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Ventes aux enchères : comment les marchands d'art se mettent d’accord pour ne pas monter les prix (et se partagent ensuite le bénef’ à la revente)
©Reuters

Bonnes feuilles

Jean-Bernard Bonnot est un Parisien au chômage, qui vit d'expédients, et donne quelques cours de philosophie. La trentaine, marié, un enfant, il écrit un livre sur Drouot. Un jour, il fait la connaissance de Marlene, une Américaine fortunée qui va l'introduire dans le monde opaque des marchands de tableaux. Giordano, un italien, lui explique combien sont ambiguës les attributions et très approximatives les expertises. Il lui révèle surtout comment fabriquer de faux tableaux anciens... Extrait de "Faussaire", de Jules-François Ferrillon, publié chez les Editions l'Age d'Homme (2/2).

Jules-François Ferrillon

Jules-François Ferrillon

Jules-François Ferrillon est né à Alger. Après des études de philosophie, il voyage plusieurs années en Australie, Philippines, Nouvelle-Zélande, Madagascar et en Nouvelle-Calédonie où il crée une radio locale et devient journaliste pour un magazine dans le Pacifique Sud.

Retour en France métropolitaine où il est professeur de philo et publie un livre sur l'Inde ancienne préfacé par Alain Danielou, "l'Inde millénaire face à l'Occident".

Il est ensuite courtier en tableaux anciens, puis devient producteur de documentaires. Il réalise des courts-métrages et un film pour le cinéma intitulé : "Images de femmes ou le corset social" (Doriane). Il partage aujourd'hui sa vie entre Nice et Paris. "Faussaire" est son premier roman.

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Puis ce fut un paysage flamand qui devait figurer dans un prochain catalogue raisonné. « Peu de restaurations, fit l’expert, bon état général, et nous commençons pour ce beau tableau à… quinze mille. »

Quinze mille ?! Sortis d’où ?! On n’en sait rien, c’est une vue de l’esprit ! Tableau attribué… Suiveur de… Dans le goût de… On n’est pas bien sûr. C’est vague, hypothétique ! Il a raison l’expert puisque c’est lui qui le dit ! C’est l’expert ! Il sait ! Et ça monte… fort ce coup-ci ! Ils sont trois, quatre à s’exciter. Curieux qu’ils aient pas fait la révise ?! Une chose courante qui consiste à se mettre d’accord entre marchands pour ne pas monter les prix ! Ils se partagent ensuite le bénef’ à la revente. Faut dire que le paysage flamand c’est sans risque ! C’est non religieux ! Mais attention, hein, faut que ce soit beau ! Le beau ?! Oui, un concept ! Un truc qui tient au travail du peintre.

Allez hop, coup de marteau, adjugé à un habitué.

« Nous allons vendre maintenant le lot numéro 3. Un très beau tableau italien du début de xve représentant une Vierge à l’Enfant entre saint Pierre et saint Jean-Baptiste. Et nous commençons les enchères à… 200.000, j’ai preneur ! 250, 300, 320, 340, 360, 400, 420… »

Les enchères c’est surtout excitant pour le novice. Ça reste un frisson réglementé ! Une question d’habitude et de pouvoir d’achat. Un rituel sans imprévus. Les marchands sont là pour acheter ce qu’ils revendront avec un confortable bénéfice, les commissaires-priseurs sont là pour obtenir le meilleur prix, et les gogos sont là pour se faire couillonner un maximum. Correct ! « 520, 540, 560… » Les comptes sont ronds. Ça pourrait faire négligé d’introduire des centimes ; nous sommes entre gens de qualité. « 580… Y a-t-il preneur à 580 ?… »

Voilà, ça commençait à s’épuiser, le héros allait pouvoir entrer dans la course.

« 600, 640 ? 640 oui, 700 ?… » Y avait bien une ou deux mains qui bougeaient encore, mais elles perdaient progressivement de leur vigueur. « 720, 760, 760 sur la droite. 800 ?… Allons, allons Messieurs ! » Plus de conviction, plus d’ardeur, ça n’atteindrait pas les sommets espérés. À peine si on franchirait les 900. David garda le bras en l’air, largua les rares irréductibles qui s’acharnaient à vouloir encore y croire, et l’oeuvre lui fut bientôt acquise tandis que Giordano le regardait sans mot dire.

« Huit cent cinquante mille, adjugé ! Très bon achat ! » fit l’expert au héros.

C’est ça, très bon achat, pensa David lorsqu’on lui remit le bordereau d’adjudication.

Il alla faire le chèque et songea, non sans malice, qu’il venait ainsi de gagner trois années de salaire d’un cadre sup’, un an pour un élu du peuple. En dix minutes à peine !

Journée chargée pour le moins.

Lire la première partie de cet extrait en cliquant ici.

Extrait de "Faussaire", de Jules-François Ferrillon, publié chez les Editions l'Age d'Homme, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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