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La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, accueille la nouvelle Première ministre italienne, Giorgia Meloni, au siège du Parlement européen à Bruxelles, le 3 novembre 2022.
La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, accueille la nouvelle Première ministre italienne, Giorgia Meloni, au siège du Parlement européen à Bruxelles, le 3 novembre 2022.
©VALERIA MONGELLI AFP

Comme un boomerang

Derrière les tensions entre le gouvernement français et celui de Giorgia Meloni se cacheraient aussi des calculs politiques sur les futurs équilibres au sein du Parlement européen. Et sur l’impact qu’ils pourraient avoir en retour en France.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Le président Italien est à Paris, dans un contexte de tensions entre la France et l’Italie, dans la foulée des critiques de Gérald Darmanin sur la politique migratoire de Rome. A quel point la manière dont Meloni incarne le pouvoir en Italie représente-t-elle une menace politique pour Emmanuel Macron (à la fois sur le plan européen et sur la scène nationale) ?

Rodrigo Ballester : Les tensions en matière de migration entre Paris et Rome ne datent pas d'hier et n’ont pas commencé avec l’arrivée de Meloni, elles sont récurrentes et ont eu lieu sous différents gouvernements de part et d’autre. De ce point de vue-là, ne cherchons pas midi à quatorze heures, la migration n’est pas un prétexte, c’est un vrai problème entre ces deux poids lourds de l’Union qui n’ont pas fini leurs désaccords sur ce sujet.

Ceci dit, l’arrivée de Meloni au pouvoir et ses premiers succès depuis qu’elle siège au palais Chigi changent en effet la donne sur l’échiquier européen. Pendant son ascension au pouvoir et surtout pendant la campagne électorale, l’establishment européen a crié au loup fasciste contre Meloni, l’a affublée de toutes les phobies possibles et imaginables, en a fait la caricature d’une soi-disant peste brune et la réincarnation des fantômes du passé, et… il n’en est rien, absolument rien. Meloni mène tranquilement sa barque, continue de gagner des élections locales et a insufflé un vent de stabilité politique dans un pays chroniquement instable. Et même si elle se montre conciliante et pragmatique à Bruxelles, elle déroule une grande partie du programme sur lequel elle s’est faite élire sans complexes et sans se laisser désarçonner.

En somme, elle incarne une sorte de droite tranquille, mûre, de gouvernement et qui s’engage dans les batailles culturelles. Une droite qui dit et agit, sans pour autant faire trop de vagues. Elle est donc le visage d’une alternative crédible qui dément tous les préjugés à son encontre et qui « fait le boulot ». A ce titre, elle a de quoi inquiéter les autres forces politiques plus usées, dont le centre macronien si présent dans les cercles européens.

A un an des élections européennes, certains disent que le PPE pourrait être dans une posture complexe. Est-ce le cas ? Si ce nouveau rapport de force venait à se confirmer, une union des droites au niveau européen, entre l’ECR de Meloni et le PPE, pourrait-elle être de mise ?

La posture du PPE est en effet complexe car en juin prochain, plus que jamais, il devra expliquer aux citoyens européens intéressés (et il y en a de plus en plus) son énorme contradiction : être un parti d’électeurs de centre-droit qui se comporte à Bruxelles en parti de centre-gauche, qui s’allie systématiquement avec les partis de gauche et participe (voire prends la tête) de tous les cordons sanitaires contre les partis de droite. Donc, la première question est de savoir si le PPE fera partie de cette union des droites européennes ou pas. Peut-être n’osera-t-il franchir le pas, prisonnier de ses propres contradictions et de son subconscient ? Ou peut-être sera-t-il le maillon faible de cette union car il n’osera jamais assumer ne serait-ce que quelques postulats basiques de droite? En outre, n’’oublions pas que le PPE est sur une pente descendante : aujourd’hui, seulement sept chefs de gouvernement sur vingt-sept appartiennent à cette famille politique.

Le PPE ne va pas disparaître, loin s’en faut. Il est même probable qu’il reste la première formation de l’assemblée européenne, mais il aura probablement moins de députés, aura un rôle moins hégémonique et continuera de se poser sa question existentielle : décidera-t-il cette fois-ci de suivre le mandat de ses électeurs et de regarder sur sa droite ? Ou va-t-il continuer sa politique d’alliance avec tous les partis à sa gauche, y compris les Verts et l’extrême gauche ? La balle est dans son camp.

Manfred Weber, le chef de file du PPE, s’était affiché avec Giorgia Meloni en début d’année à Rome, faisant beaucoup jaser. Est-ce le signe de tractations ? Les Etats majors des deux grands groupes européens et leurs composantes nationales y sont-ils prêts ?

