Un instituteur suspendu pour images pedo-pornographiques alors qu'il était déjà mis en examen pour abus sexuel hors cadre scolaire : mais c’est quoi le problème de l’Éducation nationale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un instituteur des Hauts-de-Seine a été suspendu vendredi 10 avril dernier pour détention d'image pédo-pornographiques, cinq mois après sa mise en examen dans une affaire de viols sur mineur hors cadre scolaire.
Un instituteur des Hauts-de-Seine a été suspendu vendredi 10 avril dernier pour détention d'image pédo-pornographiques, cinq mois après sa mise en examen dans une affaire de viols sur mineur hors cadre scolaire.
©Reuterrs

Manque de coordination

Après le traumatisme de la mise en examen d'un directeur d'école pour viols d'enfants dans l'Isère, un instituteur des Hauts-de-Seine a été suspendu vendredi 10 avril dernier pour détention d'images pédo-pornographiques, cinq mois après sa mise en examen dans une affaire de viols sur mineur hors cadre scolaire.

Jean-Louis  Auduc

Jean-Louis Auduc

Jean-Louis AUDUC est agrégé d'histoire. Il a enseigné en collège et en lycée. Depuis 1992, il est directeur-adjoint de l'IUFM de Créteil, où il a mis en place des formations sur les relations parents-enseignants à partir de 1999. En 2001-2002, il a été chargé de mission sur les problèmes de violence scolaire auprès du ministre délégué à l'Enseignement professionnel. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur le fonctionnement du système éducatif, la violence à l'école, la citoyenneté et la laïcité.

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Quels sont les autres cas semblables qui ont secoué l'Education nationale ? 

Jean-Louis Auduc : Il y a aujourd’hui révélation d’un certain nombre de cas de pédophilies de la part d’enseignants du primaire ou d’agressions sexuelles concernant des adolescentes, voire de jeunes adultes de la part d’enseignants de collège et lycée, aussi bien d’ailleurs publiques que privés sous contrat. Tous ces faits qui ne concernent heureusement qu’une infime minorité de personnels enseignants sont extrêmement graves, car ils minent la confiance que les parents doivent avoir en l’école et ses personnels.

Pierre Duriot : Les autres cas semblables sont la plupart du temps étouffés ou peu médiatisés et il n'est guère pensable de les recenser sur la France entière. Au niveau d'un département par contre, il est assez facile de les connaître. Il ne font pas forcément l'objet d'articles dans la presse locale, qui peut éventuellement participer à l'étouffement, mais ils sont bien répertoriés au niveau des sections syndicales qui sont en général très bien informées des différents cas. En ce qui concerne mon département, pourtant peu peuplé, plusieurs cas ont été répertoriés, avérés, mais également calomnieux et non fondés. En fait, les enseignants sont concernés exactement par les mêmes maux sociétaux que l'ensemble de la population. Alcoolisme, prédation sexuelle, pédophilie, violence, concernent le personnel enseignant et à tous les niveaux. Les affaires qui ont marqué mon département mettaient en scène des enseignants, mais également des inspecteurs, parfois mutés à de nombreuses reprises, mais aussi bien ancrés dans le paysage local.

Comment expliquer que des personnes ayant des antécédents de pédophilie puissent de manière récurrente passer entre les mailles du filet ?

Jean-Louis Auduc : Je crois que les différents services de l’Etat n’agissent pas toujours ensemble concernant le signalement de personnes ayant été poursuivies et condamnées par la justice.

Il faudrait que toutes les personnes concernées aient présentes à l’esprit que le fait que c’est un risque potentiel pour des enfants ou des adolescents que d’avoir comme enseignant quelqu’un poursuivi ou condamné pour des actes pédophiles ou des agressions sexuelles. La vigilance imposerait, par exemple, une suspension provisoire de son activité dans l’intérêt des élèves de toute personne qui serait mis en examen, même pour des faits totalement extérieurs à l’enceinte scolaire. Cela signifie que le juge d’instruction mettant en examen prévienne en temps réel l’institution dont dépend la personne concernée qu’il travaille avec des jeunes. Or, on est loin aujourd’hui de ce type de pratiques !


