générale de l’Agriculture, Conseil général vétérinaires) remis non publiquement, en septembre 2005, à Messieurs les ministres de l’Intérieur et de l’Agriculture, il est précisé qu’une part "non négligeable de la viande abattue rituellement est vendue dans le circuit classique, sans mention particulière" : jusqu’à 60 % de la viande abattue selon le rite musulman et plus de 70 % de la viande abattue selon le rite juif se retrouveraient ainsi dans le circuit classique, à l’insu des consommateurs ! Un rapport confidentiel de novembre 2011, rédigé par 10 inspecteurs du Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces Ruraux (CGAAER) affirmait, au vu des chiffres de l’Unité d’audit sanitaire, que le pourcentage d’abattages rituels dans les abattoirs atteignait 51 %. Et de conclure : "Il existe bien une situation fragile où l’abattage rituel pourrait devenir la norme au lieu de rester une pratique dérogatoire".

L’Oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) a publié en janvier 2013 la liste des abattoirs qui ne pratiquent pas d’abattages rituels. La lecture attentive des arrêtés préfectoraux portant autorisation de ne pas recourir à l’étourdissement démontre que 56% des abattoirs pratiquent l’abattage rituel en France.

A partir du moment où les musulmans ont le droit de savoir si leur viande est bien halal, les non-musulmans ne devraient-ils pas être eux aussi informés ? 

Frédéric Freund : L’OABA n’entend pas remettre en cause l’existence de l’abattage rituel même si une évolution du rite d’abattage est souhaitable. En revanche l’OABA dénonce l’opacité du système de distribution des viandes halal et casher.

Nul ne peut raisonnablement critiquer le fait que les fidèles musulmans et juifs souhaitent consommer de la viande provenant d’animaux abattus selon leurs préceptes religieux. C’est la raison pour laquelle des circuits de distribution spécialisés et un étiquetage informatif (viande halal, viande casher) sont mis en place.

En revanche, il est inacceptable, au regard des textes assurant la liberté de conscience et de religion, que 7 % de la population française (6 % de la population française seraient de tradition musulmane et le judaïsme concernerait 1 % de ladite population selon les chiffres cités par le rapport de la Commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics) imposent un rite religieux d’abattage à 93 % de nos concitoyens.

Il se peut, bien évidemment, que des chrétiens ou encore des agnostiques acceptent de consommer de la viande issue d’animaux abattus selon les rituels juif ou musulman. Mais encore faut-il, pour que le consommateur puisse choisir en toute connaissance de cause, qu’il dispose de moyens de s’informer sur l’origine de la viande ! Or, à ce jour, cette information fait totalement défaut. C’est la raison pour laquelle l’OABA demande une nouvelle fois aux pouvoirs publics, la mise en place d’un étiquetage mentionnant le mode d’abattage des animaux. Une proposition de loi a été déposée en ce sens, le 17 janvier dernier par 25 sénateurs.

Dans une tribune la Droite libre affirme que la viande halal déroge aux principes reconnus en matière d'hygiène. Qu’en est-il réellement ?

Frédéric Freund : L’abattage rituel est doublement dérogatoire au droit commun :

  • d’une part, il déroge à la règle générale selon laquelle les animaux doivent être étourdis lors de leur abattage et ce, dans un souci de protection animale. Comme le précise un avis de l’ Agence nationale de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (ANSES) en date du 21 décembre 2012 : "le standard pour limiter la douleur au moment de l’abattage est le recours à l’étourdissement avant jugulation." Or, dans le cadre des abattages rituels, l’égorgement des animaux est réalisé sans étourdissement, ce qui occasionne une agonie post saignée qui peut durer de longues minutes (jusqu’à 14 minutes chez les bovins). Certains sacrificateurs acceptent l’étourdissement mais ils sont très minoritaires au sein de leur communauté.
  • d’autre part, l’abattage rituel consiste à trancher la gorge, la peau, les artères, et surtout la trachée et l’œsophage. Cela déroge donc aux principes généraux d’hygiène alimentaire fixés par le règlement européen n° 853/2004 du 29 avril 2004 applicable au sein des abattoirs européens. Ce règlement précise en effet que "la trachée et l’œsophage doivent rester intacts lors de la saignée, sauf s’il s’agit d’un abattage selon un rite religieux".

En pratique se pose donc le problème d’assurer la ligature de l’œsophage puisque ce dernier est tranché par le sacrificateur.

Pour certains vétérinaires, la section de ces parties lors des abattages, notamment chez les moutons ou les ovins, entraînerait un reflux du contenu des estomacs qui souillerait la coupe de la viande. Qu’en est-il exactement ?

Frédéric Freund : Pas uniquement pour les ovins mais également pour les bovins. Dans un article publié en 2008 dans le Bulletin de l’Académie Vétérinaire de France, le Dr Pascale Dunoyer, Chef du bureau des établissements d’abattage à la Direction Générale de l’Alimentation écrivait :

"Des pratiques liées à la mise en œuvre du rituel d’abattage peuvent avoir des conséquences en termes de salubrité et de sécurité des carcasses. Nous pouvons citer à ce titre le tranchage de la trachée et de l’œsophage qui peut provoquer le déversement du contenu gastrique (voire pulmonaire) sur les viandes de tête, de gorge et de poitrine. La pratique de la betiqua (inspection dans le rituel casher) peut avoir deux inconvénients majeurs : lorsque la betiqua est réalisée sur des carcasses au sol, la peau de l’animal peut être souillée. Ensuite, on note que la boutonnière réalisée en vue de l’inspection des viscères peut provoquer une fragilisation des attaches des viscères et un risque accru d’éviscération ratée avec souillure de la carcasse".

Ces risques peuvent être évités avec un parage de la plaie de saignée. En clair, une découpe est faite au niveau de cette plaie pour retirer la viande potentiellement contaminée. Mais dans les abattoirs à forte cadence, ce parage n’est pas toujours effectué ou alors pas toujours correctement effectué (découpe insuffisamment large).

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