Ventes à perte, baisse des prix de l’essence et environnement : 6 petites vérités qu’on se garde d’aborder dans le débat public<!-- --> | Atlantico.fr
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Un automobiliste à la pompe à essence (illustration)
Un automobiliste à la pompe à essence (illustration)
©Philippe HUGUEN / AFP

Carburant

L'autorisation de vente à perte sur les carburants devrait voir le jour au 1er décembre 2023 pour une période de six mois. Mais si la mesure vise à faire baisser les prix à la pompe, elle est bien souvent contre-productive

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Atlantico : En France, les prix du carburant ne cessent d’augmenter… Tant et si bien que l’essence est désormais à son plus haut de l’année. Nombreux sont ceux qui argumentent qu’il serait contreproductif, sur le plan climatique, de réduire les prix parce que cela enverrait un mauvais signal aux usagers de la route, arguant que ceux-ci ne chercheraient plus à réduire leur consommation. Que répondre à un tel argument ?

Jean-Pierre Favennec : Il est exact que le signal prix est toujours un signal fort et que, dans une majorité des cas, il commande les consommations. Deux remarques, néanmoins : dans le cas de l’essence, l’effet prix a un impact assez limité sur la consommation. Une augmentation de 10 ou de 20% du prix de l’essence se traduit par une réduction de 1 ou 2% de la consommation, ce qui illustre bien que l’effet n’est pas très important. L'élasticité des prix du carburant est donc assez faible. 

Du reste, le prix de l’essence dépend de plusieurs facteurs parmi lesquels : 

  • Le prix du pétrole brut, qui est en train d’augmenter sérieusement.

  • La marge de raffinage, ce qui correspond au coût de transformation du brut en produit pétrolier dans la raffinerie. Cette marge a considérablement augmenté depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. 

  • Les frais de distributions, qui sont des frais de personnel, d’amortissement d’installation (dépôts, stations service, etc)..que l’on paye en France.

  • Les taxes, qui représentent une part importante du prix final de l’essence.

Dès lors, le prix du carburant dépend essentiellement d’éléments extérieurs. Une bonne partie du prix final est déterminée par les pays producteurs de pétrole. Ensuite, si l’on veut réduire les prix, ainsi que nous l’avions fait en 2022, il s’agirait pour l’Etat de mettre en place des subventions ou une réduction des taxes. Cette réforme avait alors coûté plusieurs milliards d’euros à l’Etat et, en l’état de nos finances, ce n’est sans doute pas une très bonne idée de recommencer.

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D’une façon générale, on constate que la consommation d’énergie - et donc la consommation de pétrole - a tendance à diminuer dans les pays européens. C’est vrai par rapport à 1973, mais ça l’est aussi dans l’histoire plus récente. Cela s’explique de plusieurs façons : les véhicules consomment moins et les hausses de tarifs jouent à la marge. Ce n’est pas très conséquent, mais c’est là.

La vente de carburant à perte, que le gouvernement a décidé de rendre possible d’ici le début du mois décembre, constitue-t-elle une bonne idée selon vous ? Pourquoi ?

La vente à perte, pour les carburants automobiles (essence ou gasoil) est une fausse bonne idée. Ne perdons pas de vue qu’il existe différents types de stations services. D’un côté, il y a les stations services des grandes surfaces, comme Leclerc, Carrefour, Intermarché etc … qui vont vendre des quantités très importantes de carburant avec un investissement très faible. Dans les années 1960, la distribution en France était très archaïque. Elle reposait sur des petites boutiques, en centre-ville, qui vendaient très cher et en petite quantité. L’idée de vendre en grande quantité a ensuite inspiré la nécessité de grandes surfaces (et donc de l’installation en banlieue où les ériger). Puisqu’il fallait dépenser de l’essence pour gagner ces magasins, les commerciaux ont alors eu l’idée de mettre à disposition du consommateur de l’essence si possible bon marché. Les grandes surfaces, après réflexion, ont donc dû construire leurs propres stations-services. Les couts des installations de distribution des grandes surfaces sont faibles mais les quantités vendues sont très importantes. Ce sont des milliers de mètres cubes qui sont commercialisés tous les mois. Les coûts au litre sont donc très faibles