Pierre Duriot : L'explication tient à mon sens non pas du défaut de croisement des fichiers des différents ministères comme il a pu l'être évoqué, à la manière d'un parapluie bien pratique. Quand un personnage controversé arrive dans un département, la plupart du temps, les responsables syndicaux s'avertissent et un certain nombre d'informations filtrent, les choses se savent, plus ou moins, mais se savent. L'administration a donc forcément au minimum les mêmes informations que les réseaux syndicaux et sans doute plus. Une part de l'explication tient aux profils même des gens concernés. Si je m'en réfère aux cas survenus dans mon département, lesquels sont assez représentatifs si on les compare aux grandes affaires évoquées nationalement, on a fréquemment à faire à des personnes proches de leurs victimes potentielles. Elles sont souvent investies dans les activités associatives liées aux enfants, ce qui leur confère à la fois une forme de notoriété et de respectabilité, en même temps qu'un alibi.

Dans les deux affaires les plus scabreuses, on avait un directeur d'école, président d'un club de gymnastique, puis d'un club de karaté, où les personnes de l'entourage savaient, mais gardaient le silence. Egalement, un inspecteur, très investi dans les chorales enfantines et père adoptif de petits garçons victimes. Dans les deux cas, la respectabilité, l'intelligence et l'engagement incitent les éventuels dénonciateurs à la prudence et les gens savent sans oser dire. Dans le premier cas, il aura fallu vingt ans de sévices pourtant connus, avant que l'une des victimes, petit garçon devenu grand, ne se décide à parler.

Ces prédateurs sont fréquemment des gens intelligents, sachant gérer leurs pulsions et passer à l'acte dans des contextes discrets, avec des personnes faibles et faire taire par le poids de la respectabilité ou du statut social. Effectivement, au moment de l'éclatement de l'affaire, on s'aperçoit qu'ils sont connus de très longue date, pour avoir été fréquemment tangents, suffisamment pour être mutés, mais pas pour être condamnés.

A qui incombent ces manquement ? La justice ? Mais aussi l'Education nationale ? 

Jean-Louis Auduc : Je crois que ceux qui mettent en examen ou condamnent ont une responsabilité sociale de prévention immédiate et doivent donc tout faire pour que, dans le cas d’un enseignant par exemple ou d’un surveillant, les services concernés ( rectorat, direction, académique) soient immédiatement avertis. Nombre d’affaires récentes montrent que ce n’est pas le cas. C’est inadmissible !

Il faut donc d’urgence une meilleure coordination justice-éducation nationale. Y compris dès que la personne est mise en examen ; il ne s’agit pas de la condamner à priori, mais de pouvoir prendre des dispositions d’attente évitant par exemple que celle-ci reste au contact d’enfants. Si une mise en examen était connue, jusque-là, on attendait trop souvent la condamnation, si on en avait connaissance pour agir. Cela ne doit plus durer. D’autant plus qu’une mutation dans un autre département pouvait briser la chaîne des informations…

Pierre Duriot :On ne peut pas forcément parler de manquement quand les preuves ou les témoignages peinent à émerger, ce qui est bien souvent le cas. J'ai souvenir d'une directrice ayant tergiversé des mois avant d'écrire au procureur pour dénoncer les comportements anormaux d'un couple de ses collègues dans son école. Et puis le signalement est tombé, faute d'éléments objectifs et le couple, subodorant la méfiance de la directrice, a demandé une nouvelle mutation, une de plus, avant finalement, d'arriver à la retraite sans autre forme d'ennui.

Mais il y a une autre composante importante, toujours tue : les personnes concernées appartiennent parfois à des cercles restreints, protecteurs, qui permettent quelques excès avec une forme partielle d'impunité, mais ce n'est pas seulement propre à l'Education Nationale. Il ne s'agit donc pas de manquements mais de pratiques ou d'usages qui se substituent à la théorie.

