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Trouver l'amour en ligne ? Ça, c'était avant... la lassitude face aux applis de rencontre est arrivée
©Reuters

E-Blues

Faire des rencontres sur Internet est devenue une pratique courante, mais elle suscite de plus en plus de déceptions. En cause : la facilité de l'ensemble du processus qui, paradoxalement, ne débouche que rarement sur les attentes des internautes.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Les applications de rencontre ont souvent été considérées comme des facilitateurs de rencontre depuis leur lancement à la fin des années 2000. Si la pratique s'est en effet normalisée, des utilisateurs en critiquent cependant de plus en plus l'aspect conformiste et mécanique. Qu'est-ce qui fait par exemple qu'il soit aussi difficile de construire une relation de longue durée sur ces réseaux sociaux ? Pourquoi de nombreux utilisateurs se disent-ils aujourd'hui frustrés, voire fatigués par l'utilisation de ces applications ?

Nathalie Nadaud-Albertini : Lors de leur lancement, les applications de rencontres ont abondamment communiqué sur le concept de "rencontres faciles", c’est-à-dire sur l’idée qu’il existait un vivier de célibataires à portée de clic. Les utilisateurs ont pensé que le travail d’approche allait être considérablement réduit. Dans les faits, ils ont découvert que rencontrer quelqu’un prenait toujours du temps, que ce soit via ces technologies de rencontres ou dans la vie "IRL" ("In real life") et que les tentatives n’étaient pas obligatoirement couronnées de succès, à court ou long terme. C’est difficile à admettre dans une société qui demande d’être sans cesse productif, d’effectuer des actions toujours rentables. D’autant plus que les applications de rencontres se sont présentées comme LA solution pour optimiser le temps investi dans les relations amoureuses. 

Les utilisateurs ont alors eu le sentiment d’une promesse non tenue. D’où une certaine déception qui vient alimenter l’idée que finalement ces sites et applications permettent des "relations faciles" au sens de ponctuelles. C’est ce que montre le sondage BVA paru en février 2016 sur le sujet : 88% des Français considèrent que ces supports permettent uniquement des relations d’un soir.

A chaque relation qui ne se prolonge pas sur le long terme, les utilisateurs ont le sentiment de stagner dans leur vie amoureuse, d’avoir perdu leur temps, de se retrouver à la case départ. Face à l’océan des possibilités relationnelles à portée de clic, ils oscillent entre espoir qui dope et immense fatigue qui noie l’individu sous le fardeau du choix devenu impossible par excès de possibles, le laissant sur le sable de la solitude, un goût amer d’inaccompli dans la bouche, exsangue avant d’avoir commencé, lassé d’avance par le déjà vu, le déjà vécu, et le possible promis mais jamais atteint.  

Si la "magie" de la rencontre qu'avait suscité le lancement de ces applications ne fonctionne plus, est-ce la faute des technologies qui déshumanisent le rapport social ou de l'utilisateur qui lui-même perd sa spontanéité et son enthousiasme ?

Ce désenchantement provient en grande partie de la mise en scène de soi qui a cours sur ces sites et applications. Elle est bien plus facile que dans une mise en relation IRL, puisque dans un premier temps chacun a le contrôle total sur les informations qu’il présente. Les utilisateurs se créent alors un profil qui correspond à ce qu’ils pensent être les attentes de l’autre sexe, quitte à verser allègrement dans les stéréotypes. Par exemple, un homme qui recherche des rencontres d’un soir n’osera pas l’indiquer, pas plus qu’une femme qui cherche une relation à long terme, avec comme objectif de se marier et d’avoir des enfants. Ou inversement, une femme qui cherche des rencontres ponctuelles craindra de passer pour une "femme facile", ou un homme qui espère trouver sur ces sites sa future épouse et la mère de ses enfants évitera de le dire explicitement dans son profil par crainte de ne pas sembler assez viril. Au final, tous se travestissent, car ils se disent leurs attentes effectives vont faire se détourner leurs prétendant(e)s éventuel(le)s. De fait, lors des rencontres et des relations IRL qui en découleront, il y aura une forte ambiguïté quant aux réelles attentes du partenaire. Chacun essaiera de cerner celles de l’autre tout en s’efforçant de cacher les siennes, par peur que la possibilité de relation ne prenne fin. On fait alors de la rencontre en ligne une sorte de jeu de dupes où personne n’ose dire stop, de peur de se retrouver à nouveau en tête-à-tête durable avec son écran. 

