UMP : après la bataille, quelle idéologie pour le parti ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Que pense l'UMP aujourd'hui ?
Que pense l'UMP aujourd'hui ?
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Grand angle

Depuis l'accord entre Jean-François Copé et François Fillon, les ténors de l'UMP se font plus discrets. Mais une fois la bataille passée, les problèmes idéologiques sont-ils vraiment réglés ?

Christian Delporte,Thomas Guénolé et Pierre-Henri d'Argenson

Christian Delporte,Thomas Guénolé et Pierre-Henri d'Argenson

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et et directeur de la revue Le Temps des médias. Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Thomas Guénolé est politologue à à Sciences Po, maître de conférence à Sciences Po et professeur chargé de cours à l'Université Panthéon-Assas. Site internet : thomas-guenole.fr

Pierre-Henri d'Argenson est haut-fonctionnaire. Il a enseigné les questions internationales à Sciences Po et à l'Ecole militaire. Il anime un blog : www.dargenson2012.fr Il est l’auteur  de "Eduquer autrement : le regard d'un père sur l'éducation des  enfants" (éd. de l'Oeuvre, 2012) et Réformer l’ENA, réformer l’élite, pour une véritable école des  meilleurs (L’Harmattan, 2008).

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Atlantico : Depuis l’accord entre Jean-François Copé et François Fillon, les ténors de l’UMP se font plus discrets. Mais une fois la bataille passée, les problèmes idéologiques sont-ils vraiment réglés ? Que pense l’UMP aujourd’hui ?

Christian Delporte : La bataille à l’UMP s’est surtout confondue avec une querelle de personnes. Sur le fond, Jean-François Copé et François Fillon ont dit à peu près la même chose, la différence se traduisant essentiellement dans la forme ou par le style. Chacun, à sa manière, s’est fait l’héritier de Nicolas Sarkozy pour séduire un électorat persuadé que la victoire lui a été volée en mai 2012. Mais le "sarkozysme" existe-t-il ? Sans doute Sarkozy est-il attaché à quelques grands principes de la droite libérale (comme la valorisation de l’initiative individuelle ou la nécessité de restreindre les interventions de l’Etat). Mais l’évolution du quinquennat nous indique que le sarkozysme est moins une idéologie qu’un pragmatisme (pour ses partisans) ou un opportunisme (pour ses détracteurs) de droite, adapté aux circonstances. Le caractère polymorphe d’une crise dont on ne connaît pas l’issue et les attentes contradictoires des Français (moins d’impôts mais plus de services publics, par exemple) ne devraient pas aider à dégager une ligne idéologique claire, au-delà des slogans électoraux. Une chose est de mobiliser les militants, une autre de convaincre les Français.

Thomas Guénolé : On a souvent présenté l’affrontement entre Jean-François Copé et François Fillon comme un simple duel d’ambitions. Ce faisant, on passe à côté du clivage dont il est la traduction : d’un côté la droite sécuritaire, de l’autre la droite néogaulliste.

La droite sécuritaire considère que l’immigration, l’islam, la porosité des frontières, voire tel ou tel aspect de la construction européenne, sont les sources des principaux problèmes du pays : chômage, insécurité, déliquescence de la cohésion de la société et de l’identité nationale. La droite néogaulliste considère que la France fait face à une crise économique et sociale d’une envergure telle qu’elle nécessite un rassemblement par-delà les clivages partisans : c’est une transposition du schéma de l’Appel du 18-Juin, en remplaçant l’invasion allemande par la crise et la Résistance par l’unité nationale.

Sans surprise, c’est donc tout particulièrement sur la question du positionnement du parti que s’est faite la confrontation entre Jean-François Copé  et François Fillon : l’un parlait de décomplexer la droite et de comportements communautaristes musulmans ; l’autre parlait de rassembler les Français de la droite dure au centre-gauche et d’union la plus large face à la crise.