Pour d'autres types de déviances, les réactions hiérarchiques sont immédiates. On l'a vu dans les affaires de refus de faire cours à des étudiantes voilées : le professeur a été suspendu séance tenante. Dans le cadre de la perturbation de la minute de silence Charlie, on a eu également une suspension de professeur. Plus spectaculaire, l'affaire Jacques Risso, cet enseignant juste auteur de caricatures satiriques, a débouché sur des réactions très virulentes de la hiérarchie. En réalité, face au manque de conformisme, aux refus d'obtempérer ou à la confrontation avec un hiérarque autoritaire ou harceleur, les réactions sont souvent immédiates, pas toujours bien mesurées et reçoivent l'aval de la chaîne hiérarchique.

Pour les affaires de pédophilie, une forme d'étouffement semble être de règle, mais avec des personnages aux profils particuliers, comme expliqué précédemment. A l'inverse, nous avons également eu, dans mon département, une affaire d'affabulation d'une petite fille de cours préparatoire, suivie d'une réaction immédiate de la police, de l'inspection académique et puis... rien, sinon le traumatisme professionnel pour un enseignant lambda placé une nuit en garde à vue et mis à l'index sur les simples paroles d'une gamine de sept ans. En réalité, les contextes, les profils, les visions des responsables locaux, se traduisent par des traitements hétérogènes de ces types d'affaires.

Comment expliquer que malgré les rapports accablants pour certains comme celui confidentiel de l'inspection général de l'administration de l'EN en 1998 et rendu public au début des années 2000, la situation ne semble pas s'être améliorée ?

Jean-Louis Auduc : Je pense qu’il y a diverses raisons à cet immobilisme :

- La peur de la rumeur, la peur du qu’en dira-t-on ? On attend d’être sûr… Et il est quelquefois bien tard…

- De plus, certaines dénonciations malveillantes et infondées ont contribué à cacher des faits bien réels. Ce n’est pas un phénomène nouveau : à la fin des années 1960, André Cayatte avait tourné avec Jacques Brel un film pour dénoncer des accusations, des rumeurs de pédophilie  contre un instituteur "Les risques du métier" .

- Un réflexe corporatiste qui existe dans toutes les professions ( voir l’attitude de l’ordre des médecins dans le cas d’agressions sexuelles de patientes).

- La difficulté à pouvoir repérer quelqu’un de pédophile ou susceptible de comportements sexuels agressifs.

  1. - Un manque de vigilance des responsables à tous les niveaux lorsque des faits sont signalés de la part des familles sur certains comportements d’enseignants ou de surveillants.

  2. De plus, il ne faudrait pas que ces affaires discréditent le fait qu’un homme ne soit pas jugé digne d’être enseignant ou que dès que l’enseignant, notamment en maternelle et en élémentaire est un homme, les parents soient dans l’air du soupçon.

  3. La France, et c’est une des causes de notre échec scolaire persistant qui est un échec scolaire essentiellement masculin, ce qui se dit peu[1],  souffre d’un manque énorme d’enseignants masculins en école maternelle, élémentaire et en collège qui puissent servir de modèles, d’exemples aux jeunes garçons. L’émotion légitime des familles et de la société ne doit pas déboucher sur une diminution du nombre d’hommes dans les écoles primaires, ce qui aurait des conséquences très négatives. Des mesures énergiques s’imposent donc.

  4. Pierre Duriot :On ne vient pas si facilement à bout des habitudes, de la culture, des protections dues à des appartenances à des groupes restreints, des pressions... à l'Education Nationale comme ailleurs.

