Ukraine, Crimée : pourquoi Vladimir Poutine trouve soudain un intérêt à la diplomatie<!-- --> | Atlantico.fr
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ladimir Poutine s'est décidé à contacter Barack Obama vendredi 28 mars, pour établir les premiers pas vers une résolution pacifique du conflit.
ladimir Poutine s'est décidé à contacter Barack Obama vendredi 28 mars, pour établir les premiers pas vers une résolution pacifique du conflit.
©Reuters

Et la paix vaincra

Le dernier vendredi de mars 2014, Barack Obama a reçu un coup de téléphone pour le moins inattendu. Vladimir Poutine souhaitait lui parler de la crise en Ukraine, et les deux hommes se sont mis d'accord sur une rencontre de leurs diplomates. Retour sur ce qui semble être un recul de la Russie et un début de victoire pour l'Occident après le show donné par Poutine.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Atlantico : Vladimir Poutine s'est décidé à contacter Barack Obama vendredi 28 mars, pour établir les premiers pas vers une résolution pacifique du conflit. Que faut-il y voir ? Le Président russe serait-il en train de reculer au profit de l'Occident ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : La question est de savoir de quel conflit nous parlons et ce que sont les critères d’évaluation, de la situation géopolitique et des stratégies antagonistes. Dans les représentations géopolitiques russes, l’Ukraine est centrale et l’idée directrice de Vladimir Poutine était de resatelliser cette dernière, via un "partenariat stratégique" Moscou-Kiev, signé peu après le sommet européen de Kiev sur le Partenariat oriental. Cet accord était pensé comme le préalable d’une intégration dans l’Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan puis dans l’Union eurasienne.

La fuite de Viktor Ianoukovitch dans les jours qui ont suivi la sanglante répression des manifestants et le changement de gouvernement sont une défaite politique majeure pour Poutine, avec d’importantes retombées géopolitiques. La saisie militaire de la presqu’île de Crimée est une réaction aux événements de Kiev et l’arbre ne doit pas cacher la forêt.

Pour résumer, Poutine s’est emparé de la Crimée, à défaut de contrôler l’Ukraine continentale. Pourtant, il n’a pas renoncé à l’idée de conserver un pouvoir de nuisance à l’encontre de Kiev, via des pressions militaires et des manœuvres de déstabilisation. Si la baisse de la pression militaire sur les frontières orientales de l’Ukraine était confirmée, ce serait effectivement un recul par rapport aux ambitions initiales. Cela dit, cette partie géopolitique se joue dans la durée.

Que risque Poutine, concrètement, dans cette affaire ? Quels sont les moyens de pression dont l'Occident dispose, et qu'il a employés pour en arriver jusqu'ici ? Finalement, ne peut-on pas parler de la fin d'un spectacle et le début des discussions sérieuses ?

Cette propension à privilégier le point de vue du spectateur est surtout révélatrice de la psychologie des sociétés dites post-modernes : nous ne sommes pas au théâtre de Guignol, moins encore sur Sirius. Ce conflit géopolitique se joue dans un pays qui participe à la fois de l’Europe centrale et orientale, sur les frontières de l’UE et de l’OTAN. En d’autres termes, c’est une question d’importance majeure pour l’avenir de l’Europe, la paix et la sécurité de ses peuples. Plus généralement, le génie de l’Occident se caractérise par le "souci du monde" (voir Jean-François Mattéi, tout récemment disparu). Ne cédons donc pas à la "société du spectacle", à la déréalisation du monde ou encore au ricanement de "ceux à qui on ne la fait pas".

Dans cette crise géopolitique, Européens et Nord-Américains ont adopté une posture militaire dissuasive (à travers l’OTAN), formé un front diplomatique occidental et mis en œuvre des sanctions encore limitées, à portée diplomatico-économique, tout en s’affirmant prêts à mettre en œuvre des sanctions économiques ciblées. Cela a eu des conséquences non négligeables sur le rouble, la bourse et les sorties de capitaux depuis la Russie (elles sont déjà équivalentes au total de l’année 2013).