Pierre-Henri d’Argenson : Pour comprendre les problèmes idéologiques de la droite, il faut remonter à leur source : la honte de l’épisode vichyste, dont la droite continue de porter inconsciemment la faute, et que la gauche exploite pour disqualifier la droite. L’exemple le plus frappant est l’immigration, assimilée à une nouvelle "question juive". C’est pourquoi la droite préfère se réclamer d’un homme plutôt que d’un corps de doctrine : hier le général de Gaulle, aujourd’hui Nicolas Sarkozy. Mais cette posture n’est  plus tenable, parce que les héritages ne suffisent pas à poser les fondements d’une politique permettant d’affronter les défis de notre temps : mondialisation, immigration, écologie, montée des émergents, islam politique, bioéthique, etc. Donc, pour répondre à votre question, les problèmes idéologiques de l’UMP ne sont pas réglés, parce qu’ils n’ont jamais vraiment été réglés depuis 1945 ! Certes, la droite a longtemps tiré sa fierté d’être le parti du bon sens contre les "doctrinaires" de la gauche. Mais la révolution à droite, ce serait justement de s’engager dans un travail de refondation intellectuelle de haut niveau.

Sur le plan économique, dans le contexte de la crise, les positions de l’UMP semblent se rapprocher de celle du PS. On n’a pas non plus beaucoup entendu l’opposition sur les propositions du gouvernement pour lutter contre le chômage sur la négociation entre patronat et syndicat sur le marché du travail. L’UMP a-t-il une doctrine économique propre ?

Pierre-Henri d’Argenson : L’UMP a une doctrine économique, mais ce n’est pas la sienne : c’est la feuille de route euro-libérale qui régit les politiques de l’Union européenne depuis les trente dernières années, à savoir le monétarisme allemand, l’ouverture commerciale anglo-saxonne, la toute-puissance des marchés financiers, et la promotion d’une "économie de la connaissance", nom euphorique d’une Europe sans usines. Il n’existe au sein de l’UMP, ni d’ailleurs au PS, aucune réflexion d’envergure sur le devenir du capitalisme, les mutations de la compétition mondiale, la place de l’Etat, la société de consommation, le sens du travail  et le devenir du salarié, les relations entre écologie et croissance, etc. Si l’UMP veut reconquérir sa légitimité en matière économique, elle doit proposer des choix de politique économique guidés par une vision de l’économie française pour les trente prochaines années, en osant s’attaquer aux vaches sacrées de la pensée unique européenne et de l’étatisme social.

Thomas Guénolé : L’UMP a sa propre doctrine économique, principalement issue de la pensée économique développée en critique du référentiel keynésien qui était dominant dans l’immédiat après-guerre. Elle adhère ainsi au monétarisme, dont le théoricien type est Milton Friedman. Elle en tire son orthodoxie budgétaire : cela donne, par exemple, son soutien à la « règle d’or » du traité budgétaire européen. Elle adhère également à l’école néoclassique de la croissance endogène, dont le théoricien type est Robert Lucas. Elle en tire ses plaidoyers pour l’investissement dans la recherche et les filières d’avenir : cela donne, par exemple, le dispositif du grand emprunt durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Elle adhère en outre à l’école du management public. Elle en tire son principe en vertu duquel le secteur privé étant nécessairement plus efficace que le secteur public, il faut calquer les méthodes et le fonctionnement du second sur le premier : cela donne, par exemple, la Révision générale des politiques publiques, dite RGPP. Elle adhère enfin au concept de flexisécurité, né en Hollande, qui suppose de faciliter considérablement les licenciements en contrepartie d’indemnisations plus généreuses et d’une politique d’accompagnement du retour à l’emploi beaucoup plus développée.

Ce qui est frappant aujourd’hui, c’est que sur tous ces points, le Parti socialiste, ou tout au moins son aile droite qui pèse deux tiers de l’ensemble, a migré sur les positions de l’UMP. Nolens volens, le gouvernement, dominé par ce courant du PS, a fait adopter le traité budgétaire européen. Il a exclu très vite le schéma keynésien d’une relance par la consommation, comme la prime pour l’emploi de Lionel Jospin, ou d’une relance par l’investissement public dans les infrastructures, à l’instar des grands travaux de Franklin D. Roosevelt : il a au contraire opté pour l’investissement dans les filières d’avenir, dans une logique de croissance endogène. La Modernisation de l’Action Publique, dite MAP, reprend pour l’essentiel l’approche de la RGPP. Quant aux négociations paritaires en cours, le gouvernement semble admettre qu’une de ses conclusions reprendra l’idée de flexisécurité : au demeurant, François Hollande projette même que les accords paritaires puissent primer sur la loi. Somme toute, sous l’actuel gouvernement, l’aile droite du PS ne se distingue donc plus de la droite en matière économique que sur la fiscalité.