  5. Le tabou lié à la sexualité sur des enfants victimes n'est pas propre à cette institution. C'est un tabou généralisé qui transcende à la fois les milieux professionnels, mais également les milieux sociaux. La pédophilie n'est pas l'apanage d'une catégorie de personnes socialement identifiée et les affaires où les victimes portent plainte des années après l'enfance, sont légion. Dans la plupart des cas de figure, on a un entourage qui sait mais ne dit rien, une victime condamnée à se taire pour ne pas déstabiliser un édifice familial ou professionnel.

  6. Cependant, il est vrai que l'Education Nationale, par sa vocation à faire évoluer la culture, se devrait d'être le milieu où on pourrait impulser une volonté de levée des tabous liés aux sexualités pathologiques sur les enfants. L'écueil est aussi la sacralisation de la parole de l'enfant. A la fois, on ne peut pas fermer les yeux, mais aussi suspendre où lyncher médiatiquement sur des allégations, lesquelles deviendraient alors bien pratiques pour se venger de quelqu'un. Discrétion, responsabilité, efficacité des recherches de preuves, suivi des dossiers, seraient des éléments indispensables, mais les parasitages sont nombreux, liés au statut social, à la médiatisation outrancière, aux effets des témoignages intempestifs... Nous avons eu des affaires retentissantes avec des prédateurs arrêtés au bout de vingt ans et de dizaines de victimes, mais également le gâchis d'Outreau. Comme l'a écrit Maître Dupond-Moretti : "La justice n'a rien retenu des leçons d'Outreau".

Quels sont mesures qui pourraient et qui devraient être prises ?

Jean-Louis Auduc : Une meilleure collaboration police-justice-éducation nationale doit être mise en place. Tout démarrage d’enquête, toute mise en examen, tout jugement doit être signalé dans les délais les plus brefs aux services concernés qui doivent prendre des mesures visant à éloigner l’enseignant concerné de contacts avec des jeunes.

Il faut une formation solide sur ces questions des différents corps d’inspections pour qu’ils puissent être vigilants concernant des comportements qui pourraient poser question. Ils doivent mettre en oeuvre systématiquement des enquêtes lorsque de tels comportements leur sont signalés, notamment par les familles.

Enfin, tous les textes concernant l’interdiction d’exercice des personnes condamnées pour de tels faits doivent être partout et en permanence mise en œuvre, ce qui souvent est loin d’être toujours le cas, notamment si la condamnation n’a pas entraîné un emprisonnement.

Pierre Duriot : Au-delà des aspects spectaculaires des affaires de pédophilie mettant en scène des enseignants, il faut garder la tête froide. La très grande majorité de ces affaires relève du cadre familial et des familles élargies et en fait assez peu des intervenants extérieurs. Les enseignants et encadrants de l'enfance sont donc plus souvent en posture de dépister que de commettre. Donc, l'une des solutions pour lutter contre la pédophilie dans la population serait de mieux former les enseignants aux signes extérieurs qui, chez l'enfant, pourraient témoigner de violences sexuelles subies. N'oublions pas que l'enfant jeune, victime, pense qu'on lui inflige là un traitement qu'il va percevoir comme normal, puisqu'il n'a pas de point de comparaison. Voire même, il va s'en attribuer la faute. Or les enseignants pédagogues, hors quelques initiatives locales ou personnelles, sont très peu aptes à dépister ces signes. Maîtres spécialisés du primaire et psychologues scolaires sont par contre aux avant postes sur ce genre de thématiques, mais ils sont peu nombreux en regard des effectifs d'élèves.

Pour le reste, la question est difficile tant les paramètres intervenant sont nombreux. Sur cet aspect de la justice, comme sur tous les autres, prime la célèbre maxime de Jean de La-Fontaine : "Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir". Sortir de la partialité humaine n'est guère possible et il est fort probable qu'on laissera encore et toujours courir des coupables, pendant que l'on punira des innocents.



[1] Les études internationales ont montré que derrière les « fameux » 19 à 20% d’élèves au sortir de l’école primaire avec des difficultés de lecture, il y avait  un garçon sur trois et une fille sur douze !!!

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