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UDI : comment les grandes valeurs du centre se sont noyées dans les sables d’une modération sans vision
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Peut-on avoir modérément raison ?

L'UDI tient son congrès ce samedi à Paris. Jean-Christophe Lagarde sera le seul candidat à sa succession. Dans un monde politique qui s'est recomposé au cours de ces derniers mois, les valeurs du centre se sont-elles effacées au profit d'une simple valeur de modération ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Ce 17 mars, l'UDI tiendra son congrès à Paris, où Jean-Christophe Lagarde sera le seul candidat à sa succession. Dans un monde politique qui s'est recomposé au cours de ces derniers mois et ces dernières années, que reste-t-il du centre « historique » ? En quoi les valeurs du centre défendues par les partis, du MRP, de l'UDF, par des personnalités comme Jean Lecanuet, du personnalisme d'Emmanuel Mounier aux racines démocrates chrétiennes, se sont-elles effacées au profit d'une simple valeur de modération ?

Christophe Boutin :Le centre a mis longtemps à émerger en France et a toujours été un peu suspect. N’oublions pas que la politique française s’est structurée au moment de la Révolution française sur un clivage droite/gauche qui ne laissait guère de place aux « tièdes » : il fallait répondre à la question du veto royal. Dans le glissement qui mena ensuite de 1789 à 1793, le « Marais », la « Plaine », céda aux assauts de la « Montagne » jacobine qui, toujours plus à gauche, poussait par voie de conséquence ce centre toujours plus à droite. En sus, une partie de ce centre, les Girondins, volontiers décentralisateurs, se firent taxer de fédéralisme, un terme honni dans notre France centralisatrice.

Après Thermidor pourtant, de Staël à Constant, c’est le même appel à écarter en même temps du pouvoir l’extrême droite monarchiste et l’extrême gauche « partageuse » pour mettre en place un gouvernement du centre, celui des classes moyennes, un gouvernement dont Tocqueville dira qu’il n’est peut-être pas le plus éclairé mais qu’il est le moins dispendieux. Mais viendrontBrumaire, Napoléon, puis la Restauration, et c’est finalement Louis Philippe qui, après 1830, mettra en place ce gouvernement de bourgeois aisés. Très vite donc, le centre est perçu comme lié, sinon à la finance, au moins à l’entreprise, et peu soucieux de laisser s’exprimer directement le peuple, qu’il soit de droite avec les bonapartistes ou de gauche avec les socialistes.

Rallié comme tous les républicains au suffrage universel après 1848, le centre va trouver son supplément d’âme dans une démocratie chrétienne qui l’ancre comme malgré lui à droite, à cause du côté religieux, quand il n’a intellectuellement d’yeux que pour la gauche. Mais il se construit aussi avec le glissement à droite de partis de gauche liés eux à des réseaux humanistes très présents sous la IIIe République. Sa place – en fait celle des divers partis qui le composent, car il n’est pas unitaire - de « charnière » va en faire un élément important de la politique, avec comme point culminant la IV:pouvant s’allier aussi bien avec une droite modérée qu’avec une gauche modérée, le centre devient faiseur de rois.

Mais la Verépublique voit ensuite sa place diminuer. D’abord, parce que gaullistes et communistes se partagent l’électorat populaire : le moins que l’on puisse dire de la démocratie chrétienne ou des autres partis centristes est qu’ils ne furent jamais des partis de masse, mais bien des partis de cadres, des partis de notables provinciaux. Ensuite, parce que la politique française est depuis la Révolution une politique sécularisée et que la DCau sens propre n’a jamais joué chez nous le rôle qu’elle a pu avoir dans d’autres pays européens.

Devenu une force d’appoint essentiellement de la droite gaulliste, même si le parti radical, devenu centriste malgré lui à cause de l’apparition de nouvelles forces sur sa gauche, s’était scindé en « radicaux valoisiens » et « radicaux de gauche », le centre n’aura servi en fait sous la Veque l’ascension de Valéry Giscard d’Estaing, qui fit de l’UDF l’égal ou presque du RPR et espérait rassembler au centre « deux Français sur trois ». Mais il fallait trouver à cette famille de pensée de quoi se différencier du parti nationaliste, et c’est l’adhésion inconditionnelle à l’Europe – ou plutôt la soumission tout aussi inconditionnelle à l’Union européenne – qui devint peu à peu le seul véritable marqueur du centre français.

Vous le voyez, le problème du centre français est qu’il ne s’est que partiellement construit sur une base idéologique. Certes, la volonté de ne pas choisir entre droite et gauche peut être un choix idéologique, mais il peut tout autant être un simple choix tactique, permettant d’exister en propre. Et la construction du centre résulte aussi des simples conséquences mécaniques de l’évolution des partis, avec ce « sinistrisme », ou « mouvement sinistrogyre », défini par Albert Thibaudet, qui a décrit leur glissement, au long des XIXe et XXe siècles de la gauche vers la droite. Abel Bonnard a décrit fort bien ces Modérés réunis pour durer.

