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Une UE aux mains des sorciers postmodernes du développement à basse et à chère énergie
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Illusion

Lors d’une soirée débat dans les locaux de SMA Solar Technology AG, producteur de panneaux photovoltaïques, Sigmar Gabriel, vice-chancelier Allemand, ministre de l’Économie et de l’Énergie a déclaré que la transition énergétique est sur le point d’échouer.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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Lors d’une soirée débat dans les locaux de SMA Solar Technology AG, producteur allemand de panneaux et de systèmes photovoltaïques, Sigmar Gabriel, vice-chancelier Allemand, ministre de l’Économie et de l’Énergie et président d’un SPD alors deuxième force politique du pays, déclarait ceci, le 16 avril 2014 :

La vérité est que la transition énergétique [« Energiewende » visant à faire passer la part de la production « renouvelable » d’électricité à 80% en 2050] est sur le point d’échouer. La vérité est que, sous tous les aspects, nous avons sous-estimé la complexité de cette transition énergétique. La noble aspiration d’un approvisionnement énergétique décentralisé et autonome est bien sûr une pure folie ! Quoi qu’il en soit, la plupart des autres pays d’Europe pensent que nous sommes fous…

Des médias nationaux servilement imités jusqu’à aujourd’hui par la presse et par la classe politique françaises faisaient alors de leur mieux pour taire que, depuis sa création, en 2000, la miraculeuse Energiewende avait coûté plus de 500 milliards d’euros au contribuable et au consommateur et, selon le ministre Gabriel, promettait d’en coûter 1000, à l’horizon 2030. Il était pourtant notoire que, sur la période, le prix domestique du courant allemand avait déjà bondi de 200 %, faisant de ce dernier l’électricité la plus chère d’Europe. Les Outre-Rhénans n’ignoraient pas non plus que, combiné au rythme déraisonnable des fermetures de centrales thermiques conventionnelles, l’afflux massif des productions éoliennes et solaires avait provoqué une déstabilisation du système électrique allemand telle que les apprentis sorciers durent s’en remettre en catastrophe à un haut niveau de production électro charbonnière qui ne s’est jamais démenti.

Depuis lors, la progression de 13 à quelque 20 % de la production renouvelable allemande, dans le mix électro énergétique du pays, n’a pas vraiment compensé les désastreuses performances environnementales de cette Energiewende, laissant entrevoir un avenir d’autant plus compromis à cette dernière qu’elle s’est progressivement inféodée à l’approvisionnement gazier et donc mise à la merci des vicissitudes géopolitiques.

En décembre dernier, le ministre saoudien du pétrole, Abdulaziz ben Salman, alertait contre un risque majeur de crise énergétique, dans les prochaines années, du fait de l’effondrement des investissements pétroliers. Il estimait que la production mondiale pourrait baisser de 30 millions de barils par jour – d’environ 30 % – d ’ici à 2030 ; et cela, même si dans les prochains mois l’offre devait demeurer supérieure à la demande, ce qui ne durera pas. Les investissements dramatiquement insuffisants dans l’exploration de nouveaux gisements et dans le développement des plus récents ne permettent plus de renouveler les capacités de production. Or, le pétrole et le gaz assurent encore pour longtemps 57 % de la consommation d’énergie dans le monde. Ainsi, avec un déclin de 4 à 8 % par an de la production des champs existant aujourd’hui dans le monde, non seulement les considérables investissements nécessaires à stabiliser la production ne sont-ils plus au rendez-vous, mais, selon l’agence Bloomberg, en 2020, ils ont plongé de 30 % dans le pétrole et dans le gaz.

En résumé, selon le ministre saoudien, il manquera 20 millions de barils/jour à la fin de la décennie 2050, soit plus que la consommation annuelle d’un pays comme les USA, et encore dans le scénario de développement durablesobre de l’AIE le plus optimiste, c’est-à-dire le plus improbable.