Christian Delporte : Quand on lit les motions arrivées en tête (Droite forte, Droite sociale), on relève deux éléments instructifs. D’un côté, l’affichage de bonnes intentions, comme la baisse des charges des entreprises, l’aide aux PME, la réduction du coût du travail, bref des constantes des programmes de l’UMP (du RPR et de l’UDF, naguère). D’un autre côté, des mesures concrètes, comme l’abandon des 35 heures ou l’allongement de l’âge des retraites, qui s’inscrivent dans le prolongement des années Sarkozy. Faut-il parler pour autant de "doctrine économique" ? L’UMP fédère des courants de pensée divers et, sur bien des points, contradictoires. Apparemment, la Droite forte va plus loin, en visant les syndicats (fin du Code du travail) et les fonctionnaires, réputés voter à gauche (suppression du droit de grève pour les enseignants). Mais elle est beaucoup moins concrète lorsqu’il s’agit d’économie réelle. Ce n’est pas la suppression du régime des intermittents qui va relancer l’activité économique. Bref, l’UMP prend acte de l’absence des marges de manœuvre et, pour l’heure, ne propose pas un projet économique d’ensemble qui permettrait de distinguer une "doctrine".

Certains leaders de l’UMP se sont prononcés en faveur de la nationalisation de Florange.  La droite française peut-elle être, aujourd’hui, qualifiée de libérale ?

Pierre-Henri d’Argenson : Tout dépend de ce qu’on entend par "libérale". Bien sûr, l’UMP reste marquée par une culture colbertiste que les libéraux "économiques" regardent comme incompatible avec le libéralisme. Mais dans son ensemble, les dirigeants de l’UMP sont libéraux, économiquement et socialement. Ils adhèrent au dogme bruxellois de la concurrence, du libre-échange et de la dérégulation, refusent tout protectionnisme efficace, ne semblent pas pressés d’imposer des restrictions aux excès des marchés financiers. Ils sont globalement ouverts au mariage homosexuel ou à ses ersatz (statut du beau-parent), se refusent à un discours ferme ou chiffré sur l’immigration, et sont de fervents adeptes de la décentralisation, qui a connu ses plus grandes avancées sous Jean-Pierre Raffarin. Tout cela fait largement pencher la balance du côté "libéral".

Christian Delporte : Ceux qui l’ont fait – rares, il faut bien le dire - sont les héritiers d’une droite jacobine et gaulliste, attachée à l’interventionnisme d’Etat. A cet égard, il n’est pas surprenant qu’Henri Guaino ait pu dire d’Arnaud Montebourg : "sur le fond, il a raison". Il est vrai aussi que Nicolas Sarkozy, au début de la crise, n’avait pas exclu la nationalisation. Reste qu’il ne l’a pas fait. Alors, tout dépend ce qu’on appelle le libéralisme. Si on lui donne une acception à l’américaine, où on croit à la vertu des marchés qui s’autorégulent, où l’Etat ne doit pas intervenir dans l’économie, l’UMP n’est pas libérale. Mais si, à droite, on compare la conception du rôle de l’Etat à ce qu’elle était dans les années 1960-1970, le glissement libéral est indéniable. A vrai dire, l’UMP ne fait qu’accompagner un mouvement général en Europe qui, depuis vingt ans, revient (y compris à gauche) sur les fondements de l’Etat-providence.

