Tunisie : l'assassinat du député Mohamed Brahmi va-t-il mettre le feu aux poudres ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des tunisiens marchent à côté de l'ambulance transportant le corps du politicien assassiné Mohamed Brahmi, à Tunis.
Des tunisiens marchent à côté de l'ambulance transportant le corps du politicien assassiné Mohamed Brahmi, à Tunis.
©Reuters

Retour des troubles

Après l'annonce de l'assassinat du député de gauche et opposant, Mohamed Brahmi, un cortège d'environ 500 personnes s'est spontanément rassemblé devant le ministère de l'intérieur. Une fois encore, la Tunisie semble au bord de l'explosion.

Mohamed Chérif Ferjani

Mohamed Chérif Ferjani

Mohamed Chérif Ferjani est professeur à l'Université de Lyon et chercheur au GREMMO. Ses travaux portent notamment sur l’histoire des idées politiques et religieuses dans le monde musulman ainsi que sur les questions de la laïcité et des droits humains dans le monde arabe. Il a publié, entre autres, Le politique et le religieux dans le champ islamique (Fayard, Paris, 2005). Il est signataire de l’Appel à la communauté internationale pour sauver les chrétiens d'Irak.

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Atlantico : Le député de gauche et opposant, Mohamed Brahmi, a été assassiné par balle, jeudi 25 juillet, devant son domicile à Tunis. La famille de l'opposant a accusé le parti islamiste Ennahda d'être responsable du meurtre. "J’accuse Ennahda, ce sont eux qui l’ont tué", a affirmé en pleurs Chhiba Brahmi, la sœur du défunt, sans avancer de preuves. Peut-on, selon vous, qualifier cet assassinat de meurtre politique ? 

Sherif Ferjani : Mohammed Brahmi a appelé mercredi 24 juillet à la dissolution de l'Assemblée constitutionnelle dont il fait partie en l'accusant de ne pas avoir accompli la mission pour laquelle elle avait été élue : élaborer en un an une constitution prenant en compte les objectifs et les aspirations démocratiques et sociales qui ont porté la révolution et respect. Il a également exprimé son soutien à un mouvement d'insoumission et de révolte (tamarrod, comme en Egypte) pour chasser un pouvoir qui a trahi les objectifs de la révolution et pour renouer avec les aspirations démocratiques et sociales de la Révolution. Il est également important de préciser que cette assassinat intervient presque une semaine après la déclaration du chef du groupe Ennahda à l'Assemblée constituante, Sahbi Atig, qui a ouvertement menacé ceux qui appellent à suivre l'exemple égyptien d'être piétinés et tués. C'est donc bien un assassinat politique visant clairement un opposant politique pour prévenir un mouvement comparable à celui qui a mis fin au pouvoir des Frères Musulmans au pays du Nil. Cet assassinat, qui correspond aux vœux des faucons d'Ennahda, des milices et des groupes salafistes qu'ils protègent, peut accélérer la fin d'un pouvoir qui n'a pas respecté ses engagements et son contrat avec le peuple.

Cet assassinat peut-il mettre au contraire le feux aux poudres ?

Les démissions de constituants, déjà annoncées, la multiplication des appels à la dissolution de l'Assemblée et à la démission du gouvernement, les manifestations spontanées qui ont éclaté partout dans le pays montrent que de larges secteurs de la populations ne veulent plus ce pouvoir. Des dirigeants politiques, qui étaient, il y a encore 24 heures, sur le point de faire alliance avec Ennahda appellent désormais à la démission du gouvernement. Les faucons d'Ennahda, du côté desquels s'est rangé Rachid Ghannouchi, et leurs alliés, n'ont réussi qu'à exaspéré la population et ajouter à son désespoir. Les gens réclament aujourd'hui la dissolution des milices qui pratiquent la violence ouvertement ; ils demandent la vérité sur cet assassinat ainsi que sur celui de Chokri Belaïd, autre opposant tué par balle devant son domicile en février 2013. Ils ne veulent plus que ceux qui commettent des actes de violence politique continuent à agir impunément. Il y a eu complaisance, voire complicité du pouvoir islamiste à l'égard de ceux qui pratiquent la violence politique. Ce vendredi, l'Union générale Tunisienne du Travail (UGTT) appelle à une journée de grève générale et annonce la suspension de l'initiative du dialogue national dont les accords ne sont pas respectés par Ennahda et ses alliés.

La situation est-elle comparable à celle de l’Égypte ? Peut-elle dégénérer de la même manière ?

Même si je ne partage pas la thèse du coup d'Etat militaire en Egypte, la situation en Tunisie est différente car l'armée n'a pas le même poids. En Tunisie, c'est la société civile, notamment à travers l'Union générale des travailleurs, la Ligue des Droits humains, l'Ordre des avocats, les associations féministes, le syndicat patronal (UTICA), qui rejettent le pouvoir des islamistes et de leur alliés. C'est elle qui dit à la classe politique : "ça suffit !" Apparemment, beaucoup de mouvements politiques ne veulent pas rééditer l'erreur commise au lendemain de la manifestation contre l'assassinat de Chokri Belaïd. Elle n'avait alors pas tenu compte de la mobilisation (plus de 1 million de personnes dans les rues) et a préféré répondre à l'appel du gouvernement à la recherche d'un consensus avec les islamistes dont le seul objectif est de gagner du temps. En effet, Ennahda cherche à faire durer au maximum la transition jusqu'à mettre la main sur tous les rouages de l'Etat. Quand elle appelle au consensus, qu'elle rejette par ailleurs, c'est pour reprendre son souffle, continuer son entreprise de démolition des institutions de l'Etat et poursuivre ses manœuvres pour faire échouer la transition démocratique. Ignorer les revendications de la société et retourner à la table de négociation pour chercher à nouveau le consensus avec un gouvernement aussi fourbe serait une erreur fatale pour l'opposition.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

La famille de l'opposant a accusé le parti islamiste Ennahda d'être responsable du meurtre. "J’accuse Ennahda, ce sont eux qui l’ont tué", a affirmé en pleurs Chhiba Brahmi, la sœur du défunt, sans avancer de preuves.
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