L’attention du monde est par ailleurs attirée sur le fait que la pénurie et la cherté durables du gaz vont surtout pénaliser l’Europe et l’Asie. Pour couronner le tout, Fatih Birol, le directeur exécutif de l’AIE, a récemment déclaré ceci, à l’occasion de la sortie du rapport de l’agence intitulé Coal 2021, «…Cette année, les niveaux historiquement très élevés de production d’électricité avec du charbon sont un signe inquiétant montrant que le monde est très loin d’une trajectoire lui permettant de ramener les émissions à zéro net », avouant à demi-mot que la Chine et l’Inde sont inexorablement appelée à être les moteurs du recours croissant au charbon, la première connaissant des pénuries d’électricité et même des coupures de courant, depuis le début de cette année. De fait, en 2021, la hausse de la production des centrales électriques à charbon pourrait être de près de 20 % aux USA et dans l’UE, de 12 % en Inde et de 9 % en Chine, la part du charbon dans le mix énergétique mondial atteignant ainsi de l’ordre de 36 %.

Confrontée à d’aussi angoissantes perspectives, une Allemagne prenant soudain conscience de s’être gravement fourvoyée n’aura pas manqué de se ressaisir et de mettre les bouchées doubles à corriger ses funestes errements, a-t-on pensé dans certaines chancelleries. Que nenni ! On ne change pas une stratégie qui perd… qui perd la croissance économique, bien entendu.
Dans ce pavé de 600 pages, ceux qui lisent l’Allemand découvriront les ambitions « d’indépendance » et de « sécurité énergétique » du vaste plan d’accélération du développement des renouvelables présenté par le gouvernement allemand, le 6 avril dernier. Fruit d’un compromis entre les trois partis au pouvoir depuis décembre dernier (1), ce plan entérine la fin du nucléaire dès cette année, celle du charbon en 2030 et celle du gaz en 2035 par le recours massivement accru au soleil et au vent : des productions d’électricité solaire et éolienne en mer à multiplier par quatre, à doubler pour l’éolien terrestre, d’ici à 2030, amenant à planifier sur 8 ans la construction annuelle d’un bon millier d’éoliennes. À terme, ces dernières pourraient couvrir plus de 2 % de la surface du pays, y compris dans des réserves naturelles. 

On croit d’autant plus rêver que, en Belgique, Suisse, Autriche, Italie et autre Espagne, la multiplication des appels au secours suscités par la crise ukrainienne semble n’infléchir qu’à la marge pareille fuite en avant vers le désastre. En France, la démagogie clientéliste n’a jamais été aussi souveraine, où l’on fait croire au peuple qu’un État endetté jusqu’à la ligne de flottaison et une EDF exsangue sont capables de financer en même temps un néo plan Messmer nucléaire et la construction de ruineuses et inutiles fermes éoliennes offshore.

Le financement de ce néo plan Messmer résolu par le recours à l’inépuisable quoi qu’il en coute, encore faudrait-il avoir toutes les compétences techniques et industrielles pour le réaliser, ce qui n’est notoirement plus le cas. Selon les rapports Folz de 2019 et Cour des Comptes de 2020, la France ne peut les recouvrer qu’en rendant sans délai à EDF ses structure et statut industriels des années 70 et, surtout, l’autonomie financière induisant son indépendance technique et commerciale stipulée par l’article 4 de la loi de nationalisation de 1946. Celui qui parle le mieux du caractère rédhibitoire du non-recours à cette stratégie incontournable est certainement Lionel Taccoen, dans le n°116 de la Lettre Géopolitique de l’Électricité que je convie le lecteur à consulter, après l’avoir téléchargée

En conclusion, tout Français quelque peu lucide doit prendre conscience que l’Allemagne n’a besoin de personne et certainement pas du sevrage au gaz pour fragiliser le plancher de sa prospérité et pour le placer, avec celui de l’UE, toujours plus au-dessus du précipice. Ce plancher de nature essentiellement énergétique venant à céder, comme c’est de plus en plus à redouter, non seulement il entraînerait avec lui le système électrique européen tout entier, mais il provoquerait une dépression économique de plus ou moins grande ampleur dans toute l’UE.

Notre pays a donc plus que jamais intérêt à renouer avec le caractère purement national de sa politique énergétique et de l’exploitation associée de son système électrique, privilégiant la sécurité d’approvisionnement, l’indépendance et le moindre coût de revient de sa production. C’est là l’une des plus instantes revendications de subsidiarité à faire porter devant Bruxelles par notre futur Président de la République.


(1)  sociaux-démocrates (SPD), les écologistes (die Grünen/Bündnis 90’) et le petit parti de droite libérale FDP (Freie Demokratische Partei)

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