Trouver un cap ? Emmanuel Macron ou le crash final du chiraco-hollandisme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron.
©Christophe Ena / POOL / AFP

Le moment URSS

Sur France 2, Emmanuel Macron a tenu à rappeler "le cap" de son quinquennat face aux crises.

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

Voir la bio »

Atlantico : Face à la crise énergétique et malgré les ambitions de ce second mandat, Emmanuel Macron peine à réformer et à défendre ses projets politiques et économiques. Dans le cadre de l’émission L’Evénement sur France 2, le chef de l’Etat a tenu à rappeler « le cap » de son quinquennat face aux crises. Emmanuel Macron est-il le reflet d’un relatif statu quo sur le plan économique et politique depuis 20 à 30 ans, déjà perceptible notamment sous les mandats de Jacques Chirac ou François Hollande, ayant mené à une lente déliquescence ?

Benjamin Morel : La situation actuelle en France est effectivement le produit d’un certain nombre de ​statu quo sur le plan économique. Le premier concerne le statut de la zone euro qui était assez mal pensé. Les rapports de force étaient au désavantage de la France par rapport à l’Allemagne. Cela concerne aussi la façon dont la zone euro a été conçue, d’autant plus que l’année prochaine, la France va commencer à emprunter pour rembourser à des taux importants la BCE.​ 

Nous assistons actuellement à un dilemme sur le marché européen de l’électricité qui est une absurdité. La France commence à rétropédaler, mais l’idée d’une intégration toujours croissante se faisant au prix de compromis bancals, qui sont parfois des absurdités économiques, corsète un certain nombre de politiques. Les tabous sont en partie en train de sauter même s’il y a actuellement une certaine inertie.  

Il y a des éléments de politique à court terme sur lesquels il est possible d’agir. Certaines politiques publiques sont déployées pour des raisons électorales et pour ne pas faire de vagues sur le plan politique, électoraliste et économique. La fragilisation de la filière nucléaire est liée notamment à un calcul politique d’un point de vue électoraliste par François Hollande et Emmanuel Macron. François Hollande a voulu plaire aux Verts et a souhaité les intégrer en termes de politiques publiques et de circonscriptions. Emmanuel Macron voulait avoir une aura écologiste et il a nommé Nicolas Hulot. La politique énergétique est allée dans ce sens depuis 2012. 

La dépense publique est un autre enjeu majeur. On se concentre sur le budget de l’Etat, mais il y a aussi celui des collectivités territoriales et de la sécurité sociale. Sur les collectivités, il est quasiment impossible d’y toucher, ou seulement à la marge. Les collectivités territoriales sont protégées par le principe de libre administration. Il n’y a pas de levier pour agir sur l’augmentation de leur masse salariale. L’autre grand pôle de dépenses concerne les dépenses sociales. Beaucoup de Français vilipendent l’assistanat mais concrètement ils s’avèrent plus rétif lorsqu’il s’agit de dire dans quelle dépense tailler. Une grande partie des Français n’est pas prête à renoncer à ces aides et à certaines allocations. Il n’est pas facile politiquement de toucher à ces aides. 

Dès lors on s’est concentré sur le budget de l’État. Le service public est directement concerné notamment l’école, la justice ou bien encore la police. Il n’est plus possible aujourd’hui de procéder à des coupes budgétaires dans ces services publics. Les coupes budgétaires ont été trop importantes par le passé pour ces secteurs concernés.  

Si demain, les dirigeants politiques touchent aux budgets sociaux et aux budgets des collectivités territoriales, cela risque de s’avérer politiquement délicat. En pleine période de crise économique, d’un point de vue politique, ils seront perdants. Et d’un point de vue économique, vous n’en tirerez aucun bénéfice. 

En taillant dans les dépenses sociales, cela va participer à l’essor d’un mouvement syndical qui va faire boule de neige sur le thème de la vie chère et les dirigeants seront alors directement menacés politiquement. En pleine situation économique difficile, il ne faut pas non plus affaiblir trop la demande. Les personnes en difficultés financières sont celles qui consomment le plus. Il est possible de lutter contre la fraude mais les sommes récupérées ne seront pas si importantes en comparaison avec la fraude ou l’évasion fiscale. Si vous sabrez les allocations, vous amputez une partie de la demande. Il n’y aura pas d’épargne. Cela va fragiliser le tissu économique. En sabrant les budgets des collectivités, ce sont les investissements qui seront rognés. Et cela fragilisera encore plus l’économie. 

Vous faites le constat que ces tentations de la réforme et de la solution économique ne doivent pas entraîner de vagues sur le plan politique et vous rappeler l’importance d’éviter les blocages politiques en menant des petites réformes plutôt que des réformes de grande ampleur ou qui cliveraient. A quand remonte cette tendance ? Quelle est son origine ?

