Ukraine : au-delà des tanks, quels objectifs « de guerre » pour l’Otan ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des chars Leopard 2 vont être livrés à l'Ukraine.
Des chars Leopard 2 vont être livrés à l'Ukraine.
©RONNY HARTMANN / AFP

Armement

Aujourd’hui les tanks, demain les bombes nucléaires ?

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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‘First come the tanks, then come the nukes?’ : ce point de vue lapidaire sur le conflit en Ukraine a le mérite de la clarté. La sentence est signée Donald J. Trump, le 26 janvier 2023. Ces réserves sont actuellement fort minoritaires, au sein de l’alliance occidentale. La théorie qui l’emporte est que ‘nous’ (ie, l’Occident) devons apporter à l’Ukraine tout le soutien militaire possible pour repousser l’envahisseur russe en dehors des frontières ukrainiennes.

Toutefois, l’analyse d’un sujet complexe reste en défaut si elle ne fouille pas les détails. La première question à se poser est celle des objectifs de guerre. Toute action quelle qu’elle soit, a fortiori militaire, doit répondre à des objectifs. Certes, l’histoire offre quantité d’exemples d’actions et campagnes militaires purement passionnelles, haineuses. Mais, dans ce cas, il reste un objectif, qui est la destruction de l’adversaire.

Trois parties sont impliquées dans le conflit. L’objectif de l’Ukraine est de reprendre les territoires conquis par Moscou non seulement depuis 2021, mais depuis 2014, ce qui inclut la Crimée. Net et prévisible. L’objectif de la Fédération de Russie est de conserver la Crimée et les ‘républiques autonomes’ du Donbass, tout en évitant que l’Ukraine n’entre jamais dans l’OTAN. Clair, prévisible, et relativement constant. On est, bien sûr, en droit de s’interroger sur la vérité des objectifs russes, tant les mouvements militaires russes sur le terrain ont semblé s’en éloigner. Ainsi de la tentative avortée de prendre Kiev — qui n’a jamais été une ‘diversion’ que dans des esprits fantaisistes — et du fait que l’occupation russe a dépassé le Donbass, avant que la contre-offensive ukrainienne ne l’y repousse. Reste que les objectifs revendiqués par la Russie sont réels, exprimés, et relativement prévisibles.

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La difficulté, pour l’analyste et pour les citoyens occidentaux que nous sommes, est de comprendre les objectifs de guerre de l’OTAN. En réalité, l’OTAN n’a pas d’objectif de guerre, car elle n’est pas juridiquement partie au conflit. Qualifions dès lors d’alliance occidentale, sous stricte coordination américaine, cette titanesque fourniture d’armes, de fonds et d’ ‘intelligence’ à l’Ukraine par l’Occident.

Prétendre que l’alliance occidentale n’a pas d’objectifs, seulement permettre à l’Ukraine de poursuivre les siens, est un sophisme. Europe et États-Unis ne fournissent pas des dizaines de milliards et le matériel militaire le plus sophistiqué au régime ukrainien sans exercer ne serait-ce qu’un vague regard sur ses objectifs de guerre. Par ailleurs, sans le soutien occidental, il ne faudrait pas trois quarts d’heure pour que le régime ukrainien ne s’effondre.

Que l’on déchire le voile des mots, et l’on verra que l’Europe est tétanisée par l’idée de perdre la protection américaine — à juste titre, en l’état des moyens militaires de l’Europe. D’où le pas de deux auquel nous venons d’assister avec l’Allemagne qui livrera tous les chars Léopard qu’on voudra, à la condition expresse que les États-Unis livre ses chars Abrams. Car l’Allemagne, seule, a peur de la Russie, et à bon droit car à l’heure actuelle son armée est une talentueuse équipe de garde-champêtres en bonne condition physique.

Par conséquent, ce qui doit nous occuper, d’un strict point de vue réaliste, ce sont les objectifs de guerre américains en Ukraine. Ces objectifs n’ont jamais été exprimés en tant que tels, par les motifs que nous venons de rappeler. ‘Aider l'Ukraine à se défendre. Soutenir le peuple ukrainien. Demandez des comptes à la Russie’ : les termes du Secrétaire d’État Antony Blinken sont vagues. Nous en sommes réduits aux conjectures. Trois possibilités se dessinent.

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Si l’objectif est de reprendre la Crimée, que la Russie considère comme territoire russe à part entière, alors le conflit risque bien de prendre un tour nucléaire, comme pressenti par l’ancien président Trump. Idem si l’objectif est de provoquer un changement de régime à Moscou (sic), un objectif messianique qui n’est pas à exclure quand on mesure l’influence à Washington d’un George Soros, omniprésent dans l’administration Biden comme le montrait le New York Post dans une remarquable enquête parue le 24 janvier ‘With Joe Biden, George Soros finally had a president he could control’.  Bien naïf celui qui pense que les armes nucléaires sont faites pour ne pas s’en servir. Il ne s’en est fallu que de la maîtrise de leurs nerfs par deux hommes d’État pour que la guerre froide ne devînt thermo-nucléaire, en 1962. Même une frappe nucléaire tactique limitée nous ferait entrer dans une réalité qu’aucune personne sensée ne désire.

Si l’objectif est de transiger, les contours d’un accord se dessinent. Comme le rappelait Michaël Van Damme dans l’hebdomadaire flamand ‘t Pallieterke la semaine dernière (‘Développer une stratégie à long terme vis-à-vis de la Russie’), les Russes ne lâcheront pas le Donbass. D’un autre côté, comme le soulignait, cette semaine également, Henry Kissinger, l’idée que l’Ukraine occidentale restera après la guerre à mi-chemin entre l’Est et l’Ouest a fait son temps. L’entrée de l’Ukraine occidentale — moins la Crimée et le Donbass — dans l’OTAN n’a plus rien de fantasque. Les conditions d’une négociation paraissent réunies. Mais à l’heure actuelle, les parties privilégient la solution militaire, et nous sommes dans une logique d’escalade au sens strict. Jusqu’à l’extrémiste verte ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Die Grünen) qui déclare ‘nous sommes en guerre avec la Russie.’ Oh, really ?

Peut-être l’objectif américain est-il d’épuiser l’armée russe, dans la perspective d’une future confrontation entre la Russie et l’OTAN ? Cera ferait sens, car la Russie brûle en effet des volumes titanesques de matériel militaire et subit de sévères pertes humaines.

Toutefois, gardons à l’esprit que les Russes sont manifestement prêts à mourir, par centaines de milliers, pour l’Ukraine. Envoyer leurs enfants de 18 ou 20 ans au front, et ne jamais les voir revenir.

Et vous, êtes-vous prêt à mourir pour l’Ukraine ? Pas seulement financer : mourir.

Le temps ne joue pas en notre faveur.

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