Un revenu de base pour tous sans condition : Utrecht, la ville néerlandaise qui passait au revenu universel<!-- --> | Atlantico.fr
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250 concitoyens d'Utrecht en Hollande auront droit à un revenu unique qui remplaceront les aides solidaires.
250 concitoyens d'Utrecht en Hollande auront droit à un revenu unique qui remplaceront les aides solidaires.
©Reuters

Tulipes, polders et allocs'

La ville d'Utrecht en Hollande est sur le point de mettre en place un système d’allocation universelle. Pour le moment à un stade d'expérimentation, les résultats seront déterminants pour juger de la passivité (ou de la responsabilité) des bénéficiaires face à leur activité professionnelle.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Atlantico : A partir de cet automne, 250 concitoyens d'Utrecht en Hollande auront droit à un revenu unique qui remplaceront les aides solidaires. Comment un tel système peut-il fonctionner dans des proportions plus importantes ?

Jacques Bichot : L’allocation universelle, alias revenu d’existence ou allocation de vie, ou encore dividende social, revenu inconditionnel garanti ou revenu de citoyenneté, est une idée ancienne qui refait périodiquement surface. Ses origines remontent aux années 1920, époque où l’écossais C. H. Douglas lança l’idée du crédit social, sorte d’allocation universelle financée par la création monétaire. Le mouvement pour le crédit social est toujours assez actif au Canada. En France, l’Association pour l’instauration d’un revenu d’existence (AIRE) et au niveau mondial le Basic Income Earth Network, militent pour la mise en place d’une allocation universelle.

Le principe est simple : chaque personne recevrait de l’État un montant mensuel déterminé, suffisant pour survivre, qui remplacerait toutes les prestations attribuées aujourd’hui en raison de la pauvreté ainsi que les prestations familiales et (dans certaines versions) les allocations de chômage. La gestion de cette allocation universelle serait beaucoup plus simple que celle des multiples prestations qu’elle remplacerait, et personne ne se trouverait obligé de travailler dans des conditions indignes ou pour des objectifs qu’il réprouve – raison pour laquelle J. B. Jeener a intitulé Délivrer le travail (l’Athanor, 1978) le livre dans lequel il expose les vertus de ce projet.

La justification la plus valable du revenu universel est que la production réalisée aujourd’hui doit beaucoup à un capital que nul ne doit posséder en propre : le stock de connaissances et de savoir-faire accumulé depuis les origines de l’humanité. C’est pourquoi certains de ses partisans parlent de dividende : il s’agit de la rémunération d’un facteur de production autre que le travail, constituant la partie du capital utilisé pour la production des biens et services qui appartient logiquement à l’humanité entière ; cette rémunération devrait donc être répartie également entre tous ses membres.

Le passage de la théorie, séduisante, à la pratique, est rien moins que facile. D’où doit venir l’argent qui va être distribué égalitairement à tout un chacun ? Certains disent de l’impôt, ou de certains impôts, mais lesquels ? D’autres veulent distribuer de la monnaie créée à cet effet, ce qui supposerait de ne plus avoir aucune autre source de création monétaire – donc plus de crédit bancaire. Et dans quel cadre faire fonctionner un tel système ? Le niveau mondial serait le plus logique, mais dans l’état actuel des choses on voit mal la possibilité de donner la même somme à un Africain et à un Nord-Américain.

Gaspard Koenig : Il y a plusieurs manières de concevoir un système d’allocation universelle, qui reflètent des positions idéologiques différentes. L’extrême gauche voudrait un revenu fixe, le même pour tout le monde, qui se surajoute au reste des revenus. Les libéraux conçoivent quant à eux un “impôt négatif”, garantissant à chacun la possibilité d’être autonome (ie de subvenir décemment à ses besoins de base), mais dégressif à mesure que l’individu gagne de l’argent. Dans tous les cas, le revenu universel remplace les aides spécifiques, générant de gigantesques économies dans les coûts de traitement. La logique, c’est de sortir du paternalisme de l’allocation (je te donne tant, mais à condition que tu sois comme cela, et que tu vives comme ceci), pour rendre les citoyens responsables de la manière dont ils utilisent leur allocation de base, versée en cash et sans condition.