Sur un plan plus large, les Occidentaux ont mis en évidence les limites de l’influence diplomatique russe, tant au niveau du Conseil de sécurité (membres permanents et non-permanents) que dans l’Assemblée générale des Nations unies. Il était important de se compter et la solitude diplomatique de Moscou est flagrante. Dans la corrélation des forces, cela compte. Sur ce dernier point, il ne faut pas se laisser abuser par les rodomontades de la classe dirigeante russe. La diplomatie russe est soucieuse de se ménager des appuis extérieurs et met volontiers en scène des formats internationaux sans grande cohérence géopolitique interne (voir les BRICS ou l’OCS), pour poser la Russie en leader international.

Jusqu'où pourrait aller l'accord ? Si Vladimir Poutine montre patte blanche, lâchera-t-il pour autant la Crimée ? Au vu et au su des derniers événements, à qui revient la victoire diplomatique ?

Nous n’en sommes pas à un accord. Les ministres des Affaires étrangères des Etats-Unis et de la Russie sont convenus d’identifier des points de convergence, ce qui donne une idée du fossé qui sépare leurs positions. Finalement, la Russie va-t-elle accepter la formation d’un "groupe de contact" ? La diplomatie allemande s’était convaincue de faire rallier la Russie à cette formule diplomatique mais la prise de contrôle militaire de la Crimée et son rattachement à la Russie ont mis Berlin en porte-à-faux, d’où une grande fermeté ces derniers jours, à la Chancellerie comme au ministère des Affaires étrangères.

Moscou cherche à distraire l’attention de la Crimée, pour amener les Occidentaux à entériner la politique du fait accompli, et se focalise sur le devenir politico-institutionnel de l’Ukraine continentale. L’idée de « fédération » poussée par Lavrov a pour objectif de disposer de leviers de pouvoir institutionnels dans l’Est ukrainien et d’affaiblir le gouvernement de Kiev, voire de lui ôter toute substance. A défaut de contrôler une Ukraine intégrée dans l’Union eurasienne, il faut la déstabiliser, provoquer le chaos,  entretenir l’anarchie, au sens étymologique du terme. L’idée de manœuvre est limpide : interdire à Kiev de se rapprocher des instances euro-atlantiques et conserver le maximum d’options, en attendant que la situation géopolitique soit propice.

Sur la "victoire diplomatique" : quels sont les critères d’évaluation ? Initialement, l’idée de Poutine était d’empêcher la signature d’un accord d’association de l’Ukraine à l’UE et de la conduire à rallier l’Union douanière : le volet politique dudit accord a été signé et l’Ukraine a annoncé sa sortie de la CEI (Communauté des Etats indépendants). Enfin, le rattachement de la Crimée à l’Ukraine, au mépris des engagements diplomatiques pris par l’Etat russe (voir le mémorandum de Budapest de 1994 ainsi que le traité d’amitié et de coopération signé avec Kiev en 1997), a réveillé les Etats européens les plus prompts à relativiser la menace russe. La Crimée est un dangereux précédent et le révisionnisme géopolitique russe, au nom de la "défense des minorités russes", menace d’autres parties de l’Europe (les pays baltes par exemple).

Tous les gouvernements européens sont en accord sur le diagnostic géopolitique et un climat de "paix froide" règne sur l’Europe. Cette crise est un point tournant et les illusions sur la "maison commune" européenne, ou les complémentarités naturelles, sont dissipées. N’y voyons donc pas une simple poussée de fièvre ou un malentendu provoqué par le défaut de "dialogue". C’est dans la durée que nous pourrons évaluer la situation. Une certitude : la puissance russe est surévaluée et cette surévaluation est le reflet de notre réticence à accepter le conflit géopolitique avec la Russie, désormais mis en évidence par un nouveau "conflit gelé" autour de la Crimée.

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