Thomas Guénolé : Oui. Il y a à l’UMP un consensus sur la réduction du nombre de fonctionnaires et la réduction de la réduction de la place de l’Etat dans l’économie, que ce soit par diminution des services, suppression des doublons, ou encore par transfert d’une activité publique au secteur privé. Plus largement, l’UMP d’aujourd’hui est monétariste et néoclassique, pas keynésienne. Pour autant, cela n’empêche pas certains leaders de la droite de soutenir des mesures étatiques qui, concrètement, sont des résurgences du soutien à un Etat stratège flanqué de grandes entreprises publiques, un credo gaulliste fondamental. On peut donc voir dans ces déclarations l’expression d’une sorte de néogaullisme orthodoxe.

Au-delà des questions économiques et sociales, la question européenne n’est-elle pas le véritable point de clivage au sein de l’UMP ?

Christian Delporte : Pas chez les leaders, en tout cas : pas plus Fillon, Copé que les non-alignés. Pour la base, c’est autre chose. Alors que la plupart des lois, aujourd’hui, ne sont que la traduction nationale de directives européennes, que les politiques des gouvernements se décident, pour l’essentiel, à Bruxelles, on observe que le discours des motions de l’UMP sur l’Europe est étonnamment général (sauf sur l’élargissement ou les flux migratoires). Il verse même parfois dans l’incantation. Il ne suffit pas, comme l’avance la Droite forte, de rejeter une Europe "technocratique", "soumise aux marchés" ou de vouloir une Europe "protectrice". Il faut aussi expliquer quels moyens on se donne pour y parvenir.

Thomas Guénolé : Les fédéralistes sont minoritaires et marginalisés à l’UMP. Concrètement, ce sont surtout des centristes qui ont rejoint le parti au fil des exodes de 2002 et de 2007 d’élus issus de feue l’UDF. En pratique, il y a consensus à droite sur une construction européenne essentiellement intergouvernementale, et non pas sur les Etats-Unis d’Europe. Significativement, lorsque l’UMP soutient une fédéralisation, par exemple sur la règle d’or, c’est quand cela impose par l’intermédiaire de l’Europe une mesure qu’elle soutient sur le fond : il y a là instrumentalisation, au sens strict du terme, plutôt que conviction fédéraliste. Fondamentalement, l’UMP reste sur l’idée d’une Europe levier de puissance d’une France en plus grand. Cette homogénéité croissante de l’UMP sur la question européenne est encore accentuée par la création récente de l’UDI, entre autres points de désaccord avec la droite, sur la réaffirmation du fédéralisme européen.

Pierre-Henri d’Argenson : C’est vrai, non seulement à l’UMP mais également au PS, car l’Europe est au cœur du clivage fondamental entre la nation et le mondialisme, le peuple et les élites, l’industrie et le commerce, l’identité et le multiculturalisme. A l’UMP comme au PS, on trouve d’un côté des militants europhiles, plutôt aisés ou bobos, libre-échangistes et qui ne voient pas vraiment de problèmes dans l’immigration de masse, et d’un autre côté des militants eurosceptiques, plus proches des milieux populaires, touchés de plein fouet par la désindustrialisation et par la cohabitation difficile avec les nouveaux arrivants. La question européenne oppose en réalité les Français qui croient encore à la vocation de la France dans l’histoire, donc à la persistance du sens d’une histoire nationale, d’une terre habitée par un peuple avec son génie et son mode de vie, et ceux qui sont entrés dans la post-modernité des philosophes et des élites européennes, pour qui les notions de frontière, de peuple, de nation, d’histoire et de grandeur sont obsolètes. Pour l’UMP, le dilemme européen sera de plus en plus douloureux : soit choisir l’Europe de Bruxelles, élitiste et financière, soit choisir l’Europe des peuples. Nicolas Sarkozy n’a compris que trop tard que l’on ne pouvait pas avoir les deux.

La manifestation du 13 janvier contre le mariage homosexuel devrait rassembler de nombreux leaders de droite. Les questions de société sont-elles désormais le seul véritable ciment de l’UMP ?