C’est tout d’abord le signe d’un opportunisme politique asssez pitoyable de la part de Manfred Weber, qui à un an des élections essaye de redorer son blason conservateur et de se faire connaître. Ce n’est pas en faisant quelque peu jaser la bulle qu’on se bâtit une vraie notoriété. Weber est un parfait apparatchik bruxellois : porte-parole de son groupe, président de son parti, « spitzen kandidat » très malheureux à la présidence de la Commission européenne et… grand inconnu au-delà des cénacles européens, y compris dans son propre pays. Et surtout, il a un bilan à se faire pardonner auprès des électeurs de droite, celui d’un mandarin qui siège au Parlement européen depuis près d’une vingtaine d’années et qui agit de moins en moins, voire plus du tout, en politicien de droite. Depuis deux décennies, le PPE n’a en rien enrayé le virage progressiste et fédéraliste de l’UE. Que ce soit sur la migration, la politique climatique, la souveraineté nationale ou les « valeurs communes », le PPE a été complice voire l’une des forces motrices de cette dérive qui irrite des millions de conservateurs européens.

Quant à un possible ralliement de Fratelli d’Italia  au groupe PPE dont la presse se fait souvent l’écho, j’en doute énormément. Des alliances sur des sujets ponctuels oui, changer de camp alors que la marque ECR est en hausse et celle du PPE en baisse, c’est fortement improbable. Le PPE, incarne un certain immobilisme et le « mainstream », alors que Meloni c’est la force disruptive et tranquille prête à changer le cap du paquebot européen avec d’autres partenaires de droite.

Et outre, rejoindre le PPE serait une contradiction majeure de Meloni envers ses électeurs. Et si le PPE a pris l’habitude de gouverner en ignorant les siens, ce n’est pas encore le cas de Meloni. Et de toutes façons, il est vraiment prématuré et hasardeux de tirer des conclusions à ce stade.  Attendons le résultat des élections dans un an.

Dans ce contexte, faut-il y voir dans les tensions franco-italiennes des calculs politiques pour peser sur les futurs équilibres au sein du Parlement européen ? Quels sont les enjeux de ces discussions, pour Macron et Meloni ?

Disons que Meloni représente désormais un contre-modèle tout à fait crédible, une droite de gouvernement sûre d’elle qui dément par ses actions les épouvantails que certains brandissaient à tort et à travers et qui n’ont plus l’effet escopmté. Et cet exemple, en effet, peut être contagieux et représente donc une menace pour d’autres dirigeants qui jouent la carte électorale du centre et de la soi-disant modération. En outre, en toile du fond, se dessine également une rivalité entre deux poids lourds de l’Union Européenne et oui, vous avez raison, de deux modèles politiques radicalement différents. Deux modèles, que les électeurs, pour une fois, peuvent juger sur pièces. Et même si les différences en matière de migration entre l’Italie et la France ne sont pas un prétexte, ce sujet est emblématique et sera au cœur de la campagne électorale des prochaines élections européennes. Et sur ce terrain, le « modèle Meloni » est plus à même de séduire que le « modèle Macron ».

Quelles conséquences aurait une union des droites aux élections européennes ? A quel point Renew et Emmanuel Macron se trouveraient-ils cornerisés  ?

Tout dépend du PPE. Si celui-ci joue le jeu et entre de plain-pied dans cette alliance, il y a une vraie possibilité arythmétique d’une majorité de droite lors des prochaines élections. Dans ce cas-là, Renew, le parti centriste dominé par la République en marche - Renaissance, serait isolé et aurait un rôle testimonial. Mais c’est peu probable, à mon avis.

Au vu d’une trajectoire longue et, établie il est beaucoup plus probable que le PPE regarde sur sa gauche et continue sa politique récurrente d’union de « tous contre la droite » à laquelle il a activement participé. Dans ce cas de figure, RENEW continuerait d’être un parti influent et central au sein d’une coalition allant du PPE à l’extrême gauche et en passant par les Verts. Tout l’enjeu pour Macron et les centristes est donc de s’assurer de la fidélité du PPE au « mainstream » européen comme ils l’ont fait jusqu’à maintenant. Donc, qui sera acculé ? La droite du PPE ou la gauche du PPE, voilà la question. A noter, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, qu’en Europe, RENEW est l’allié fidèle de tous les partis qui, en France, font une opposition féroce au Président Macron.

Ceci dit, le scénario d’alliance ponctuelles entre partis en fonction des sujets pendant la législature est plus plausible. Et encore une fois, le PPE aurait un rôle déterminant de parti pivot autour duquel tourneraient ces coalitions circonstancielles. Mais pour cela, encore faut-il qu’il se comporte à Bruxelles comme ses électeurs le souhaitent, et non comme ses dirigeants ont l’habitude de le faire. Ce qui est loin d’être acquis.

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