Le philosophe Michel Foucault a parfaitement perçu ce caractère révolutionnaire du revenu universel. Voici comment il le décrit dans sa leçon du 7 mars 1979 au Collège de France : « La seule chose importante, c’est que l’individu soit tombé au-dessous d’un certain niveau et le problème est, à ce moment-là, sans regarder plus loin, et par conséquent sans avoir à faire toutes ces investigations bureaucratiques, policières, inquisitoires, de lui accorder une subvention telle que le mécanisme par lequel on la lui accorde l’incite encore à repasser au niveau du seuil. (…) C’est très important par rapport à tout ce qui avait été, encore une fois depuis des siècles, élaboré par la politique sociale en Occident ».

Pour le moment, le dispositif fera office d'expérimentation. Quelle pourrait être la portée des résultats sur la validation du concept ?

Jacques Bichot : L’expérimentation prévue par la ville et l’université d’Utrecht sera très intéressante en ce qui concerne le comportement des bénéficiaires : combien d’entre eux en profiteront pour « se la couler douce » de manière permanente et vivre ainsi aux crochets de la société ? Si le pourcentage est faible, comparable à celui des bénéficiaires de revenus d’assistance, alors ce sera un bon point en faveur de la faisabilité d’une allocation de vie remplaçant un fatras de différentes aides. Si au contraire le résultat est une forte réduction de la propension à travailler officiellement, éventuellement assortie d’une multiplication des petits boulots au noir et de la production directement destinée à la consommation familiale, on saura que la généralisation n’est pas possible : il faut que les bénéficiaires continuent très majoritairement à effectuer un travail dûment déclaré et imposé, sinon il n’y aura pas de base imposable suffisante pour financer le dispositif sans spolier les travailleurs, ce qui mettra rapidement fin au système.

Gaspard Koenig : Quasi nulle hélas. L’échantillon est minuscule, et surtout limité à ceux qui se trouvent déjà en difficulté (alors que le revenu universel est, par définition, destiné à tous). Enfin, seule une petite cinquantaine de personnes percevront en effet une aide sans condition, tandis que les autres paramètres sociaux et fiscaux resteront inchangés. Comment généraliser dans ces conditions ?

L’University College d’Utrecht, qui est à l’origine de cette expérimentation, cherche à vérifier si le revenu universel génère une forme de passivité, ou au contraire bénéficie à l’ensemble du corps social. Nous pouvons d’emblée lui répondre ! Des expérimentations ont déjà eu lieu dans les années 70 aux Etats-Unis, sous l’influence de Milton Friedman qui conceptualisa l’impôt négatif dans Capitalisme et Liberté. Depuis, d’autres ont suivi, au Canada, en Namibie ou même récemment en Inde, dans l’état de Madjya Pradesh. Les résultats sont très positifs, et montrent que, ÉVIDEMMENT, personne ou presque ne choisit l’oisiveté.

Et ce n’est pas fini : le Brésil a inscrit dans sa Constitution le revenu de base comme un idéal à atteindre, le nouveau gouvernement finlandais s’est engagé à le réaliser, et les Suisses tiendront une votation d’initiative populaire sur le sujet en 2016. Même les geeks de la Silicon Valley (comme Jeremy Rifkin ou Jaron Lanier) promeuvent le revenu universel comme une réponse à la destruction massive d’emplois que la robotisation et la numérisation sont en passe de provoquer. Partout, l’idée est sur la table.

La France a grandement besoin de revoir son Etat providence, jugé par plusieurs statistiques comme défaillantes (taux de non-recours au RSA activité de près de 70%, budgets irrationnels). Un tel système pourrait-il réalistement y répondre, pourquoi ?

Jacques Bichot :  L’idée de simplifier au maximum les prestations sociales est tentante, mais pas très réaliste. Un infirme ou une personne ayant une déficience mentale a besoin pour vivre correctement de plus d’argent qu’une personne en parfaite santé, alors même qu’il lui est plus difficile, et dans les cas graves impossible, de trouver un travail, et a fortiori un travail bien payé. Un revenu identique pour tous ne peut répondre à des besoins très différents. Quant au chômeur, s’il ne dispose que du revenu universel, il devra choisir entre cultiver son potager ou prendre très vite un nouveau job, sans trop choisir : ce n’est pas forcément l’idéal.

