Une démission d’Emmanuel Macron, seule solution possible à la crise politique majeure dans laquelle s’enfonce la France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron à Paris, le 2 juillet 2024.
Emmanuel Macron à Paris, le 2 juillet 2024.
©AURELIEN MORISSARD / POOL / AFP

Crise politique

La démission d’Emmanuel Macron ne pourrait être envisagée que comme une décision ultime, après épuisement de toutes les autres tentatives de trouver une issue à la crise politique actuelle.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Arnaud Lacheret

Arnaud Lacheret

Arnaud Lacheret est professeur associé et directeur de programme à la Skema Business School sur le campus du Grand Paris, à Suresnes (Hauts-de-Seine). Docteur en science politique, il est l’auteur de quatre livres, tous publiés aux éditions Le Bord de l’Eau : Les Territoires gagnés de la République ? (2019), La femme est l’avenir du Golfe. Ce que la modernité arabe dit de nous (2020), Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française (2021), et enfin Les Intégrés (2023). Réussites de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine

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Atlantico : Institutionnellement, à la lecture de l’article 12 sur la dissolution, y a-t-il une solution ou un moyen qui permette de sortir de la crise politique qui pourrait survenir en cas de majorité relative à l’issue du second tour des législatives ? Un autre président de la République, après une démission d’Emmanuel Macron, aura-t-il la possibilité de dissoudre sans attendre un an ?

Didider Maus : L’article 12 de la Constitution est formel : il ne peut pas y avoir une nouvelle dissolution avant l’écoulement d’un délai d’un an. Il est calculé à partir du 2e tour des élections législatives, donc le 7 juillet 2024. Cela signifie aucune nouvelle dissolution avant le 7 juillet 2025. Comme ce point de départ tombe en pleine période vacances, il serait pratiquement impossible d’organiser une nouvelle campagne électorale et de nouvelles élections avant le début de septembre. Il serait donc nécessaire d’attendre, au mieux, la deuxième quinzaine d’août 2025 pour procéder à une remise des compteurs à zéro. Aucun motif politique ne permet de passer outre à cette règle du délai d’un an. L’élection d’un nouveau Président de la République, dans l’hypothèse d’une démission de M. Macron, est sans incidence sur cette situation. Aucune disposition de la Constitution ne permet de considérer que l’élection d’un nouveau Président rend caduque la règle de l’article 12 de la Constitution.

Si un nouveau Président de la République faisait fi de cette règle absolue et violait la Constitution en tentant de pratiquer une dissolution interdite, il conviendrait que le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi des décrets sur l’organisation des élections, élargisse sa jurisprudence sur le contrôle des opérations préalables aux élections en jugeant qu’une dissolution contraire à la Constitution ne peut fonder la tenue de nouvelles élections. Cela ne demande pas un effort jurisprudentiel considérable. En outre, une telle « dissolution » entrerait dans le cadre d’une mise en jeu de la destitution du Président de la République pour « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » (article 68 de la Constitution)

D’ici juillet 2025, le Président, M. Macron ou un autre, devra coopérer avec l’Assemblée nationale élue le 7 juillet 2024. Une disposition constitutionnelle claire s’impose sans aucune interprétation possible.

Arnaud Lacheret : Non, la constitution ne le permet pas, ce qui rend en fait inutile une démission du Président puisque la personne qui lui succèderait hériterait de la même majorité. Il reste la solution d’un référendum constitutionnel qui modifie légèrement l’article 12 et précise que le caractère annuel de la dissolution ne vaut pas en cas de changement de Président de la République.

Toutefois, cela impliquerait 5 scrutins consécutifs en France (deux tours de présidentielle, un référendum puis deux tours de législatives), ce qui parait assez improbable, surtout que si cela devait avoir lieu, ce serait dans un délai très bref puisqu’une démission d’Emmanuel Macron aurait sans doute lieu dans un contexte de grave crise institutionnel, par exemple, un budget impossible à voter.

