Ukraine, un an après : la guerre souterraine entre Wagner et le ministère de la Défense russe prend un tour impossible à ignorer <!-- --> | Atlantico.fr
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Evguéni Prigojine a accusé le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou et le chef d'état-major Valeri Guerassimov de « trahison » vis-à-vis des mercenaires du groupe Wagner.
Evguéni Prigojine a accusé le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou et le chef d'état-major Valeri Guerassimov de « trahison » vis-à-vis des mercenaires du groupe Wagner.
©ALEXEY DRUZHININ / SPOUTNIK / AFP

Défenestrations en vue ?

Evguéni Prigojine, le patron de la milice privée Wagner, a accusé le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou et le chef d'état-major Valeri Guerassimov de « trahison » envers ses mercenaires. Le ministère de la Défense russe aurait délibérément arrêté de donner des munitions aux mercenaires, selon Prigojine.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Pourquoi le chef de Wagner a-t-il critiqué le gouvernement russe ?

Viatcheslav Avioutskii : Wagner, qui est une entreprise militaire privée, a été sollicitée pour participer à la guerre en Ukraine car l’armée conventionnelle n’était pas adaptée à certains types de combats qui ont eu lieu en Ukraine et a subi beaucoup de pertes notamment dans les premières semaines. Le gouvernement russe a demandé de l’aide à Wagner pour « boucher les trous », en particulier dans les zones urbanisées car le nombre d'unités d'élite préparée à cette mission compliquée était limité. 

Beaucoup de sources concordantes affirment que Poutine a donné carte blanche à un moment à Wagner, qui avait pendant un temps un approvisionnement meilleur que l’armée conventionnelle, ce qui explique en partie les succès de Wagner sur certains secteurs du front. La Russie a autorisé Wagner à avoir recruté jusqu'à 50.000 criminels condamnés à des peines de prison. Dans une vidéo récente, Prigojine admet que Wagner est similaire dans son fonctionnement à des groupes de crime organisé. Selon lui, Wagner cherche à valoriser des talents criminels dans le domaine militaire. Prigojine lui-même a été condamné et a fait beaucoup d’années de prison. Il comprend bien les criminels et s'adresse à eux avec un langage qu'ils comprennent. Il leur propose la liberté en échange d'un passage de 6 mois sur le front en Ukraine. Le problème est qu'une grande partie de ces nouvelles recrues (jusqu'à 80%, selon les ONGs) meurent en Ukraine, avant de pouvoir bénéficier de cette liberté promise.

Dans ses commentaires souvent acerbes, Prigojine laisse entendre que l’armée russe multiplie les échecs en Ukraine. Il présente Wagner comme la (seule) solution en Ukraine, en suggérant que les entreprises privées seraient plus efficaces que l'armée régulière et que logiquement à terme celles-ci pourraient la remplacer. En tant qu'entrepreneur non-conventionnel, il cherche à profiter des transformations que les affaires militaires connaissent partout dans le monde et que l'armée russe peine à incorporer. 

Concernant la déclaration de Prigojine, c’est évidemment un message à l’intention de Vladimir Poutine. En effet, il y a un manque de munitions et d’obus, ce qui fragilise Wagner. Le chef des mercenaires de Wagner pense donc que le Kremlin souhaite se débarrasser de cette entité qui devient de plus en plus gênante dans l'espace politico-médiatique russe. C'est surtout l'establishment militaire russe qui voit d'un œil critique la médiatisation croissante de Wagner et de son propriétaire.

En même temps, Vladimir Poutine a annoncé récemment l'intention de l'Etat d'intégrer les anciens combattants dans la fonction publique, ce qui signifie que les militaires, mais aussi les membres de formations comme Wagner, trouveront leur place dans une Russie de plus en plus militarisée qui se prépare à une guerre très longue.

Pourquoi les choses ont changé pour Wagner ?

La nomination de Guerassimov à la tête de l'"opération spéciale militaire" en Ukraine début janvier a bouleversé le rapport de forces qui s'est établi entre l'armée régulière et différents corps suppléants irréguliers russes. On y retrouve des milices séparatistes de Donetsk et Louhansk qui sont désormais intégrées dans l'armée mais qui bénéficient d'une certaine autonomie; des unités cosaques; des formations tchétchènes de Kadyrov etc. 

En tant que militaire professionnel, Guerassimov a une hostilité envers Prigojine, pour qui ce dernier a tendance à dépasser ses prérogatives et critiquer les décisions stratégiques prises par l'Etat-Major. Guerassimov n’a pas du tout apprécié les critiques de Prigojine envers l’armée russe. Aujourd’hui, l’objectif du Kremlin est de réintégrer Wagner au sein de l’armée, notamment parmi les troupes de choc, comme on peut le voir avec certaines unités cosaques ou volontaires. Le gouvernement montre à Prigojine que ses prétentions politiques ne sont pas fondées : il n'est par exemple plus autorisé à recruter de nouveaux prisonniers en Russie.

Comment cela peut se terminer ?

En plus de problèmes d'approvisionnement en munition, Prigojine a perdu une source de recrutement, ce qui complique la conduite de combats. L’image de Wagner au sein de l’armée est négative. Les tensions vont monter crescendo. Mais à mon avis, la puissance de Wagner est surévaluée. Il s’agit d’une campagne médiatique que Prigojine est en train de conduire pour défendre sa boutique. Wagner existe grâce aux financements étatiques très abondants. Toute cette campagne a pour objectif de démontrer une efficacité légendaire de Wagner afin de capter des contrats juteux sur d'autres théâtres d'opération potentiels notamment au Moyen-Orient et en Afrique. 

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