L’idée d’allocation universelle risque donc de fournir un alibi pour ne pas engager les réformes simplificatrices de notre protection sociale qui seraient à la fois réalisables et très intéressantes. Soit par exemple les prestations familiales, que beaucoup de supporters de l’allocation universelle veulent supprimer : leur simplification est vraiment nécessaire, mais si nous ne sommes pas capable de faire cette réforme portant (en Franc) sur une quarantaine de milliards, comment espérer que nous saurons en faire une 5 ou 6 fois plus importante ? Le mieux est l’ennemi du bien, dit la sagesse des nations.

Gaspard Koenig : C’est le système actuel qui est totalement irréaliste, avec ses myriades d’allocations spécifiques. Comme toujours, le magma administratif profite à des insiders connaissant bien les procédures, au détriment de ceux qui en auraient le plus besoin. Dit simplement : comment expliquer qu’avec 400 Md€ de transferts sociaux par an, soit 15% de la dépense sociale mondiale, on trouve en France des laissés pour compte qui n’ont pas de quoi se nourrir ?

La vocation du revenu universel, c’est de faire disparaître la pauvreté, ce que l’on a finalement oublié de faire à force de lutter contre les inégalités.

Le think-tank GenerationLibre que je dirige a modélisé, avec l’économiste Marc de Basquiat, les mécanismes et les montants d’un tel revenu universel en France. Cela serait bien moins coûteux, et bien plus efficace que le gâchis actuel. Je note d’ailleurs qu’Eric Woerth a repris cette idée dans son livre programmatique pour la prochaine élection présidentielle.

Les défenseurs souhaitent que les bénéficiaires accordent plus de temps à leurs familles, aux études, au bénévolat (mais sans obligation). La population active du pays figure en tête de celles qui travaillent à temps partiel (46,1%). Dans un système où la majeure partie des tâches seront automatisées, un revenu universel pourrait-il apparaître comme une première étape à un monde du travail dévitalisé ?

Jacques Bichot : Le fait que les partisans de l’allocation universelle se soient jetés sur le mythe d’un univers sans travail, où l’homme serait remplacé par le robot, est mauvais signe quant au sérieux de leurs propositions. Nous n’allons pas vers une sorte de jardin d’Eden où tout nous serait offert sur un plateau. Lorsque la Terre sera peuplée de 10 milliards de personnes souhaitant vivre confortablement, les problèmes à résoudre seront gigantesques : la rareté des ressources naturelles exigera de consacrer beaucoup de travail à se les procurer, même compte tenu des robots ! Nous ferions bien de songer à ce qui s’est passé avec l’informatique : la plupart des gens pensaient que son usage allait booster formidablement la productivité, et c’est quasiment l’inverse qui s’est produit, le rythme d’accroissement de la productivité dans les pays développés a diminué à partir des années 1970.

Certes, il n’est pas impossible que les objets connectés, les implants électroniques miniaturisés dans le corps humain et les robots nous permettent de travailler moins tout en vivant de mieux en mieux et de plus en plus vieux, mais ce n’est nullement certain et il serait bien imprudent de tout miser sur une telle éventualité. Nous gagnons notre vie moins à la sueur de notre front, mais davantage à la sueur – si j’ose dire – de nos neurones. J’ai peur que le monde sans sueur, qu’elle soit physique ou neuronale, ne soit pas pour demain.

Gaspard Koenig : Ne commençons pas à demander insidieusement aux bénéficiaires du revenu universel de “compenser” leur allocation en tâches à vocation sociale. La force du revenu universel, c’est précisément d’être détaché de toute condition, et de laisser chacun parfaitement libre de ses choix.

Cela dit, le revenu universel est en effet parfaitement adapté à une société post-salariale où chacun devient entrepreneur, et indépendant dans la gestion

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