La station classique que l’on retrouve sur les routes se concentre sur une seule activité : la vente de carburant. Dans cette station les couts au litre sont beaucoup plus élevés car les investissements sont plus lourds et les quantités vendues sont plus faibles.  La station d’autoroute, pour sa part, est soumise à des contraintes spécifiques telles que l’ouverture et la disponibilité permanente, par exemple. Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que le prix de l’essence au litre peut grimper jusqu’à 2,30 euros en station d’autoroute quand il tombe à “seulement” 1,80 euro dans les stations de grande surface. Une différence de cinquante centimes est énorme.

Si la grande surface vend à perte, la perte est marginale. L’objectif, pour elle, n’est pas de vendre du carburant, c’est d’attirer le consommateur à l’aide d’une manœuvre commerciale pour vendre le reste des produits proposés au sein de l’enseigne. Pour la station service de ville, où la seule activité est la vente de carburant, la vente à perte est l’assurance de devoir mettre la clef sous la porte au bout de quelques mois tout au plus.

Dans quelle mesure la hausse des prix actuelle n’est-elle pas auto-infligée ? Ne faudrait-il pas jeter le blâme sur les injonctions à la disparition des moteurs thermiques et, dès lors, la réduction des investissements des entreprises pétrolières dans leur capacité de raffinage ? 

Les capacités de raffinage, en France, sont en diminution à peu près permanente. En 1973, avant le premier choc pétrolier, nous avions 23 raffineries. Aujourd’hui, il doit en rester 5 ou 6 en opération. Les capacités de raffinage de l’Hexagone ont été divisées par 2. Cela tient au fait que la consommation de produits pétroliers a diminué. Les chocs pétroliers ont, assez logiquement, entraîné une baisse de la consommation de fioul, un produit lourd. La consommation de gasoil, par la suite, a considérablement augmenté. Il y a dix ans, la France consommait environ 80 millions de tonnes par an. Il y a cinquante ans, elle montait à 120 millions de tonnes à l’année. Aujourd’hui, elle est tombée à 70 millions de tonnes. Dès lors, il est normal que le nombre de raffinerie chute lui aussi et il nous faut, par conséquent, importer une partie du carburant que nous utilisons. Cela n’a pas d’impact, cependant, sur les outils de raffinage et de distribution, qui demeurent suffisants pour pallier les besoins actuels sans nécessité de creuser de nouvelles fosses.

Il ne faut pas non plus oublier que les prix des produits pétroliers, sur le marché international, demeurent relativement similaires partout dans le monde. Le prix des produits à la sortie d’une raffinerie française ne diffère pas beaucoup de celui à la sortie d’une raffinerie hollandaise, par exemple, car la concurrence joue et les coûts de transport sont faibles. 

Il y a quelques années, il fallait ajouter environ 3 dollars de raffinage et 3 dollars de transport au prix du baril de pétrole pour obtenir le prix moyen des produits à la sortie de la raffinerie hors taxes. Désormais, on rajoute toujours 3 dollars de transport en moyenne (peut-être un peu plus du fait de la crise)… mais 15 dollars pour le raffinage, environ. Cela vient du fait que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une forte modification des flux de produits. La Russie exportait non seulement du brut mais aussi des produits pétroliers vers l’Europe et il faut trouver ces produits ailleurs.  

Du reste, les investisseurs n’ont plus d’intérêt à se pencher sur le raffinage : le marché va diminuer dans quelques années, avant la fin de la durée de vie de nouvelles stations récemment construites. Cela aussi engendre des tensions.

Pendant des années, le gouvernement a encouragé les constructeurs automobiles à miser sur le diesel tout en encourageant l’industrie pétrolière a opté pour le sans-plomb. Quelles en sont les conséquences aujourd’hui ?

