Ukraine : Macron et l’ambiguïté stratégique<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky lors d'une conférence de presse commune.
Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky lors d'une conférence de presse commune.
©THIBAULT CAMUS / POOL / AFP

Diplomatie

Emmanuel Macron a déclaré que l'envoi de troupes occidentales en Ukraine n'était "pas exclu" tout en précisant qu'il n'y avait pas de consensus sur le sujet.

Gabriel Robin

Gabriel Robin

Gabriel Robin est journaliste et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019).

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Il a suffi d’un mot pour enflammer la France et l’Europe. Une simple ambiguïté du président Macron pour que la Troisième Guerre mondiale soit annoncée à grands renforts d’éditoriaux larmoyants et de tweets inquiets. Au sortir d’une conférence parisienne de soutien à l’Ukraine réunissant les dirigeants de l’Union européenne, Emmanuel Macron a évoqué, oh malheur, la possibilité d’un envoi de troupes en Ukraine. Qu’en était-il réellement ?

Tout d’abord, Emmanuel Macron n’a pas pris l’initiative d’aborder le sujet de lui-même. En réalité, il répondait à une question de la journaliste politique de Bloomberg, Ania Nussbaum. Ce fait capital n’a pourtant été que peu évoqué dans la presse française comme internationale. Revenant sur les propos tenus juste auparavant par Robert Fico, dirigeant slovaque connu comme étant l’un des rares au sein de l’Union européenne à encore afficher ouvertement un tropisme russophile, madame Nussbaum a demandé à Emmanuel Macron la chose suivante : « Sur les propos du Premier ministre slovaque, qui, avant cette conférence, évoquait la possibilité d'envoyer des troupes occidentales au sol en Ukraine, est-ce que cela a été discuté aujourd'hui, qu'en pensez-vous et qu'en est-il ? »

Ce dernier avait expliqué avant la conférence de l’Elysée que « plusieurs Etats membres de l’Otan et de l’UE avaient envisagé d’envoyer leurs soldats sur le territoire de l’Ukraine sur une base bilatérale ». Il ajoutait ensuite craindre la chose et avoir pour la « sécurité des accords bilatéraux » qui seront prochainement signés « avec les Etats membres de l’OTAN et de l’UE voulant envoyer leurs troupes ». Et qu’a répondu Emmanuel Macron à ces spéculations ? Il les a levées. La réalité est donc qu’il n’a absolument pas déclaré que la France ou l’OTAN souhaitaient dans l’immédiat envoyer des soldats sur les champs de bataille de l’Ukraine, mais que néanmoins « tout avait été évoqué » lors d’une discussion « libre et directe ».

Il a ensuite précisé son propos en affirmant : « Il n'y a pas de consensus pour envoyer de manière officielle assumée des troupes au sol. Mais, en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre. (…) Beaucoup de gens qui disent “jamais, jamais !” aujourd'hui étaient les mêmes qui disaient “jamais, jamais des tanks, jamais, jamais des avions, jamais, jamais des missiles de longue portée”, il y a deux ans. Je vous rappelle qu'il y a deux ans, beaucoup autour de cette table disaient que nous allions proposer des sacs de couchage et des casques. Et aujourd'hui ils disent : « Il faut faire plus vite et plus fort pour avoir des missiles et des tanks. » »

Voilà pour les faits. Car, les faits comptent. Ils comptent d’ailleurs plus que jamais dans un monde où la communication instantanée a rendu absolument tous les débats hystériques et où un simple battement d’aile de papillon peut avoir le souffle de l’explosion de plusieurs tonnes de nitroglycérine. Place à l’analyse.

Une classe politique française paniquée et lamentable

Peu soucieuse de la réalité, notre classe politico-médiatique s’est pourtant immédiatement emportée, jouant le rôle classique que l’URSS comme la Russie confient à certaines élites, celui d’idiot utile. Monsieur Léon Deffontaines, tête de liste du Parti Communiste français aux prochaines élections européennes s’est particulièrement illustré dans le registre éculé du petit télégraphiste de Moscou : « J’ai 27 ans et je le dis clairement : je ne veux pas aller au front. Je ne veux pas faire partie d’une génération sacrifiée ».

Une telle crise d’hystérie a de quoi surprendre. Qui a demandé à ce jeune homme d’aller « mourir pour le Donbass » ? Qui l’a demandé à Pascal Boniface qui a eu lui aussi l’occasion de s’étaler longuement sur la question ? De quoi ces gens ont-ils peur ? Qu’ils se rassurent, si des troupes françaises finissaient par être positionnées en Ukraine, ils ne seraient pas appelés en premier. La France a une armée professionnelle, et, par ailleurs, les troupes seraient d’abord constituées d’opérateurs interarmes et éventuellement de forces d’interposition stationnées le long des rives du Dniepr et non sur les territoires annexés par la Russie et qu’elle considère désormais comme soumis à sa souveraineté.

