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Un jeune sur deux en souffrance psychique : la vie  d'aujourd'hui est-elle devenue plus violente ou sommes-nous devenus plus "chochottes" ?
©Reuters

Calimero

Plus de la moitié des 15-25 ans disent avoir été gênés par des symptômes de troubles mentaux (anxiété, phobie, dépression, paranoïa, etc.), selon un sondage Ipsos. Des chiffres alarmants à prendre au sérieux qu'il est tout de même possible de relativiser.

Claude  Martin

Claude Martin

Claude Martin est sociologue de la jeunesse, et directeur de recherche CNRS. Son dernier ouvrage : "Être un bon parent : une injonction contemporaine", publié aux Presses de l’EHESP en 2015.

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Laure  Parcelier

Laure Parcelier

Laure Parcelier est psychologue, spécialisée dans la gestion des émotions.

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Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Atlantico : Un sondage Ipsos révèle que "37 % des 15-25 ans se déclarent très souvent stressés ". Rencontrez-vous cette situation au sein de vos consultations et si oui, comment les expliquez-vous ?

Laure Parcelier : Je rencontre de plus en plus d’adolescents au sein de mon cabinet. Le stress peut être souvent l’objet de la consultation. Les adolescents le ressentent dans diverses sphères de vie (scolaires, relationnelles, familiales, etc.).

Je pense que le stress que les adolescents ressentent est exacerbé par l’environnement sociétal. En effet, les jeunes ont facilement accès aux informations en tout genre au sujet de l’adolescence et de ses changements. On parle de "crise" et ils s’inquiètent réellement de ce passage.

Quand je suis en consultation avec eux, je m’efforce de dédramatiser leur statut en reprenant ce qu’est l’adolescence au sens psychologique du terme. Je leur explique qu’elle n’est qu’un passage, un processus d’individualisation et de séparation que tout un chacun a vécu un jour. Qu’effectivement, ce passage est fait de bouleversements et de changements plus ou moins contraignants.

Le problème de nos sociétés modernes, c’est que l’on explique peut-être trop, on "victimise" tout, on crée du stress et l’adolescent, dans cette période plus ou moins fragile, en éponge émotionnelle qu’il est, s’accapare les mots des articles, des discussions qu’il peut avoir et cela peut générer des situations d’anxiété élevée.

La perception du stress des adolescents est "décelée par 18% des parents seulement". Confirmez-vous que les parents ne comprennent pas forcément le ressenti de leurs adolescents ? Si oui, comment expliquer ce décalage ?

Laure Parcelier : Quand je rencontre les parents des adolescents que je reçois, je me rends compte que le plus souvent, ils ont oublié qu’ils sont passés par cette période. Quand ils s’en souviennent, ils sont rapidement dans l’idée que rien n’était comme aujourdhui ! Mais après quelques approfondissements, ils se rendent compte très vite qu’ils ont pu passer par ces périodes de stress et d’anxiété.

Le problème des parents, quand je leur dis de se mettre à la place de leurs enfants, c’est qu’ils ont immédiatement à l’idée qu’ils perdront leur autorité face à leur adolescent s’ils rentrent dans ce genre d’échanges, ce qui est totalement faux. Montrer à leur adolescent qu’ils sont passés par ces étapes, qu’ils ont envie de les accompagner, permettrait d’apaiser l’adolescent et de le rassurer quant au fait qu’il n’est pas malade.

Les parents comparent aussi les problèmes de leurs enfants à leurs problèmes d’adultes, et ils sont dans l’erreur ! Ce n’est pas parce que ce ne sont pas des problèmes d’argent, de comptabilité, etc. que les soucis des adolescents n’ont pas d’impact sur eux. Il est important de ne pas prendre à la légère ce qu’ils ressentent et ce qu’ils vivent. Pour les adolescents, une dispute avec un(e) ami(e), une rupture, une interrogation etc. sont autant de facteurs qui aggravent leurs sentiments négatifs et qui augmentent les risques de souffrir de stress, voire d’anxiété.