La France a cela de spécifique que c’est un pays ou le diesel s’est particulièrement développé. Le parc diesel représentait, il y a peu, entre 60 et 70% de l’ensemble des véhicules en circulation. Cela s’explique assez simplement : la même voiture, équipée d’un moteur à essence, consommait alors 8 litres au 100. Si l’on remplaçait ce moteur à essence par un modèle à diesel, la consommation chutait alors à 6 litres au 100. La différence est considérable, y compris d’un point de vue écologique ! Les émissions de CO2 sont, toutes choses égales par ailleurs, plus faibles avec un moteur diesel. 

Le diesel gate, révélé en 2015, a permis de réaliser que les voitures diesel émettaient en réalité beaucoup plus de particules que ne le laissaient croire les émissions observées lors de tests sur des bancs d’essai. Cela a évidemment coûté très cher, tant aux nombreuses compagnies automobiles qui ont été sanctionnées qu’au diesel en lui-même.

Depuis, me semble-t-il, les producteurs automobiles ont fait de gros progrès du côté des filtres à particules dont sont équipés les moteurs diesel. Nous pourrions sans doute, tout en conservant un parc diesel important, ne pas souffrir d’une hausse de la pollution comparativement aux émissions engendrées par un par essence similaire. Hélas, c’est un discours qu’il est difficile de porter, car il n’est pas jugé politiquement correct et, de toute façon, c’est tout le parc thermique qui est désormais remis en cause. Les voitures thermiques seront bientôt remplacées par les voitures électriques.

La réduction des émissions de CO2 est, théoriquement, assurée. Mais il faut aussi poser la question de la consommation de matières premières nécessaires à la production de ces véhicules, qui n’est pas nécessairement favorable sur le plan écologique.

Outre le signal que l’Etat prétend ne pas vouloir envoyer aux Français, ne faut-il pas y voir une volonté de celui-ci de ne pas mettre un terme à une certaine manne financière ? Quel est, exactement, le volume des taxes dans le prix d’un litre de carburant ?

La décomposition des prix du carburant, au 15 septembre 2023, est assez similaire d’un carburant à l’autre.

Le gasoil est à 80 centimes le litre à la sortie de la raffinerie. S’y ajoutent ensuite 20 centimes de coût de distribution, puis la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) qui s’élève à 60 centimes. La TVA, elle, monte à 30 centimes. Nous en arrivons donc à 1,90 euro environ. Pour l’essence, le prix à la sortie de la raffinerie est légèrement plus bas, à 70 centimes mais la TICPE est un peu plus élevée, ce qui nous ramène sensiblement au même tarif in fine. Au global, les taxes sur les produits pétroliers représentaient entre 40 et 50 milliards d’euros en 2022. 

Dès lors, on peut tout à fait dire que si l’Etat se refuse à réduire les taxes sur le carburant, c’est moins pour ne pas envoyer de signal néfaste écologiquement parlant que pour préserver ses propres finances, qui dépendent, compte tenu de nos dépenses actuelles, en grande partie de cette manne financière. Une baisse de 20 centimes des taxes sur le carburant coûterait environ 7 milliards d’euros à l’année, ce qui est une somme conséquente. 

Force est de constater que les véhicules électriques séduisent de plus en plus en plus de conducteurs. Pour autant, dans certains pays ou la transition du diesel vers l’hybride et l’électrique a déjà eu lieu, la consommation de carburant reste stable. C’est le cas en Norvège, notamment. Comment l’expliquer et à quoi faut-il s’attendre pour la France ?

Le gouvernement norvégien a beaucoup poussé pour l'émergence de la voiture électrique et ce alors même que la Norvège est l’un des plus grands pays d’Europe en matière de production de pétrole. L’essence y coûte pourtant très cher, mais du fait des énormes disponibilités d’électricité d’origine hydraulique (barrages) le gouvernement a poussé au développement des véhicules électriques. C’est pourquoi les autorités  ont mis en place de nombreuses aides et subventions à l’achat de voitures électriques, ce dont le pays est depuis revenu… Tout porte à croire que le développement du parc électrique pourrait ralentir à l’avenir.

Il ne faut pas perdre de vue que la voiture électrique présente des contraintes supplémentaires, comparativement à la voiture thermique. Le temps de charge est plus long, l’autonomie est moins élevée. Cela n’est pas sans poser un certain nombre de questions.

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