Cela souligne et dévoile un certain nombre de tabous dans notre pays et au sein de notre démocratie. Des signaux sont envoyés indiquant qu’il ne faut pas toucher aux budgets sociaux, à la politique européenne, à la décentralisation et aux collectivités territoriales. On se concentre donc sur des réformes sociétales. Les tabous sont assez structuraux. Il y a notamment celui de l’Europe, qui est un tabou idéologique. Aussi comment entre dans un bras de fer européen pour faire valoir les intérêts de la France sur un certain nombre de sujets fondamentaux qui paraîtraient en opposition franche avec l’Allemagne ?  

La décentralisation est aussi très idéologique et politique. A partir des années 1980, les partis ont été composés en majorité d’élus locaux. Il est donc devenu contre-productif de réformer contre ces soutiens en revoyant l’organisation des collectivités territoriales.Certaines formations politiques pourraient décider de pointer du doigt les barons locaux et en dénonçant, comme le fait Emmanuel Macron, les politiques de communication de régions, de politiques de recrutement des grandes collectivités qui sont à l’inverse de ce que l’on recherche. Mais lorsque cela vise et concerne directement un président de région ou un maire de grande métropole de votre parti, cela est impossible. Il y a donc des tabous idéologiques, comme le tabou européen. Cela est lié à des conjonctures politiques. Il est possible de reprocher l’inaction des politiques mais il est possible de comprendre pourquoi ils se sont montrés hésitants. 

Les Français eux-mêmes, lorsqu’ils ont le choix entre le statu quo et le fait de renverser la table, n’ont-ils pas tendance à plus privilégier une forme d’immobilisme et le statu quo ? Les Français ne sont-ils pas eux-mêmes dans cette dynamique particulière ?

Il ne faut pas trop surinterpréter les raisons du vote. Les citoyens votent pour un individu qu’ils considèrent charismatique, pour des slogans qui les touchent et marginalement pour des mesures politiques. Il y a néanmoins chez les citoyens français une peur de l’avenir, une forme d’insécurité politique et sociale. Elle conduit à ne pas renverser la table. Une candidature révolutionnaire fait peur par définition. 

Il y a une forme de permanence du moral des Français. Les sondeurs ont l’habitude d’interroger les citoyens sur l’avenir qu’ils envisagent pour le pays. Les électeurs français sont toujours très pessimistes sur le plan national mais pas à titre personnel. Ils considèrent que le pays va mal mais à titre individuel ils considèrent que leur situation est plutôt positive ou enviable. Il n’y a donc pas d’envies ou de quêtes vers des ruptures fondamentales car il est toujours plus favorable de rester dans un système que l’on connait et où l’on passe avoir des voie d’ascension. Cela a été symbolisé par le sacre d’Emmanuel Macron. Il correspond à une volonté de rupture. Il a fait campagne sur sa volonté de réformes nécessaires pour le pays mais via un changement dans la continuité et qui permette de ménager la situation personnelle des citoyens.      

Au regard de cette situation et de ce contexte, est-il crédible de penser qu’Emmanuel Macron puisse trouver un cap nouveau pour son nouveau mandat comme il l’a indiqué dans l’émission de France 2 ? Le fait qu’il propose la révolution dans la continuité, le « et en même temps » vont-ils apporter un cap nouveau ou est-ce illusoire ?  

Son nouveau cap est difficile à cerner. Va-t-il entrer en confrontation directe avec l’Europe ? La réponse est non. Il est profondément imprégné de cette idéologie-là. Il ne va pas changer fondamentalement le logiciel européen. Les circonstances géopolitiques actuelles ne le permettent pas. 

Peut-il revoir l’organisation de l’Etat et entrer dans un affrontement avec les barons locaux ? La réponse est aussi négative. Politiquement, cela est impossible. Il ne pourra pas obtenir de majorité sur ces enjeux. 

A-t-il la possibilité de se lancer dans une grande reconfiguration d’un pacte social ? Ce n’est pas le moment également. 2017 était une période idéale pour le faire. Il disposait alors d’une plus forte légitimité et il n’avait pas de crises majeures à gérer.   

Le faire maintenant serait politiquement explosif. Cela ne serait pas opportun économiquement également. Si vous commencez à sabrer l’investissement local et que vous mettez dans la rue des Français, excédés par l’inflation, suite à vos réformes des régimes spéciaux, cela risque au final de déboucher sur une révolution et une récession. Emmanuel Macron ne dispose pas actuellement de moyens en termes de finance publique et d’une stabilité intérieure pour pouvoir mener ses projets et ses réformes à bien.  

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !