Vers une coalition d’union nationale ? La grande illusion des saint-simoniens du macronisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Face au défaut de majorité, beaucoup commencent à penser à une grande coalition d’union nationale.
Face au défaut de majorité, beaucoup commencent à penser à une grande coalition d’union nationale.
©Aurelien Morissard / POOL / AFP

Risque

Face au risque de défaut de majorité après le second tour des législatives, beaucoup commencent à penser à une grande coalition d’union nationale.

Jean-Louis Margolin

Jean-Louis Margolin

Jean-Louis Margolin est historien spécialisé sur l'Asie orientale moderne et contemporaine, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure (Cachan). Prochain ouvrage à paraître aux éditions Perrin: L'autre Seconde Guerre mondiale: de Nankin à Hiroshima.

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Atlantico : Face au défaut de majorité, beaucoup commencent à penser à une grande coalition d’union nationale. Pourquoi les macronistes agissent comme des techniciens de l’ingénierie sociale en pensant tout résoudre à travers un gouvernement technique ou des tableurs Excel en appliquant la méthode McKinsey sur des sujets comme la lutte contre le trafic de drogue via de nouvelles lois ou la nomination de préfets ? Ce projet de coalition nationale n’illustre-t-il pas la grande illusion des saint-simoniens, de la majorité présidentielle, et une erreur de gouvernance politique ?

Jean-Louis Margolin : Je ne suis pas sûr que la référence à Saint-Simon, dont je ne sais si elle prévaut réellement dans le camp présidentiel, soit principalement celle-là. Ce penseur de l’utilité sociale, au début du XIXe siècle, en un temps où les technologies modernes ne tenaient en fait que peu de place (y compris dans l’industrie), entendait plutôt favoriser les « faisant » -industriels, ingénieurs, savants, banquiers, négociants…- face aux élites traditionnelles, nobiliaires ou ecclésiastiques. Les héritiers de Saint-Simon, mort dès 1825, se répartirent entre communautés autonomes de producteurs, ancêtres en quelque sorte des hippies ou des actuels zadistes, et conseillers économiques de Napoléon III. Un gouvernement de techniciens, tel qu’envisagé par d’aucuns, et comme cela a existé dans quelques pays (Italie, Thailande, Indonésie…), est surtout là pour expédier au mieux les affaires courantes dans une situation de blocage politique, et préparer dans le calme de nouvelles élections. Il est généralement d’assez courte durée, et ne prétend certainement pas tout résoudre. Il y a au moins un cas où le « technicien » s’est transformé en dictateur, pour quarante ans : au Portugal, en 1928, avec Oliveira Salazar.
Cette solution apparaît peu praticable en France, où le démon de la politique envahit tout : les techniciens, s’ils s’avisaient de sortir un tant soit peu de la gestion de courte durée des affaires courantes, se verraient immédiatement accusés de partialité, et désavoués par une partie au moins du spectre politique.

En quoi est-ce arithmétiquement impossible de mettre en œuvre cette coalition nationale ? Le parti présidentiel pourrait-il bâtir une majorité capable de résister à une conjonction RN et LFI ? Y a-t-il suffisamment de députés qui seraient réellement prêts à bâtir cette coalition malgré les divisions programmatiques ?

D’abord on ne connaît pas encore la composition de la prochaine Chambre. Le plus probable est la présence d’une « majorité de blocage », entre RN et LFI. Cela contraindrait toute coalition, même large (des socialistes aux Républicains), à louvoyer entre des motions de censure des deux extrêmes, qui cependant hésiteraient à mêler leurs votes. D’autre part, les programmes apparaissent trop éloignés pour ne pas susciter l’immobilisme, au travers de leur annihilation réciproque. Mais celui-ci ne serait pas non plus une option, les extrêmes ayant beau jeu de lui opposer leurs pseudo-solutions mirifiques. Ne pas faire grand’ chose serait leur ouvrir un boulevard lors des élections subséquentes. A gauche, hors LFI, les appels du pied au centre et à la droite n’ont pas manqué… mais c’est pour exiger que la coalition se bâtisse autour du programme du NFP (lui-même proche de celui de LFI, on le sait), sous prétexte que la gauche fournirait les plus gros bataillons (ce qui reste à voir). On voit mal Ensemble accepter la retraite à 60 ans, en annulant une réforme si chèrement payée, ou LR admettre la régularisation de tous les sans-papiers. Un point d’accord possible serait cependant le retour au scrutin proportionnel, qui aurait l’avantage de bloquer définitivement le RN dans sa tentative de conquérir le pouvoir seul. Le maintien d’une attitude de fermeté face à la Russie, et de respect des engagements politiques et militaires internationaux (UE, OTAN…) constituerait un autre élément commun, évidemment essentiel dans les périlleuses circonstances actuelles.