En quoi la démission d’Emmanuel Macron est la seule issue possible à la fois par rapport à la logique des institutions comme par rapport à l’absence probable de majorité ?

Arnaud Lacheret : En fait ce n’est pas une solution car elle impliquerait des élections en série pendant une période extrêmement tendue politiquement. S’il venait à le faire, cela impliquerait une crise majeure, non pas parce qu’il faudrait réélire un Président, mais parce qu’il faudrait, comme j’ai expliqué, un référendum constitutionnel, puis une nouvelle législative dont on pourrait imaginer que le résultat ne serait pas très différent et qui se dérouleraient dans un contexte de violences sans doute jamais vues.

Didider Maus : La démission d’Emmanuel Macron ne peut être envisagée que comme une décision ultime, après épuisement de toutes les autres tentatives de trouver une issue à la crise politique. Quel que soit le moment où elle interviendrait, elle ouvrirait une période intérimaire d’environ six semaines (article 7 de la Constitution). L’absence d’une majorité stable ne conduit pas nécessairement à un blocage des institutions. Depuis 2022, la France a été gouvernée, bien ou mal selon les avis,  mais la Constitution de 1958 a été rédigée pour faire face à des situations très diverses. Certes une opposition frontale entre l’exécutif et la majorité de l’Assemblée nationale n’est pas souhaitable au regard de la nécessaire continuité du fonctionnement des pouvoirs publics. Nous ne sommes pas en 1877 où la démission de Mac-Mahon était devenue inévitable en raison de l’incertitude et des ambiguïtés des règles constitutionnelles et des engagements personnels des uns et des autres. Où est le Gambetta d’aujourd’hui ? Il ne peut s’agir ni de Madame Le Pen, disqualifiée par l’histoire de la famille politique qu’elle représente, ni par M. Mélenchon qui n’est sans doute même pas majoritaire dans son propre camp.

Pour emprunter une métaphore aux skieurs, nous serons plus proches de la godille que de la descente tout schuss.

Quels seraient les risques concrets pour les institutions françaises et pour la démocratie si le pays était bloqué sans majorité possible ? La mise en place d’un gouvernement technique laissera-t-elle le pouvoir à l’administration et ne s’agirait-il pas d’une trahison de la volonté exprimée par les Français dans leur vote à l’issue du second tour ?

Didider Maus : Il est difficile d’évaluer a priori les risques qui découleraient d’un blocage des mécanismes institutionnels. Une telle situation ne s’est jamais produite sous la Ve République. Il est évident qu’il conviendrait d’abord que le Président de la République et les forces politiques représentées au Parlement recherchent ensemble des solutions autour soit d’un gouvernement minoritaire (ce qui a été le cas depuis 2022), soit d’un accord politique majoritaire minimal soit d’un consensus de non renversement du gouvernement nommé par le Président. On retrouve ici la réalité du régime parlementaire : en vertu de la Constitution,  le gouvernement n’a pas besoin d’une investiture explicite (à la différence de la IVe République), mais il est indispensable qu’il n’existe pas à l’Assemblée nationale une majorité en mesure de le renverser. En vertu de l’article 5 de la Constitution le Président de la République est chargé « d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État » ; Il appartiendrait donc à M. Macron de prendre les contacts nécessaires, puis les initiatives qui en découleraient, pour qu’un gouvernement puisse assurer ses missions essentielles au-delà de la simple gestion des affaires courantes. On ne peut pas dire que les tentatives faites en ce sens (par exemple, les réunions au « format Saint-Denis ») aient laissés de bons souvenirs. La nomination d’un gouvernement réduit, souvent appelé « gouvernement technique », nécessite au minimum un pacte de non agression des forces politiques.

Arnaud Lacheret : Le 49-3 est désormais quasiment inopérant, tout simplement parce que la menace de renverser le gouvernement si une motion de censure était adoptée n’est pas couverte par la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale étant donné qu’il n’est plus possible de le faire pendant une année. 

