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La Russie sera la grande perdante de la crise en Ukraine.
La Russie sera la grande perdante de la crise en Ukraine.
©Maksim BLINOV, Ludovic MARIN, Johanna GERON / AFP

Futur de l'Europe

L’heure du réveil a sonné pour l’Europe et l’Histoire s’est tragiquement remise en route au son du canon. Mais alors que les combats font rage et que les réfugiés se pressent par millions sur les routes de l’Ouest, les puissances préparent déjà le coup d’après. Un Grand Jeu se met en place dont dépendra l’avenir de l’Europe.

Raphaël Chauvancy

Raphaël Chauvancy

Raphaël Chauvancy est officier supérieur dans l'infanterie de marine, détaché depuis 3 ans au sein des UK Commando forces - Royal Marines. Il est également chargé du module "intelligence stratégique et politiques de puissance" à l'école de guerre économique (Paris). Il a publié une dizaine d'ouvrages, et collabore régulièrement à différentes revues (Conflits, Diplomatie, Marine et Océans...) et sites internets (Theatrum Belli, geopoweb...).

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Quel que soit le règlement de la crise, une chose est sûre. La Russie en sera la grande perdante. Elle a dilapidé son prestige diplomatique, ruiné sa réputation militaire et obéré ses finances. Elle dépensé un capital matériel et moral qu’elle ne pourra reconstituer qu’au prix d’un effort soutenu de longues années durant. En attirant les projecteurs, elle s’est paradoxalement mise en marge du jeu international. Sans doute parviendra-t-elle à éviter l’effondrement, mais guère plus. Son marché intérieur de lui permet pas de viser l’autarcie et le partenaire chinois est trop exigeant et soucieux de ses propres intérêts pour qu’il ne soit pas très dangereux pour Moscou de s’en remettre à lui. La formule de l’autoritarisme russe reposant sur la collusion entre l’administration, l’armée et les oligarques autour du président Poutine sort très fragilisée de la crise. Les oligarques craignent pour leurs capitaux. La hiérarchie militaire, elle, doit difficilement supporter d’assumer vis-à-vis de la nation la responsabilité de pertes militaires causées par une guerre qu’elle n’était pas prête à mener. 

A l’extérieur, l’Europe a enfin compris la nécessité de s’affranchir du gaz russe et de réarmer. En amoindrissant ses dépendances et en rééquilibrant les forces, elle compromettrait à terme les deux leviers structurels de l’influence russe : la pression énergétique et la menace militaire. Durablement marginalisée, la Russie s’est exposée à ne plus être ni une menace vitale, ni un partenaire fiable. Les quelques territoires et leur population qu’elle devrait annexer en Ukraine n’y changent rien. Ejectée d’Europe, elle reste à la porte de l’Asie. Elle se retrouve dans le piège géopolitique qu’elle devait et voulait à tout prix éviter, la marginalisation. 

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Elément perturbateur, le Kremlin a perdu la capacité d’être un moteur. L’Europe ne sera pas sous influence russe. Parviendra-t-elle pour autant à reprendre son destin en main ? Tout dépendra des orientations données à l’OTAN et à l’UE et des résultats de la partie engagée entre les Anglo-Saxons, la France et l’Allemagne. 

L’OTAN était moribonde il y a quelques mois. Le président Macron pouvait même la déclarer publiquement en état de « mort cérébrale ». Instrument de contrôle politique et principal outil d’exportation du complexe militaro-industriel américain, son avenir semblait compromis. Par son agression inconsidérée, Vladimir Poutine l’a relancée pour vingt ans. Malgré ses faiblesses et ses défauts, elle a été le rempart de l’Europe. Voici qui règle au moins pour de bon les états d’âme français. Les nations européennes n’accepteront aucun projet de Défense déconnecté de l’Alliance. L’idée caressée par certains de voir Paris en quitter le commandement intégré et prendre ses distances n’augmenterait pas sa liberté de manœuvre mais l’isolerait en Europe, ruinant sa politique d’influence. 

L’OTAN a retrouvé un rôle pivot dans la sécurité collective européenne. Les Etats-Unis chercheront logiquement à en profiter pour réaffirmer leur protectorat de fait. Ils disposent d’une opportunité unique. L’augmentation annoncée des crédits militaires européens suscite espoirs et convoitise, notamment les 100 milliards d’euros annoncés par l’Allemagne. Washington cherchera à troquer sa garantie militaire contre des achats de matériel. La base industrielle et technologique de Défense et l’autonomie européenne à long terme seraient sacrifiés à l’illusion d’une sécurité à court terme. Les choix de Berlin, notamment, pèseront lourd dans la balance. 

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Un acteur autre significatif est le Royaume-Uni. Allié privilégié des Etats-Unis, sur lesquels il n’hésite que rarement à s’aligner, il dirige par ailleurs la Joint Expeditionary Force (JEF) qui regroupe les Pays-Bas, les Etats baltes, et les nations scandinaves. L’affirmation d’une communauté de vue et de destin stratégique entre les membres de l’UE lui ferait craindre de se trouver isolé au sein de l’OTAN entre les blocs américain et européen et de voir le JEF progressivement délaissé. Downing Street fera probablement tout son possible pour saper en sous-main les efforts de la France en faveur d’une Défense européenne crédible. Cela étant, il serait inimaginable, à terme, de ne pas y associer d’une manière ou d’une autre la Grande-Bretagne. 

Il n’est pourtant pas impossible que Paris arrive à imposer sa vision. Si l’OTAN a prouvé son utilité, les capitales européennes ont bien vu qu’en laisser la direction aux Etats-Unis avait contribué à accroître les risques et l’instabilité sur leur continent. Un rééquilibrage s’impose. Il implique une Europe forte. La « boussole stratégique » européenne pourrait favoriser les mutualisations diplomatiques et militaires sur les intérêts fondamentaux partagés par les nations de l’Union. Celle-ci deviendrait enfin le catalyseur de puissance qu’elle n’a pas su être jusqu’à présent. Son modèle unique permettrait aux nations membres de rivaliser ensemble avec les Etats-continents, tout en préservant le modèle de souveraineté nationale indispensable à l’exercice de la démocratie. 

L’intégration dans un empire américain qui ne dit pas son nom est incompatible avec nos intérêts et nos valeurs. En revanche, une relation transatlantique rénovée serait non seulement bénéfique aux deux parties mais renforcerait le modèle démocratique, aujourd’hui contesté. Car ce qui est en jeu, c’est aussi une certaine idée de la liberté et de la dignité de l’homme. Malgré leurs réticences à l’admettre, les Américains pourraient découvrir les avantages qu’il y a à se reposer sur des alliés fiables et forts plutôt que sur des vassaux faibles et impuissants.

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