Le choix d’une grande coalition ne risque-t-il pas d’augmenter le sentiment de déni de démocratie comme lors du référendum de 2005, le verdict des urnes de dimanche n’étant pas respecté ?

C’est un écueil possible. Les électeurs du RN seraient terriblement déçus de ce que l’énorme bond en avant de leur parti se heurte à une porte du pouvoir en toute hâte refermée. Et cela donnerait une force renouvelée aux diatribes de l’extrême-droite contre le « complot » des élites en place, prêtes à tout pour sauver leurs privilèges et leur domination. Cela fragiliserait par avance toute coalition des actuels partis de gouvernement.

Il serait cependant difficile de parler de déni de démocratie, l’extrême-droite ne s’étant assurée le 30 juin qu’un gros tiers des voix. Les autres votants ont voulu signifier qu’ils préféraient que Jordan Bardella et Marine Le Pen ne forment pas le prochain gouvernement, même si leur hostilité au RN est d’intensité variable, et si beaucoup se défient au moins autant de La France Insoumise et de son tonitruant leader aux ambitions intactes. Il importerait en tout cas qu’une coalition au pouvoir cherche à répondre à certaines au moins des inquiétudes manifestées par la vague RN, sans les minimiser ou leur opposer un discours moralisateur. Sous peine de voir la vague gonfler encore aux prochaines échéances électorales, et cette fois tout emporter.

En quoi la France est inadaptée aux coalitions et est bien différente de la Belgique, de l’Italie ou de l’Allemagne ? Ces pays ne sont-ils pas beaucoup plus décentralisés ? N’y a-t-il pas nettement moins de grandes décisions politiques à prendre au niveau national dans ces pays ? 

Il est vrai que la nature fédérale ou semi-fédérale des pays précités (on y ajoutera la Suisse et l’Espagne, pour s’en tenir à nos voisins immédiats) entraîne de facto un partage des pouvoirs entre à peu près tous les partis d’un certain poids. Ceux qui ne gouvernent pas dans la capitale administrent telle ou telle région. Incidemment, cela rend plus délicate la présentation de programmes démagogiques : le parti qui s’y risquerait se verrait immédiatement opposer sa propre gestion à tel ou tel niveau de l’appareil d’Etat, forcément plus prudente. Le caractère proportionnel des scrutins, partout sauf au Royaume-Uni, renforce la nécessité de coalitions, car il est rare qu’un parti puisse parvenir seul à la majorité absolue.
Les grandes décisions, celles qui engagent l’avenir du pays, voire celui du monde (on songe à la transition climatique, aux alliances, à la politique militaire), sont pourtant toujours prises au centre. Les coalitions les plus hétéroclites (comme celle qui dirige actuellement l’Allemagne) se trouvent handicapées pour répondre à ces nécessités, et surtout à le faire suffisamment vite. Elles lorgnent parfois avec envie sur notre Vème République, où l’unité décisionnelle est la règle.
La rançon de cet avantage est le glissement vers la paralysie quand cette unité se trouve gravement désavouée, comme c’est le cas aujourd’hui. Alors, la coalition, un recours ? On rappellera que nos IIIe et IVe Républiques vécurent presque en permanence sous ce régime, pendant la bagatelle de 79 ans. Et que, si beaucoup de gouvernements y furent éphémères, d’autres fort médiocres, cela n’empêcha pas de grandes réalisations dans tous les domaines, et pas davantage la victoire dans la Grande Guerre. L’histoire de la France républicaine ne commença pas en 1958…  

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