Ukraine : pourquoi l’exclusion de la Russie du système de paiement Swift pourrait bien générer un effet boomerang<!-- --> | Atlantico.fr
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Washington menace de sortir la Russie du système SWIFT.
Washington menace de sortir la Russie du système SWIFT.
©SAUL LOEB / PISCINE / AFP

Sanctions internationales 

Face à la menace d'invasion de l'Ukraine, les Etats-Unis n’écartent pas l’idée de pousser Swift, une entreprise permettant la majorité des transactions internationales, à débrancher la Russie. Cette mesure aurait d’importantes répercussions sur l'économie mondiale, les entreprises et les banques.

Eric Dor

Eric Dor

Eric Dor est docteur en sciences économiques. Il est directeur des études économiques à l'IESEG School of Management qui a des campus à Paris et Lille. Ses travaux portent sur la macroéconomie monétaire et financière, ainsi que sur l'analyse conjoncturelle et l'économie internationale

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Atlantico : Sur la pression des Américains, la Russie pourrait être débranchée du système Swift, en représailles à une éventuelle invasion en Ukraine. Pourquoi cette décision serait lourde de conséquences pour la Russie ?

Eric Dor : Il s’agit effectivement d’une des sanctions que les Etats-Unis pourraient appliquer. Swift est un système d’envoi de messages sécurisés et rapides qui accompagnent des paiements transfrontaliers. Si par exemple un client français achète du gaz russe, paiement qui doit se faire en dollars de la France vers la Russie, le client français va donc demander à sa banque française d’envoyer des dollars sur un compte du vendeur dans une banque russe. Il y a donc un mouvement de fonds qui doit se faire entre les deux banques.  Ce genre de paiements transfrontaliers, pour avoir lieu, sont accompagnés d’un message qui donne l’ordre de débiter un compte pour le transférer dans une autre banque dans un second pays. Swift existe depuis les années 1970. Cela a permis de sécuriser les paiements transfrontaliers et de les rendre extrêmement rapides. Avant Swift, cela pouvait prendre plusieurs jours et le dispositif était beaucoup moins sécurisé. A l’époque, pour communiquer entre elles, les banques recourraient au Télex ou à des courriers postaux.

Avec le spectre des sanctions américaines, on comprend tout de suite que si l’on déconnecte les banques russes du système Swift, on rend les paiements transfrontaliers avec la Russie très pénibles. On les handicape beaucoup. Cela va devenir compliqué de vendre et de recevoir des produits. Cela ne va pas être impossible parce que l’on va toujours pouvoir recourir aux anciennes méthodes mais cela va être très handicapant, donc très ennuyeux pour l’économie russe.

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Les Américains pourraient prendre une sanction bien pire contre la Russie. A la manière de ce qu’ils ont fait à l’égard d'un pays avec lequel ils sont en désaccord sur la question nucléaire, ce serait d’interdire la compensation des opérations en dollars avec la Russie. Les Américains partent du principe suivant. Toute opération en dollars nécessite à un moment donné une compensation sur le territoire américain via la Banque Centrale. Ils peuvent se targuer d’une certaine extraterritorialité de leurs droits à cause de cela. Si par exemple on décrète que l’on interdit les transactions avec tel pays en dollars, on peut penser au départ que c’est une interdiction qui ne concerne que les citoyens et les entreprises américaines. Normalement les lois d’un pays, elles ont juridiction sur les citoyens et sur le territoire de ce pays. Mais ils disent pour nous que ces sanctions doivent être appliquées par aussi tous les étrangers, tous les citoyens et banques étrangères. Pourquoi ? Parce que si elles font une opération en dollars avec le pays que j’ai sanctionné, cela va nécessairement impliquer à un moment donné une compensation sur les territoires américains. Et donc elles vont être en infraction avec la loi américaine. Des banques étrangères peuvent recevoir le message que si elles mènent des opérations avec la Russie, elles vont enfreindre le droit américain et il y aura compensation en dollars sur le territoire américain et donc elles vont être punies par exemple avec des interdictions pour les filiales aux Etats-Unis. Pour des grandes banques d’affaires comme BNP Parisbas ou la Deutsche Bank cela serait une catastrophe, et donc ce serait une mesure très dissuasive pour les contraindre à éviter les transactions avec la Russie. Cela serait donc l’arme utile et encore plus puissante que la coupure de Swift.

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D’autres pays, en plus de celui déjà évoqué, ont-ils déjà été coupés du système Swift ?

Jusqu'à présent c'est ce pays qui a bien été concerné par cette sanction liée à Swift, et aussi à celle sur la compensation en dollars. C’est pour cela que l’Union européenne, qui n’était pas d’accord avec ces sanctions contre ce pays, a essayé de mettre en place un système de troc pour continuer à faire des transactions sans que cela entraîne et aboutisse à des compensations en dollars.