Pierre-Henri d’Argenson : Les questions de société sont le ciment de la gauche, pas de la droite ! A gauche, l’immense majorité des cadres et militants sont pour le mariage homosexuel, alors qu’à droite les cadres sont divisés entre eux sur la question. Si les leaders de droite commencent à s’engager pour le 13 janvier, c’est en raison du succès de la manifestation du 17 novembre dernier ! La réalité, c’est que les grands partis de droite et de gauche ne sont plus que des distributeurs d’investitures, ils ne cherchent plus à proposer une vision, ce sont des caisses de résonance réglées sur la position médiane de leur électorat. Les victoires de la droite ou de la gauche au cours des dernières décennies ne doivent rien à une quelconque domination dans la "bataille des idées", mais au besoin des électeurs de trouver à leurs convictions politiques un débouché acceptable sur le marché de l’offre politique. La vérité, c’est que les Français attendent effectivement l’homme providentiel qui les sortira de ce qui ressemble à la plus grande crise du politique que la France ait connu depuis les années 1930.

Christian Delporte : Ces questions tiennent aux "valeurs" et ne sont donc pas négligeables. Elles permettent aussi à la droite d’exister dans une opposition frontale à la gauche au pouvoir, alors qu’elle traverse des difficultés internes et qu’elle peine à dégager des solutions originales, en nette rupture avec la politique gouvernementale, pour sortir de la crise. Mais les questions sociétales, à droite comme à gauche, n’auront qu’un temps. Les Français attendent des réponses sur d’autres sujets, l’emploi, le pouvoir d’achat, la "réindustrialisation", etc. Un débat vital qui divisera à droite comme à gauche.

Thomas Guénolé : Le clivage entre partisans et adversaires de l’extension du mariage aux couples homosexuels est plus complexe qu’un affrontement gauche-droite : c’est un affrontement entre libéralisme moral et conservatisme moral. Or sur les questions de mœurs et les sujets de société, on trouve des libéraux et des conservateurs aussi bien à gauche qu’à droite.

Le résultat du vote sur les motions témoigne d’une importante percée de la "la droite forte" Le débat sur la droitisation et les éventuelles alliances locales avec le FN pourrait-il ressurgir lors des prochaines élections municipales ? 

Christian Delporte : Tout dépendra du résultat. L’UMP veut faire des municipales la première étape de sa reconquête. De facto, elle voudra (comme toute opposition face à un pouvoir impopulaire) en faire un enjeu national. Si la "vague bleue" est forte, la question du FN sera minimisée. Mais si, localement, des listes UMP ont besoin de l’appui du FN pour gagner, le débat ressurgira brutalement et nourrira la division. Une telle situation pourrait alors écorner l’image de la victoire et l’image personnelle de celui qui, alors, dirigera l’UMP. D’autant que, l’année suivante, viendront les élections régionales avec, de nouveau, la perspective du boulet Front national.

Thomas Guénolé : Le succès de la motion de la Droite forte était tout entier fondé sur la transposition du slogan de Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle de 2012. Y voir autre chose qu’un joli coup de marketing serait une surinterprétation.

Cela étant, parler de droitisation n’identifie pas les choses, car il y a plusieurs droites. Parler de frontisation est plus clair : il s’agit de faire siens les diagnostics du Front national sur l’état de la société française, quitte à ensuite leur apporter des réponses républicaines. Jean-François Copé, qui a adopté un positionnement de droite sécuritaire pendant la campagne pour la présidence de l’UMP, était très exactement sur cette ligne. Sur ce point, il y a un clivage profond entre la droite sécuritaire et la droite néogaulliste, sur lequel s’est d’ailleurs fondé l’essentiel du débat lors de cette campagne.

La question des choix d’alliances est différente. Au niveau des dirigeants nationaux, il y a un clivage entre partisans du Front républicain et partisans du « ni ni » : en cas de second tour entre PS et FN, les premiers appellent à voter PS, les seconds appellent à voter blanc. Au niveau des élus locaux, tout dépend de l’ampleur de la menace électorale représentée par l’extrême droite dans la circonscription ou la municipalité : logiquement, les élus locaux les plus menacés sont de plus en plus favorables aux alliances. Cela donne la Droite populaire. Au niveau de la base électorale, la ligne de frontisation tenue par Nicolas Sarkozy de 2007 à 2012 a rompu une digue instaurée progressivement par Jacques Chirac jusqu’à incarner lui-même le Front républicain au second tour de 2002 : les sondages attestent ainsi d’une adhésion croissante de l’électorat de droite à des alliances UMP-FN.