Claude Martin : L’idée que les parents ne sont pas nécessairement conscients de l’importance des difficultés ressenties par leurs jeunes va dans le sens des résultats d’enquêtes internationales répétées (comme l’enquête HBSC pour Health Behaviour of School-aged Children de l’OMS). Ces enquêtes montrent en effet que les jeunes français (échantillons de jeunes filles et garçons de 11, 13 et 15 ans) sont ceux qui estiment le moins souvent pouvoir facilement parler avec leurs mères/pères voire camarades de classe de ce qui les préoccupe.

En étant 28ème dans le classement de 28 pays sur ce point en 2005, la France serait donc particulièrement mal positionnée en termes de communication intrafamiliale. Les données 2009-2010 de cette même enquête HBSC sur 39 pays confirment cette même tendance. enquête HBSC (Health Behaviour of School-aged Children).

Peut-être faut-il rapprocher ce déficit de communication du sentiment de pression dont les parents se feraient les relais sur leurs enfants pour qu’ils réussissent en particulier au plan scolaire…

Plus inquiétant, "55 % des jeunes ont déjà ressenti des symptômes comme une souffrance psychologique, de l'anxiété, une phobie, des obsessions, une impression d'étrangeté dans les 30 derniers jours", au point d'être très gênés pour 22 % ou un peu gênés pour 33 % dans leur vie quotidienne. Rencontrez-vous cette situation au sein de vos consultations et si oui, comment les expliquez-vous ?

Laure Parcelier :  Je ne sais pas si cela est inquiétant, je pense que les jeunes s’autorisent davantage à parler de leur mal-être. Le versant psychologique est davantage mis en lien dans nos sociétés modernes. Les adolescents sont plus au courant de tout cela et aiment se renseigner sur ce qu’ils peuvent vivre et ressentir. Le fait de développer le dialogue a sans doute permis aux adolescents de pouvoir mettre des mots sur leurs maux. Le soucis c’est qu’ils peuvent également dramatiser la situation. En se renseignant seuls sur Internet, ou auprès de "copains", ils peuvent mettre les mauvais mots sur leur mal-être, c’est pour cela qu’il est important qu’ils puissent communiquer avec leurs parents et rencontrer des professionnels si le besoin s’en fait sentir.

Claude Martin : La montée de ces symptômes ou signes de souffrance psychique est visible dans de nombreux pays. Sont agrégés ici des symptômes très diversement qualifiés : phobie scolaire, troubles anxieux, TOC, tendances psychotiques ou profil schizophrénique, NEET (Not in education, employment or training), etc.

Dans certains pays comme le Japon ou même l’Italie ou la France émerge même un comportement préoccupant : le retrait. Le Japon en a fait un problème public très médiatisé, avec les cas de Hikikomori, c’est-à-dire des jeunes qui se replient dans le domicile de leurs parents durant des mois voire des années. Les chiffres avancés sont certes très variables mais aussi très impresionnants : de 200 000 à un million selon les estimations.

Les conditions de vie des jeunes d'aujourd'hui sont-elles vraiment pires que celle des générations précédentes ou sommes-nous devenus "plus chochotte" ?

Claude Martin : Je ne crois pas que l’on puisse parler de comportements de jeunes plus plaintifs qu’hier. Ces formes de souffrance ou d’expériences de souffrance relevant plutôt du registre psychologique convergent d’ailleurs avec ce qui se passe pour les adultes dans le monde du travail et des formes contemporaines de pénibilité.

Les évolutions en cours dans le monde du travail montrent ainsi que la souffrance au travail et la pénibilité éprouvées relèvent moins du registre physique que psychique : stress, sentiment de pression, tendance au repli et à l’isolement, sentiment d’harcèlement, etc.

De plus, les nouvelles générations sont confrontées à un monde bien différent de celui dans lequel ont grandi leurs parents : fin de l’ascenseur social, risque de précarité, déclassement social, pression scolaire accrue, crainte de ne pas accéder à l’autonomie.

Et l’on pourrait encore aggraver cette perception potentiellement inquiètante du futur si l’on ajoute les craintes liées aux défis terroristes, ou bien encore écologiques et à des constats du type de ceux que nous avons entendu à l’occasion de la COP 21 : si l’on ne change rien de nos pratiques de production et de consommation, des zones entières de la planète vont devenir définitivement inhabitables…

En résumé, nous pouvons admettre que les nouvelles générations sont confrontées à des défis de taille, en bonne partie inédits, avec une conscience accrue du fait d’une information beaucoup plus globalisée et générale.