Nous sommes parvenus à un tel point de décadence morale que la simple évocation de la guerre leur est insupportable. Robert Redeker a publié il y a quelques années l’ouvrage Le Soldat Impossible, dans lequel il se demandait si « Mourir pour la France, faire la guerre et tomber au champ d’honneur » étaient encore possibles dans un monde où l’hédonisme comme le pacifisme sont devenues les valeurs cardinales. Les Français contemporains ont longtemps vécu des dividendes de la paix. On leur a répété qu’il n’y aurait « Plus jamais ça », qu’elle était « Finie la barbarie ! » et qu’un jour tous les enfants du monde « se tiendraient par la main ». Ils n’arrivent donc même plus à conceptualiser la dialectique de la conflictualité, y compris quand l’ennemi nous désigne.

Est belliciste le président Macron qui évoque une hypothèse, n’est pas belliciste le président Poutine qui répond à la possibilité de l’envoi de troupes dans un pays tiers par la menace nucléaire. Les instincts patriotiques, voire tout simplement animaux, sont refoulés et tabouisés. Face au danger, l’élite politico-médiatique fait l’autruche, s’enfouit kla tête dans le sable. Elle le fait depuis 1945 sur absolument tous les sujets. Les évocations des chevaliers, des poilus et des troupes napoléoniennes par la droite, comme celles des Républicains espagnols de 1936 et des luttes décoloniales par la gauche, sont de l’ordre fantasmatique. La réalité leur est en revanche proprement intolérable. Dans ces conditions, les ennemis de la France et de l’Europe s’enhardissent, n’ont même plus besoin d’agir : il leur suffit de réveiller les peurs d’une population endormie menée par des couards.

La dissuasion et l’ambiguïté stratégique

Recevant le corps diplomatique soviétique à Paris en 1963, Charles de Gaulle fit la démonstration de la pertinence de la dissuasion à l’ère atomique. L’ambassadeur Vinogradov voulut tester le Président sur l’inintérêt pour la France de se doter de l’arme nucléaire, puisque l’URSS pouvait alors riposter de façon automatique et raser l’hexagone : « Mon Général, vous mourrez à Paris ». La chose amusa Charles de Gaulle qui lui répliqua « Eh bien, monsieur l’ambassadeur, nous mourrons donc ensemble ! »

Certes différentes, les doctrines nucléaires françaises et russes convergent sur un point ; l’utilisation de telles armes de destruction massive entrainerait une destruction mutuelle des co-belligérants. La France et ses alliés ont donc tout intérêt à réapprendre le langage stratégique russe, encore imprégné des grands classiques. Dans Paix et guerre entre les nations, Raymond Aron explique que « Les horreurs des guerres du XXe siècle, la menace thermonucléaire ont donné, au refus de la politique de puissance, non pas seulement actualité et urgence mais aussi une sorte d'évidence. L'histoire ne doit plus être une succession de conflits sanglants si l'humanité veut poursuivre son aventure. Jamais la disproportion n'est apparue aussi éclatante, aussi tragique entre la catastrophe possible et les enjeux des rivalités interétatiques. Toute stratégie classique — y compris celle qui a été esquissée dans les pages précédentes — paraît lamentablement inadéquate, mesurée aux exigences de la paix et aux périls de la guerre. Elle aboutit à un constat d'impuissance, à une sorte de résignation à l'absurde »

Cette position, impliquant la prise en compte du potentiel de destruction quasi cosmique de l’arme nucléaire, n’interdit pourtant ni la dissuasion ni l’emploi de la force. Autrement dit, Emmanuel Macron a agi comme le révélateur de l’impuissance acquise de l’Europe occidentale. Il a notamment montré les névroses de l’Allemagne, incarnées par Olaf Scholz qui a immédiatement multiplié les communications pour affirmer que jamais ne seraient envoyées de troupes au sol en Ukraine, y compris par l’Otan, prenant en plus du rôle de chancelier celui de chef d’Etat major de l’alliance militaire occidentale ! Pis, dans sa panique, il a révélé des secrets de défense français et britanniques, semblant atteindre ses limites psychologiques.

La Russie sait très bien jouer de ces faiblesses, de ce manque de détermination. Si Emmanuel Macron a brisé un tabou, probablement malgré lui, il faut désormais que cette dialectique qui inquiète le Kremlin soit suivie d’effets. Nous devons tenir nos promesses d’envois d’armes et non de troupes. Nous le devons aux Ukrainiens qui se battent seuls pour leur souveraineté. Nous nous le devons à nous car notre incapacité à penser la guerre pourrait entrainer le monde dans une spirale chaotique où nous ne serions plus jamais en mesure d’imposer notre volonté politique et notre ordre juridique sur la scène internationale, laissant la place à un âge incertain où le fait souverain serait celui de la force brute affranchie de toute morale.

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