Ukraine : Joe Biden est-il un danger pour l’Occident ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Joe Biden s'exprime dans la salle Est de la Maison Blanche sur l'activité militaire russe près de l'Ukraine. Washington, le 15 février 2022.
Joe Biden s'exprime dans la salle Est de la Maison Blanche sur l'activité militaire russe près de l'Ukraine. Washington, le 15 février 2022.
©Brendan Smialowski / AFP

Bien pire que Trump…?

S’il serait absurde pour l’Europe de prendre parti pour Vladimir Poutine, qui porte lui aussi de nombreuses responsabilités dans la crise, la stratégie géopolitique comme diplomatique du président américain semble créer beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en résout. Pour les Etats-Unis comme pour l’Europe

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Atlantico : Quelles sont les plus grosses erreurs de Biden à travers la gestion de la crise ukrainienne ? Si on analyse l’ensemble de ses décisions, peut-on penser qu’elles ont du sens et qu’elles sont responsables ?

Barthélémy Courmont : La plus grande erreur est sans doute de ne pas prendre la mesure des changements du monde, et en particulier du leadership américain. Il y a quelques années, non seulement l’Europe, et même le monde, aurait suivi avec angoisse une crise comme celle en Ukraine, mais en plus les menaces adressées par le président des États-Unis auraient eu un impact immédiat. Or on voit ici que les Européens ne se voient pas à la veille d’une guerre majeure entre les deux anciens adversaires de la Guerre froide, et que même le président ukrainien rappelle Joe Biden à la raison quand ce dernier fait menton de guerre imminente. Certes les néoconservateurs, toujours prompts à voir menaces et guerres - et surtout à vouloir faire la guerre à tout prix - dès que des désaccords émergent, sont sortis de leur silence. Mais leur écho est finalement beaucoup plus faible qu’il me l’était par exemple lors de la crise irakienne. Joe Biden est un fin connaisseur des questions internationales, mais son administration donne ici l’impression de vivre dans le passé. L’autre grande erreur est de penser que les désirs de Washington ont valeur d’ordres. Certes Washington continue de peser dans les affaires européennes, et le soutien des États-Unis est une potentielle garantie de sécurité pour de nombreux pays européens - la France n’étant pas nécessairement dans cee catégorie, il convient de le souligner. Mais de là à considérer que les pays européens suivraient aveuglément Washington dans une sorte de nouvelle guerre froide se jouant sur leur sol, il y a un fossé que le président américain semble ignorer.

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Quelle logique y a-t-il à se retirer d’Afghanistan et à suggérer que les États-Unis ne veulent plus être le gendarme du monde pour ensuite entamer de tels bras de fer avec Poutine ?


La seule logique est celle du déclin, certes relatif car les attributs de puissance restent exceptionnels, mais réel des États-Unis. En fait, les cercles stratégiques américains se posent depuis trente ans la question de savoir comment maintenir la puissance américaine à son niveau, soit en proposant un interventionnisme permanent, soit au contraire en refusant de se mettre à disposition du monde et défendre l’intérêt national. Et ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la réponse à cette question. On voit ainsi une forme de schizophrénie dans la politique étrangère américaine qui associe un engagement et un retrait dans le même temps. En clair, l’isolationnisme est devenu une fake pour Washington, mais la “nation indispensable” exposée par Madeleine Albright (Secrétaire d’Etat de Bill Clinton) n’est plus.
Ajoutons à cela un autre paradoxe. Les États-Unis ne gagnent plus les conflits de basse intensité, qui sont devenues des guerres sans fin et surtout sans vainqueur. Mais ils restent la superpuissance militaire, capable d’exercer des pressions sur d’autres grandes puissances, comme la Russie.il s’agit d’un jeu que Washington maîtrise mieux, en apparence du moins.

Peut-on penser que ces non-sens sont justifiés par un intérêt moindre des États-Unis pour la situation européenne et russe au détriment de la Chine ? Quel pourrait être l’impact de la diplomatie de Biden en Asie de manière générale ?

L’Indopacifique - pour ne pas dire l’Asie - est la priorité de l’administration Biden, comme c’était le cas des deux administrations précédentes. Et cette priorité est nourrie par l’obsession chinoise que partagent tous les dirigeants américains depuis plus d’une décennie. Paradoxalement, la mauvaise gestion de la crise ukrainienne envoie un très mauvais message aux partenaires asiatiques de Washington, inquiets de la montée en puissance chinoise comme Kiev peut s’inquiéter de Moscou. Après Aukus, qui a soulevé plus de questions, et même de malaise, que d’enthousiasme en Asie, l’administration Biden fait une autre erreur qui fragilise la position américaine en Asie. C’est ce qui rend la gestion de la crise ukrainienne encore plus incompréhensible, et traduit un profond malaise dans la politique étrangère de celui qui avait promis le “retour de l’Amérique”.

Biden, déjà en proie à de vives critiques outre-atlantique, risque-t-il de sortir affaibli de cette crise ?Pensez-vous que Biden soit moins la cible de critiques car il a remplacé Donald Trump ?


C’est ce qui est incompréhensible. Cette crise peut aboutir à deux scénarios: une guerre à grande échelle, ou une désescalade, cette dernière option étant nettement plus probable. Dans les deux cas, il n’y a pas de gain pour Washington. L’OTAN peut sortir renforcée, en ce qu’elle incarnerait plus que jamais La Défense européenne - mais cela reste cependant à confirmer - mais les États-Unis n’y gagnent rien. Dès lors que le président en personne tient de propos très excessifs, presque extravagants, il met sa crédibilité en jeu. Après un an à la Maison Blanche, les Américains ne voient pas le regain annoncé. Et le reste du monde se pose des questions sur le leadership à Washington. Certes, à la différence de son prédécesseur, Joe Biden bénéficie d’un capital sympathie, et les membres de son administration, comme son Secrétaire d’Etat Antony Blinken, sont très compétents. Mais cela ne suffit pas.

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