Une catastrophe pour le reste de la zone euro ? Des économistes allemands ont calculé l’impact économique des réformes de l’ère Schroeder <!-- --> | Atlantico.fr
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Zone euro.
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©ANDRE PAIN / AFP

La zone euro en danger ?

Pendant l’ère Schroeder, un certain nombre de réformes financières et monétaires ont été menées puis mises en application. A en croire l’économiste Harald Fadinger, elles ne se sont pas toutes avérées positives pour la zone euro.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Pendant l’ère Schroeder, un certain nombre de réformes financières et monétaires ont été menées puis mises en application. A en croire l’économiste Harald Fadinger, elles ne se sont pas toutes avérées positives pour la zone euro. Comment l’expliquer ?

Alexandre Delaigue : Commençons par faire preuve d’honnêteté : il est difficile de formuler une réponse à la fois claire et nette sur ce genre de question. Il est très complexe d’identifier les effets réels des réformes de l’ère Schroeder pour l’Allemagne. Bien sûr, quand on prête attention à la conjoncture de l’économie allemande, il est difficile de ne pas remarquer l’amélioration survenue dans les années 2000, à l’issue de ces réformes. Et pourtant, la situation est plus complexe qu’il n’y paraît : il ne faut pas oublier que sur ce laps de temps, l’Allemagne est aussi devenue le principal fournisseur de la croissance chinoise, ce dont elle a énormément bénéficié. Il est actuellement impossible d’identifier lequel de ces deux éléments a eu le plus d’effets.

Pour autant, on peut tout à fait reconnaître que les réformes Schroeder ont constitué un énorme effet de compétitivité sur le marché du travail pour l’Allemagne. Puisque l’économie européenne était déjà complètement ouverte, cela a assez mécaniquement conduit à une réorganisation très brutale du travail. N’oublions pas que pendant tout un temps, le coût du travail était si faible, outre-Rhin, que les éleveurs de porcs bretons envoyaient leur bête pour abattage là-bas avant de les faire revenir ici pour produire leur charcuterie. A ce moment-là, des millions de salariés allemands touchaient moins que le smic français, ce qui a un impact considérable sur la compétitivité. 

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Les entreprises allemandes, y compris parmi les plus grandes (quoiqu’assez indirectement) ont beaucoup profité de cette situation. Certains services tiers, comme le ménage des usines par exemple, sont devenus beaucoup moins chers qu’auparavant.

Il est vrai également que ce gain de compétitivité s’est fait, pour l’essentiel, au détriment de la compétitivité des autres pays européens.

Autre aspect à prendre en compte, peut-être plus macro-économique : parce que la profitabilité des entreprises allemandes a cru avant le choc de compétitivité, nombre d’entre elles se sont ensuite retrouvées avec énormément de capitaux qu’elles ne prévoyaient pas d’investir en Allemagne pour des raisons de coûts. Ces capitaux en question ont ensuite été utilisés pour chercher de la rentabilité dans l’immobilier en Espagne ou en Irlande, par exemple… ce qui a entraîné un déséquilibre important, puisque celui-ci a contribué à deux crises : celle de la zone euro, d’une part, et celle des subprimes.

Quelles sont les réformes les plus néfastes pour l’Union européenne ? Pourquoi désigner celles-ci plutôt que d’autres, par ailleurs ? 

Généralement, il est question des différentes réformes Hartz, dont l’objectif assumé était d’activer le marché du travail allemand. Concrètement, il est ici question de subordonner le versement des allocations sociales à un minimum de travail. L’idée de ces réformes étant, de fait, de pousser les salariés vers le marché du travail et éviter que ceux-ci se contentent de toucher des aides sans se mettre en quête d’un emploi.

Le système d’allocations allemand contraignait alors les demandeurs d’emplois percevant des aides, de 500 à 600 euros par mois, à prendre n’importe quel travail et de faire un nombre d’heures donné. Or, le pays n’avait alors pas fixé de taux horaire minimum. Il y a eu des cas, assez extrêmes, de travailleurs payés 50 centimes d’euros de l’heure. Ils acceptaient alors ces emplois parce qu’ils n’avaient que quelques heures de travail par semaine à ce tarif pour pouvoir toucher les aides auxquels ils prétendaient alors.

Naturellement, cette situation absurde engendre d’importants écarts de compétitivité importants.

Quels sont les pays qui ont le plus souffert de ces réformes ?

Dans les faits, ce sont moins les autres pays de l’Union qui ont souffert de ces réformes que certains secteurs d’activité spécifiques. Tous les domaines d’activité dits à bas salaire des autres pays européens, particulièrement dans le voisinage immédiat de l’Allemagne, ont dû composer avec une très forte concurrence. 

De façon plus indirecte, sur le plan macroéconomique, les flux de capitaux ont pu impacter négativement certains pays de l’Union. C’est le cas de l’Espagne, dans une large mesure, mais aussi de l’Irlande, dont les crises ont été renforcées par cette politique. C’est également vrai pour la Grèce, ou l’Italie (dont il est difficile de dire avec précision de quoi elle souffre, mais qui a mal encaissé le choc chinois).

Ceci étant dit, comme précisé tout à l’heure, il est difficile d’identifier la part exacte des mesures allemandes à la fois dans le succès de l’Allemagne et les déséquilibres économiques qui se sont produits à ce moment. Pleins de choses se sont passées en même temps, ne l’oublions pas. 

Établir une responsabilité complète et directe des mesures prises en Allemagne paraît difficile. Affirmer que cela n’a rien à voir serait probablement erroné, néanmoins.

L’impact supposé de ces mesures était-il connu ? L’Allemagne a-t-elle voulu jouer “en solo” plutôt que de travailler au bon développement de l’Union européenne ?

Les réformes Hartz n’ont, à aucun moment, été menées dans l’idée de récupérer les parts de marché des pays voisins. Elles sont venues après une longue période de stagnation économique allemande, puisque nos voisins outre-Rhin avaient du mal à absorber l’Allemagne de l’Est et la réunification. Pour éviter de se retrouver avec un pan du pays sinistré, les figures politiques ont décidé de réformer l’économie du pays. De la même façon, quand le gouvernement français décide de réformer le marché du travail hexagonal, il n’a pas pour autre intention que de résoudre des problèmes français.

On ne peut pas accuser l’Allemagne d’avoir voulu privilégier sa santé financière, ce serait malhonnête. Notons, en effet, qu’au moment où ces discussions ont commencé, les pays européens se sont coalisés contre l’application des sanctions financières en cas de non-respect des contraintes en matière de dettes publiques. Le compromis, alors, c’était de ne pas payer à condition de mener d’importantes réformes du marché du travail… ce que n’a évidemment pas fait la France. A ce moment-là, tout le monde jouait solo, fondamentalement.

En revanche, il est indéniable que cette situation a contribué à un sentiment de supériorité de l’Allemagne au moment de la crise financière. Celle-ci s’est persuadée que si tous les pays européens avaient engagé les mêmes réformes qu’elle, l’Union se porterait bien, ce qui n’était pas une bonne attitude, ni une réalité. 

D’abord parce qu’aujourd’hui encore, il n’est pas possible d’identifier précisément l’impact de ces réformes… et ensuite parce que les effets de ces dernières dépendent aussi du fait que le reste du monde ne se tourne pas vers de telles solutions.

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