Vers une défense zéro ? Et maintenant l’Union européenne considère que l’industrie de l’armement est « socialement toxique »<!-- --> | Atlantico.fr
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Les dirigeants de l'UE participent à une table ronde lors de la deuxième journée du sommet de l'Union européenne (UE) au bâtiment du Conseil européen à Bruxelles, le 22 octobre 2021.
Les dirigeants de l'UE participent à une table ronde lors de la deuxième journée du sommet de l'Union européenne (UE) au bâtiment du Conseil européen à Bruxelles, le 22 octobre 2021.
©Olivier Matthys / POOL / AFP

Industrie de l'armement

Bruxelles travaille sur la mise en place de nouveaux critères écologiques pour rendre les investissements plus durables. Un nouveau label dont seraient pour le moment exclues les industries de défense européennes, ce qui pourrait coûter très cher au secteur si le projet était adopté en l'état.

Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

Voir la bio »

Atlantico: L’Europe réfléchit à construire de nouveaux critères pour rendre les investissements plus durables. Ainsi, des discussions sont en cours pour l’instauration d’une taxonomie européenne environnementale, mais aussi sociale qui pourrait définir les activités qui contribuent positivement à la société, soit celles qui ne font aucun mal significatif et celles qui sont nuisibles. Et bien évidemment dans des propositions de projet l’industrie de La Défense a été regroupée avec le jeu et le tabac comme nocif. En qualifiant la défense comme nocive, certains membres de la Commission européenne oublient-ils l’importance de l’industrie pour l'UE ?

Jean-Bernard Pinatel: Bien plus que cela, les technocrates de la commission affichent par cela leur soumission aux Etats-Unis pour assurer la défense de l’Europe et en cela ils font un pari très risqué car l’ennemi pour les Etats-Unis est aujourd’hui la Chine et le théâtre d’affrontement est le Pacifique et la mer de Chine où ils ont redéployé la majorité de leurs forces armées. Et on peut douter qu’ils prendront le risque nucléaire pour défendre les européens. D’ailleurs en dehors de la France qui a une industrie de Défense capable de produire tout ce que nos armées ont besoin, pour peu qu’on lui en passe commande, aucun autre état européen n’est capable de le faire ; bien plus en grande majorité ils se fournissent de matériels américains et ont donc renoncé à toute autonomie stratégique et sont incapables de mener une action militaire sans leur consentement. Alors que la France protégée par la dissuasion nucléaire dispose de cette autonomie stratégique.

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Étiqueter l’industrie de la défense comme nuisible pourrait-il limiter les capacités des entreprises de défenses à investir sur l’avenir et avoir le soutien des gouvernements ?

Les industries de défense sont celles qui dépensent le plus en recherche et développement et c’est cela qui intéresse et attire les meilleurs scientifiques et ingénieurs. Quant à l’investissement dans ces industries,  il dépend des spécifications et des commandes de l’armée françaises et des succès dans les exportations. La commande par les émirats arabes unis de 80 rafales montre que la France dans ce domaine reste la quatrième puissance mondiale.

L’instauration d’une telle taxonomie pourrait-elle décourager les entreprises civiles avec les militaires ?

Non ; tous les sous-traitants qui orbitent autour des leaders de ce secteur resteront intéressés quelques soient cette qualification et sa concrétisation car les commandes d’armement les font progresser en matière de R&D et de qualité. Par ailleurs beaucoup des technologies qu’ils développent pour ces contrats ont une vocation duale et leurs donnent un avantage compétitif sur le marché civil en matière de produits, de services et d’image.

Cette taxonomie fait-elle état d’une philosophie anti-défense dans certains pays de l’Union ? Certains pays préfèrent-ils laisser leur défense à des pays tiers qu’investir à ce propos ? Va-t-on mettre au rebut toute ambition d’indépendance stratégique ?

Cette taxonomie est le produit d’une technostructure irresponsable que beaucoup de chefs d’état ont renoncé à contrôler. Enfin je rappelle que la défense ne rentre pas dans les missions de la commission fixées par les traités et donc il suffit de considérer comme nul et non  à venu cette classification grotesque.

Les Émirats arabes unis viennent de signer un contrat sur l'acquisition de 80 avions de combat français. Il s'agit d'une commande ferme, la plus importante jamais signée par Dassault Aviation. Cette signature a eu lieu ce vendredi matin, lors de la première étape, aux Emirats arabes unis, de la tournée régionale d'Emmanuel Macron dans le Golfe. Cette signature est-elle le signe que, en matière militaire, prédomine toujours les intérêts nationaux sur une potentielle coopération européenne ?

D’abord la signature d’un contrat pour la vente de 80 rafales en configuration F4 est, à double titre, une très bonne nouvelle car elle vient conforter le lancement en janvier 2019 du développement d’un nouveau standard majeur, le F4 qui fera du rafale un avion capable de se hisser au niveau des avions de 5ème génération comme le F35 américain ou le FC-31 chinois, furtivité en moins. Ce contrat est aussi bienvenu pour notre industrie de Défense, ses leaders comme Dassault, Thalès et Safran mais aussi pour les 800 entreprises sous-traitantes impliquées dans ce projet. Il aura un impact positif sur l’emploi industriel car Dassault va devoir au moins doubler sa chaine de montage et les sous-traitants embaucher aussi. Ce contrat va avoir en plus un impact opérationnel car il va permettre d’accélérer la mise à niveau de notre flotte au standard F4 qui porte essentiellement sur 4 domaines : l’armement, l’interconnectivité, l’amélioration des capteurs et le soutien et la disponibilité des appareils.

En revanche, il enlève des arguments de poids à tous ceux qui poursuivent le rêve d’une Europe de la Défense et d’une coopération en matière d’armement d’autant plus que, depuis 50 ans, les projets de coopération européenne en matière d’avion de chasse lancés par les dirigeants politiques ne se sont jamais concrétisés pour la France pour plusieurs raisons. Les besoins ne sont pas les mêmes en Allemagne et en France. La France a besoin d’un avion capable d’apponter sur un PA et de transporter l’arme nucléaire. Ce n’est pas le cas pour les allemands. Par ailleurs, le niveau technologique et les savoir-faire de la France en matière d’avion de chasse sont supérieurs à ceux de l’Allemagne ; se pose alors le défi de la protection de nos expertises. Ensuite si l’attribution de la maitrise d’œuvre à la France finit par s’imposer, la protection de nos expertises est difficilement compatible avec une répartition au prorata des commandes de la charge industrielle. Enfin, fabriquer en coopération avec l’Allemagne limite les pays vers lesquels on peut exporter. Last but not least, la coopération accroit les délais et les coûts. Enfin l’Allemagne qui dépend de la protection américaine est beaucoup moins favorable que nous pour ces projets et n’accepte de coopérer que si elle tire un bénéfice industriel suffisant, ce qui est peu compatible avec la protection de notre avance technologique.

Au final, l’Europe de la Défense est un projet politique essentiellement porté par la France qui trouve peu d’écho chez nos partenaires qui ont fait le choix de remettre leur défense dans les mains des américains. La pire erreur serait que la poursuite d’un objectif politique chimérique se fasse au détriment de notre industrie d’armement et de l’emploi industriel en France qui est déjà deux fois moins important en pourcentage qu’en Allemagne.

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