La déconnexion de la Russie du système Swift pourrait-elle devenir une problématique pour les entreprises européennes ?

C’est ce qu’a dit le chancelier allemand Olaf Scholz. Toute sanction que vous imposez à un pays tiers, peut toujours vous retomber dessus car le pays tiers va prendre des mesures de rétorsion. Avec la Crimée en 2014, les Russes ont commencé à mettre en place un système de messagerie financière concurrent à Swift et qu’ils ont réussi à instaurer avec des pays qui étaient des anciens satellites de l’URSS, c’est le système SPFS. Ils ont réussi à y impliquer d’autres pays et même la Chine.

La Chine essaye aussi d’échapper à la domination financière américaine. Elle soutient un peu ce genre de projets. Cela pourrait pousser la Russie et la Chine et tous les autres pays en délicatesse avec l’Occident à avancer dans leur projet d’instaurer des architectures financières qui contournent le système occidental. Cela pourrait à terme nous nuire ainsi qu’à nos organismes financiers à long terme. Si on empêche des transactions avec la Russie, cela est un problème pour toutes les entreprises occidentales qui auraient été parties prenantes. Si vous empêchez Airbus de vendre des avions à la Russie, si vous empêchez un paiement de la Russie ou si vous empêchez les gens d’obtenir du gaz russe… cela pourrait avoir de fortes contraintes. Nous n’avons pas beaucoup de solutions de rechanges. L’alternative est le gaz que l’on liquéfie et que l’on amène par bateau du Qatar par exemple ou des Etats-Unis,   Cela va prendre beaucoup du temps avant d’augmenter la capacité de production le temps de compenser le gaz russe. En plus nous manquons de méthaniers. Ce n’est pas une solution de court terme. C'est pour ces raisons qu’Olaf Scholz est beaucoup plus réservé vis-à-vis de cette décision.  

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Cela pourrait-il être contre-productif pour les Occidentaux ?

Il a dit qu’il fallait faire attention à cette possibilité. Il y a une autre manière d’agir, c’est de pénaliser directement des individus via le gel des avoirs à l’étranger des dirigeants et de tous ceux qui leurs sont proches dans un pays donné. Il est possible également de les interdire de voyages.

L’alternative russe SPFS est utilisée juste par les anciens satellites ? Les banques européennes ne pourraient pas l’utiliser pour des transactions financières avec la Russie ? C’est impossible ?  

Certaines initiatives ont pour but de le lier aux systèmes d'autres pays comme la Chine. Alors que pour le pays du moyen orient, en Europe nous avions essayé d’échapper à l’application des sanctions décrétées par les Américains, dans ce cas de figure nous sommes censés être tous d’accord. L’Union européenne, le Royaume-Uni, les Etats-Unis doivent converger dans le même sens. Nous sommes censés agir comme alliés de l’OTAN.

Le gouvernement de la Russie masse des troupes près de l’Ukraine pour nous impressionner parce qu’il voudrait un traité qui garantirait que l’Ukraine ne rentrera pas dans l’OTAN et que même dans certains pays anciennement satellites de l’URSS comme les pays baltes où l’OTAN a massé des troupes, exiger qu’elles soient retirées. C’est donc une problématique OTAN vs Russie.

Quelles sont les banques françaises qui sont le plus à risque ou le plus exposées vis-à-vis de la Russie ?

Trois banques sont très exposées à la Russie en termes d’exposition directe via des filiales.  En France, il y a notamment la Société Générale. La partie russe ne représente récemment que quelques 6% des revenus nets de la Société Générale.

La plus exposée c’est Raiffeisen en Autriche. Plus de 30% des revenus nets de cette banque qui passe par cette filiale russe.

Il y a également UniCredit en Italie.

Si on coupe les banques russes de Swift et de la compensation en dollars, cela va fortement altérer leurs activités à l’international et leur rentabilité. Vous avez donc moins de revenus venant de la partie russe pour les banques concernées. La Société Générale reçoit moins de revenus.   

Si ces sanctions occidentales provoquent une grave récession en Russie, ce qui est un peu le but recherché, à ce moment on peut penser que Rosbank, comme les autres banques russes, vont avoir beaucoup plus de clients qui font défaut sur leurs prêts et vont être en graves difficultés. Cela sera un problème en plus pour les maisons mères occidentales.

Toutes les banques occidentales, s’il y a une forte perturbation du système financier international à cause du fait qu’on ait coupé la Russie du système, tout le monde va souffrir un peu, mais de l’implication globale. Les marchés boursiers peuvent chuter par crainte. Très vite cela peut affecter les banques qui ont une partie banque de financement et d’investissement comme le Crédit Agricole, la Société Générale, la BNP, elles peuvent sur ces secteurs d’activité faire moins de revenus. Et là tout le monde sera perdant.  

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