En quoi cette modération brandie aujourd’hui se différencie-t-elle du centre ? Quelle est la cohérence idéologique de cette « évolution » ?

La suite, nous la connaissons, et là encore elle est au moins aussi tactique qu’idéologique. La tentative de créer un grand parti de centre-droit, en fusionnant RPR et UDF dans l’UMP, sous la houlette de Jacques Chirac, a pu sembler une victoire des centristes, qui apportaient dans la corbeille de mariage les cadres et une large partie du programme – dont l’Union européenne –, quand le RPR apportait lui les militants. Mais en dehors du maintien à l’extérieur de cette union de mouvements indépendants, devenus certes étiques au fil des ans (le Modem de François Bayrou), les tensions internes à l’UMP puis à LR n’ont jamais vraiment cessé. En 2017, les sirènes du macronisme n’eurent donc guère de mal à séduire non seulement les anciens UDF mais aussi ces chiraquiens qui rougissaient de honte au souvenir de l’appel de Cochin et craignaient par dessus tout de paraître de droite.

Le fameux grand parti centriste est donc bien né, qui va du centre-gauche au centre-droit, et rejette sur sa droite FN et LR et sur sa gauche les Insoumis et les vestiges de ces partis qui, en 1981, menaient François Mitterrand à la présidence. Il réalise bien des objectifs historiques du centre français, ayant simplement remplacé comme élite dirigeante la bourgeoisie aisée provinciale par les financiers mondialisés et les technocrates, mais les unissant tous pour accompagner la fuite en avant de l’Union européenne.

Sa cohérence idéologique est celle du progressisme, que l’on pourrait résumer par un individualisme qui mêlerait un libéralisme économique financiarisé à tort rattaché uniquement à la droite – sa place tenant beaucoup au sinistrisme - et un libertarisme hédoniste à tort limité à une gauche vaguement anarchisante.

Quelles seraient les recompositions permettant un retour de ces valeurs du centre ? Quels sont les obstacles actuels qui s'y opposent ?

L’art d’Emmanuel Macron dans son OPA politique est d’avoir compris les vertus du rassemblement. Les centres, on l’a vu, se définissaient dans l’histoire politique française par leur volonté de n’être ni de gauche, ni de droite. Ils s’ouvraient ainsi un champ politique, mais celui-ci évoluait en fonction des poussées de droite et de gauche dans un pays où la politique a toujours été plus ou moins, depuis la Révolution, un substitut à la guerre civile. En ce sens, n’être ni de gauche ni de droite semblait à beaucoup de nos concitoyens être finalement de nulle part.

À cette approche réductrice, Emmanuel Macron répond par cette idée que l’on peut être de droite « et en même temps » de gauche. Au lieu de définir un espace politique par l’exclusion, il le fait par l’inclusion, et les contradictions entre idéologies censées structurer la société sont gommées au profit de la recherche d’un même confort de vie. C’est d’ailleurs une dérive que dénonçait Benjamin Constant quand il voyait la liberté des Modernes mener ces derniers à oublier dans leur hédonisme la défense de leurs libertés politiques.

Quoi qu’il en soit, face à cette captation d’héritage, on voit les propriétaires des anciennes marques déposées essayerde faire valoir un droit aux maroquins, comme cela pouvait exister sous la IVe. Mais il est à craindre pour eux que le darwinisme social macronien ne conduise pas ce dernier à sauver des chefs sans troupes dont rien ou presque ne distingue le discours du politiquement correct ambiant relayé par le moindre média.

En ce sens, même l’éclatement de LR, séparant ses deux composantes conservatrice et « centriste », ne permettrait sans doute pas de recréer un centre qui puisse se différencier de la structure macroniste. On le voit bien d’ailleurs lorsqu’il s’agit d’imaginer quoi faire aux élections européennes de 2019 : des centristes des micro-partis à ceux qui sont encore à LR, tous pensent à la possibilité de liste communes avec LREM, la question n’étant plus que celle des places éligibles. Ce n’est que si Emmanuel Macron, lancé dans une seconde OPA, cette fois européenne, entend n’envoyer siéger à Bruxelles – et Strasbourg – que des egos plus facilement contrôlables, et écarte donc toute idée de liste progressiste « attrape tout »,qu’un certain centre aura peut-être une liste et une visibilité propres, mais pour quel résultat ?

Les défis des temps qui viennent, en France et ailleurs, demandent des positions tranchées, et l’on voit bien deux blocs se former, le bloc conservateur et le bloc progressiste. Or les centristes appartiennent prioritairement sinon exclusivement au second, en partagent les valeurs, et ont dès lors vocation à se fondre dans la machine macroniste. Seul un éventuel éclatement de cette dernière, dû non pas à l’émancipation de sa composante centriste, maisplutôt à l’évolution de sa composante de gauche, pourrait permettre de rebattre les cartes, mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

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