Ce choix d’alliances serait cependant un tombeau électoral. En effet, la migration des électeurs de centre-droit vers l’UDI achèverait alors d’être complète, puisqu’ils rejettent viscéralement l’extrême droite. Chaque électeur de droite dure acquis ou fidélisé coûterait ainsi plusieurs voix centristes.

Pierre-Henri d’Argenson : Parler de "droitisation" à propos de l’UMP est un non-sens historique, il suffit pour s’en rendre compte de consulter les programmes et discours du RPR des années 1980, qui correspondent à ceux du FN aujourd’hui. La percée de la "droite forte" manifeste au contraire avec éclat le décalage croissant entre les élites de l’UMP, qui ont suivi le vent de la pensée unique libérale-socialiste, et les militants de la base, qui sont restés majoritairement sur une position conservatrice, bien plus proche de l’opinion majoritaire des Français de droite. L’UMP se trouve aujourd’hui dans une position délicate : soit elle rapproche son discours de celui du FN, au risque de perdre ses électeurs centristes ; soit elle s’en éloigne, au risque d’une hémorragie vers le FN. A long terme, l’UMP est sûre d’être perdante sans refondation doctrinale courageuse. Les alliances locales en découleront.

Sans véritable président et sans ligne politique claire, l’UMP peut-il incarner l’opposition de manière crédible même face à un exécutif en difficulté dans les sondages ?

Thomas Guénolé : Il est clair que l’UMP n’est pas fonctionnelle comme parti d’opposition aujourd’hui. Pour autant, l’histoire récente du PS montre qu’on peut aller très loin dans les tensions internes, les crises voire les sécessions sans perdre ses chances de revenir au pouvoir. En fait, dans un système électoral où les deux grands partis bénéficient d’une rente de situation du fait des règles du jeu électoral, qui verrouillent la bipolarisation, celui des deux qui passe dans l’opposition peut se permettre une longue guerre interne pour le leadership en vue de la prochaine alternance. Ce qui compte, c’est d’avoir fait l’unité dans les rangs à un an de la présidentielle. L’UMP doit cependant prendre garde à la concurrence interne à l’opposition, car pour peu que sa crise perdure, l’UDI est en embuscade en vue des municipales et des européennes de l’année prochaine.

Christian Delporte : Le PS, malgré l’impopularité croissante de Nicolas Sarkozy, a attendu presque deux ans après le Congrès de Reims pour exister. Jusqu’ici inaudible, il n’a été relancé qu’à la faveur de la victoire aux régionales de 2010 (et au mouvement sur les retraites). L’UMP doit s’attendre à une année 2013 difficile. Bien sûr, entre Copé et Fillon, il y aura une sorte de surenchère critique du pouvoir. Mais tout le monde aura les yeux rivés sur la nouvelle campagne interne. Si, à l’issue du second processus électoral, son leader n’est pas incontesté, le parti courra à la catastrophe. Or, l’UMP a absolument besoin d’une large victoire aux municipales de 2014 pour se relancer.

Pierre-Henri d’Argenson : L’UMP a un président, c’est Jean-François Copé. En revanche, l’UMP n’a plus de chef incontesté. Le futur chef de l’UMP est celui qui osera s’engager dans la refondation idéologique de la droite. C’est comme cela que Reagan et Thatcher ont conquis le pouvoir. Mais le futur leader devra pour cela oser prendre trois risques : premièrement rompre les amarres avec le Centre, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’UMP, car le centrisme idéologique constitue la principale source de brouillage du paysage intellectuel de la droite ; deuxièmement, faire monter une nouvelle génération pas forcément issue de la "carrière militante", donc faire de l’UMP le parti de "l’ascenseur politique" et de la "fabrique des talents" ; troisièmement, rompre avec l’euro-libéralisme béat, qui a figé dans le marbre dogmatique des politiques qui sont au cœur des difficultés que nous traversons, en particulier celle de l’ouverture totale (commerciale, migratoire).

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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