Un gouvernement technique ne servirait pas à grand-chose car il lui faudrait malgré tout trouver une majorité pour voter un budget ou, au moins, pour éviter de se voir opposer une motion de censure en cas de recours à l’article 49-3. A vrai dire, un gouvernement sans majorité, c’est ce que nous avons depuis 2 ans et ce n’est pas forcément la fin du monde, car il existe toujours la possibilité de passer en force sur des textes clés. Cette possibilité est très démonétisée à cause de la dissolution et un gouvernement technique devrait tout de même trouver un moyen de faire voter le budget de la France… On voit mal LFI trouver un accord avec les députés libéraux, le tout sous la surveillance du FMI et de la commission européenne.

Un gouvernement technique peut fonctionner quand, éventuellement, on a des gens raisonnables quoique opposés au Parlement. Il semble que cela ne soit pas vraiment le cas.

Face au risque de blocage et de troubles, la pression envers Emmanuel Macron le poussant à démissionner pourrait-elle venir -contrairement aux cohabitations précédentes- à la fois du propre camp d’Emmanuel Macron et des milieux économiques, notamment ceux qui l’ont plus soutenu comme Bernard Arnault ?

Arnaud Lacheret : Les milieux économiques vont forcément réagir : il suffit de voir la réaction de la bourse à l’idée d’une majorité qui pèserait très à gauche. Le monde économique déteste l’incertitude, alors autant dire que les fortes augmentations des impôts, le retour à la retraite à 60 ans et d’autres postures qui sont des marqueurs non seulement de LFI, mais aussi d’une grande partie de l’union de la gauche ne vont pas lui plaire.

Cela étant, Bernard Arnault et les autres grands patrons disposent des mêmes données que tout le monde : ils voient bien qu’un changement de Président ne changerait pas grand-chose au blocage institutionnel et politique qui attend notre pays dimanche prochain. On va se retrouver avec un RN contenu aux alentours de 200 députés voire un peu moins, des députés de droite et centristes libéraux qui devront forcément composer avec une gauche qui penche très à gauche et demandera des gages puisque l’ensemble des élus du Nouveau front populaire sera largement devant la droite et le centre. 

Avec une telle majorité, les milieux économiques vont évidemment s’inquiéter, les marchés financiers et nos partenaires européens également, mais hélas, je ne pense pas qu’un départ d’Emmanuel Macron changera grand-chose. La structure de notre pays qui est très fracturé territorialement, ce qui donne une assemblée dominée par ses extrémités ne peut pas se changer par une démission de son président.

Nous allons donc au-devant d’une situation qui n’est pas près de se régler et qui est avant tout sociologique et géographique : les habitants des métropoles qui concentrent le pouvoir en France penchent de plus en plus à gauche là où les habitants de campagnes et de la France périurbaine, majoritaires, penchent à droite. Aucun changement institutionnel ne peut hélas modifier cela.

Didider Maus : Les milieux économiques ont horreur de l’instabilité politique. Ce n’est pas uniquement une position de principe, mais une exigence de « bonne gouvernance » des entreprises, grandes comme moyennes ou petites. On ne peut pas les faire tourner sans une capacité d’engagement à moyen terme. Cela suppose la possibilité d’avoir un horizon dégagé et stable. On voit très bien que les crises à répétition et les incertitudes de la fin de la IVe République avaient suscité des réactions très critiques dans tous les secteurs de la société française, le monde économique, les organisations syndicales, les forces intellectuelles et bien d’autres. Dans un monde ouvert, où l’Union européenne demeurera une réalité, face aux crises et menaces qui existent en Europe et ailleurs, un pays comme la France, une puissance moyenne qui veut jouer un rôle mondial, la crise permanente constitue un véritable non-sens. On peut changer la politique mise en œuvre, mais l’absence d’une politique de référence n’est guère possible au-delà de quelques semaines.

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