Sommes-nous plus enclins à traduire en souffrance psychologique des maux qu'auraient aussi ressenti les générations précédentes en considérant simplement qu'il s'agissait des difficultés normales de la vie ?

Claude Martin : Il s’agit peut-être en effet d’une différence importante liée à une conscience plus forte des difficultés et des risques. Nous souffrons par anticipation, par crainte de l’échec, là où les générations qui ont connu et traversé la 2ème guerre mondiale faisait en quelque sorte face sans avoir nécessairement anticipé, au jour le jour, à des situations extrêmes. L’angoisse ou l’anxiété aurait peut-être pris le pas sur la peur.

Laure Parcelier : Je ne pense pas que les conditions de vie des adolescents doivent être comparées à celles d’avant. Chaque génération a ses spécificités.

Comme je le précisais à la question précédente, on parle davantage et on informe davantage les jeunes. L’effet négatif c’est que l’on victimise pas mal les individus. Rien n'est de leur faute, tout est dû à la société. Ils ont donc plus facilement accès à la plainte qu’à la recherche profonde de ce qui les a mis dans cette situation de mal-être.

C’est pour cela qu’au sein de mon cabinet, je tente de responsabiliser les adolescents et de trouver avec eux la cause profonde de leur état, mais en ne cherchant pas un coupable extérieur. Je tente de leur monter que nous sommes responsables des situations que nous vivons et que l’on peut y mettre fin en approfondissant son état émotionnel.

"Phobie scolaire, anorexie, scarifications, drogues, dépressions chez les enfants"... Les souffrances des jeunes sont-elles pour partie des problèmes de riches qui n'apparaissent que dans Ia mesure où nos sociétés sont suffisamment sorties du côté tragique de l'histoire pour se laisser aller à ces états d'âme ?

Laure Parcelier : Je ne parlerais pas de sociétés de riches mais de nos sociétés occidentales qui créent également ces malaises. On ne supporte plus de ne pas comprendre telle ou telle manifestation émotionnelle. On recherche trop facilement une réponse scientifique à un malaise. Nous nous trouvons dans un monde où tout doit porter un nom, comme si cela exorcisait le mal-être de la personne. Les adolescents d’aujourd’hui parlent plus facilement de leurs problèmes mais on y colle toutes sortes d’interprétations qui empirent les parfois les choses.

Claude Martin : Il ne me semble pas que l’on puisse banaliser ces souffrances en considérant qu’il s’agit d’ "états d’âme". C’est précisément parce que ces formes de souffrance psychique altèrent profondément le niveau de santé et de bien-être d’une proportion impressionnante de la population dite jeune que nous devons la prendre au sérieux.

Si ces formes de souffrance affectent en effet de nouvelles couches de la population, ce n’est pas parce que les inégalités sociales diminuent, mais bien davantage parce que les couches moyennes ne se sentent désormais plus protégées. Le déclassement et la peur du déclassement gagnent du terrain, ce qui ne retire rien aux inégalités sociales de santé, bien au contraire. Le problème ici est que ces indicateurs montrent que la situation se dégrade pour des couches de plus en plus vastes de la population.

Michel Fize : Je ne pense pas que, comme l'on entend dire souvent, les jeunes auraint besoin "d'une bonne guerre pour se remettre la tête" à l'endroit. Les jeunes ont des problèmes propres aux périodes de guerre, comme ils ont des problèmes actuellement en période de paix, car nous sommes dans une "mauvaise paix sociale".

Leur situation est bien plus difficile que celle que leurs parents ont connue quand ils avaient leur âge. Du fait notamment de la pression des études et de la performance individuelle permanente, même au niveau de l'apparence physique, de la précarité sur le marché du travail, mais aussi du fait que le sentiment communautaire s'est éffondré en France (religion, famille, autorités dissoutes...), et que nous sommes dans une société de consommation dans laquelle les jeunes n'ont pas les moyens de consommer, ce qui est très décourageant.

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