Ces mises en scène de soi ont d’autant plus tendance à compliquer la tâche des utilisateurs des sites et applis de rencontres que, comme le montre Francesco Alberoni dans Je t’aime : Tout sur la passion amoureuse, c’est souvent d’une complémentarité des parcours et des identités que naît l’amour, sans que le choix soit effectué d’une façon qui semble à première vue très rationnelle. C’est l’inconscient qui choisit un autre complémentaire. Lorsque les utilisateurs sont face à des mises en scène fortes des identités, leur inconscient doit décrypter celui des autres avec encore plus d’acuité. Il doit ruser. Parfois, avec succès, parfois sans.

L'intérêt économique de ces applications n'est-il pas justement que les relations durent peu de temps afin de relancer l'utilisation ? N'y a-t-il pas un conflit important entre les intérêts de l'utilisateur et ceux du concepteur de l'application ?

L’intérêt économique de ces applications est que les relations ne soient pas pérennes afin que les utilisateurs se servent à nouveau de la technologie pour faire des rencontres amoureuses. Du moins à première vue… En effet, s’ils sont déçus trop souvent, ils finiront par se détourner de ces technologies. Ou alors ils ne les utiliseront que pour des rencontres ponctuelles. Actuellement, la tendance est incertaine. Car, comme l’indique le sondage BVA sur les sites et applications de rencontres publié en février 2016, d’un côté les Français ont tendance à considérer ces technologies comme un "lieu de rencontres" comme un autre (à 56%), 1 Français sur 2 connaît des couples qui se rencontrés en ligne, et ils pensent à 84% que ces sites et applications vont se développer dans les années à venir. Même si, pour l’instant, ils ne sont que 39% à penser que les rencontres qui y sont faites sont vouées à s’ancrer dans la durée. Autrement dit, on se trouve actuellement à la croisée des chemins sur la façon d’envisager les sites et applis de rencontres : soit, elles se banalisent totalement et permettent de tisser toutes sortes de relations, y compris celles qui sont durables ; soit, elles se cantonnent aux relations éphémères. En bref, actuellement, on hésite entre "rencontre de l’Amour" et "coup d’un soir". 

Le problème que soulèvent ces frustrations n'est-il pas plus à chercher dans la difficulté qu'a aujourd'hui l'individu à construire une relation stabilisatrice et donc durable ?

Oui. Ces technologies ne sont que des moyens de connecter les individus les uns aux autres, mais elles ne leur apprennent rien sur la façon de procéder pour établir une relation. L’individu projette alors ses attentes sur les possibilités que semblent permettre ces supports. Actuellement, elles sont ambigües, parce qu’elles  se situent dans un entre-deux. Entre un idéal de fusion romantique où l’on rencontre une âme sœur avec qui on se marie et a des enfants, et un modèle d’indépendance et d’ouverture au tiers basé sur la non-exclusivité relationnelle que l’on appelle communément le "polyamour".

Le premier modèle est fait pour se déployer dans la durée, laquelle vient certifier la force de la relation. Le deuxième modèle n’exclut pas nécessairement la durée, mais elle n’est ni une variable fixe, ni la mesure de l’intensité de la relation. Les sites de rencontres se situent pile entre ces deux modèles, dans une sorte de flou. On s’y rend avec un idéal, chercher son âme sœur, que l’on masque souvent sous l’apparence du polyamour parce que l’on craint que revendiquer le modèle de la fusion romantique ne soit perçu comme peu valorisant et effraie. Parfois, les deux partenaires parviennent à décrypter les attentes non avouées de l’autre, et la relation s’ancre dans la durée. Parfois, ils se perdent dans les dédales de l’entre-deux des modèles normatifs, entre dits et non-dits. La relation ne se pérennise pas. Les utilisateurs sont déçus que les sites et applis de rencontres ne soient pas la ligne directe de leur "âme sœur". Parce que c’est bien un modèle de fusion romantique qui se déploie dans une relation de longue durée que les utilisateurs attendent de ces technologies. Il suffit de lire l’implicite du sondage BVA  sur les sites et applis de rencontres paru en février dernier : "l’efficacité" et le "sérieux" de ces technologies sont invariablement jugés à l’aune de leur capacité à déboucher sur une relation à  long terme. Autrement dit, à l’aune du modèle de la fusion romantique. 

En résumé, la frustration et la fatigue qu’expriment les utilisateurs des sites et applis de rencontres sont surtout des indicateurs de la prééminence de la norme de la fusion romantique sur le polyamour. Cela permet de prendre une sorte de photographie des mentalités en ce qui concerne les relations amoureuses et c’est incontestablement le modèle romantique qui domine, même s’il faut le lire en filigrane des discours. 

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