Trois mois après, sept vérités sur la guerre en Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo prise le 24 mai 2022 montrant un bâtiment du gouvernement régional détruit par un tir de missile russe, dans la ville de Mykolaiv, au sud de l'Ukraine, en pleine invasion russe de l'Ukraine.
Photo prise le 24 mai 2022 montrant un bâtiment du gouvernement régional détruit par un tir de missile russe, dans la ville de Mykolaiv, au sud de l'Ukraine, en pleine invasion russe de l'Ukraine.
©GENYA SAVILOV / AFP

Premier bilan

Après trois mois de guerre russe en Ukraine, des illusions s’estompent. D’ores et déjà, sept vérités peuvent-être avancées.

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski est Diplomate européen, auteur de « Paradoxes des populismes européens » et du « Traité du Toasteur ».
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1. Ce n’est pas l’OTAN, mais… L’OTAN continue à servir de prétexte à l’agression russe. Le trait est forcé. Mais certaines bases historiques existent. Dans les années 90 des promesses orales ont bien été régulièrement faites de ne pas avancer la juridiction de l’OTAN « d’un pouce » sur toute l’Europe de l’Est. Partie de ses promesses orales devaient être reprises par écrit dans l’Acte fondateur OTAN-Russie de 1997. Depuis, il y a eu changements de circonstances, rendant caduques ces engagements : 2008 avec la guerre en Géorgie (après un sommet de l’OTAN inconcluant), puis 2014 et Crimée. Maintenant, la question de l’OTAN reste en filigrane. En négatif, avec des variations sur une « neutralité » ukrainienne parfois dessinées à l’Ouest ; en positif, avec l’accélération inéluctable des candidatures finlandaise puis suédoise à l’OTAN, justifiées par la guerre en Ukraine.


2. Après la première guerre russe en Ukraine en 2014, on avait cru pouvoir « geler » le conflit. Avec l’Accord de Minsk, les points de blocage étaient bien identifiés dès 2015 : degré de fédéralisation de l’Ukraine, statut spécial pour le Donbass et séquençage des amendements à la Constitution. A l’époque Merkel-Hollande, le format Normandie à figé la situation.  Alors qu’il aurait fallu tordre le bras des acteurs, à la Holbrooke, le couple franco-allemand s’est souvent cantonné au rôle d’un spectateur non engagé, solidifiant un nouveau conflit gelé. Il faudra en tirer les leçons pour s’orienter, autour de ce couple revigoré et recadré, vers une formule de type « groupe de contact » qui permettrait à l’Union européenne, à l’Est et aux États-Unis d’apporter leur contribution.


3. En regard, les Anglo-saxons ont récemment fait montre de plus d’initiative et de vigueur. Ils ont, cette fois ci,  bien joué, contrairement à l’Afghanistan et à l’AUKUS. Leurs renseignements et analyses sur le calendrier et les intentions réelles de Moscou ont été justes. L’engagement politique, financier et militaire des États-Unis, suivis par le Royaume-Uni, a été exemplaire pour culminer avec le vote d’un paquet supplémentaire d’aide de 40 milliards $ avec  3,8 d’assistance de sécurité, à comparer avec un bilan non négligeable pour autant de 2 milliards € de l’UE en aide militaire.


4. Le « jour de l’Europe »,  promis depuis la guerre en Yougoslavie, n’est pas encore arrivé. Le sommet de Versailles avait bien tracé une direction, mais son calendrier de mise en œuvre reste imprécis, particulièrement sur l’indépendance énergétique. L’unité remarquable montrée au départ commence à se fissurer avec la Hongrie. L’UE devra redoubler d’efforts pour assurer la solidarité sur le plan humanitaire comme énergétique, avec des pays comme la Pologne, la Bulgarie, la Slovaquie ou la Grèce. À Versailles, nous avions affirmé que l’Ukraine faisait partie de « la famille européenne ». En ayant payé le « prix du sang », l’Ukraine a droit à un accès plus rapide à l’UE. Il faut éviter les erreurs des années 90, quand de grands pays européens ont paru freiner un mouvement inéluctable, et ne pas recréer un Partenariat oriental perçu comme une voie de garage. En ce sens, la proposition récemment faite par le président Macron de création d’une Communauté Politique Européenne peut s’avérer intéressante, pour autant que sa présentation soit significativement modifiée. Elle devrait être perçue comme un moyen réel de préparer activement et de raccourcir des délais qui, autrement, seraient de « plusieurs décennies ». 


5. La guerre en Ukraine conduit à un nouvel équilibre des relations entre l’UE et l’OTAN et à un affinage des notions « d’ autonomie stratégique et de souveraineté ». C’est une chance d’enfin créer un vrai « pilier européen » dans l’OTAN (23 des 27 pays de l’UE en seront membres), tout en développant pragmatiquement une Europe de la défense ambitieuse mais réaliste. Il pourrait être judicieux de donner corps à la notion « d’autonomie stratégique » encore davantage dans le domaine énergétique que de défense. 


6. Cette guerre s’inscrit dans le temps long. Le Renseignement US estime que « ni l’Ukraine ni la Russie ne peuvent gagner militairement et que l’ impasse militaire pourrait perdurer ». Chacun compte sur la lassitude de l’autre, l’épuisement, l’attrition militaire et les effets des sanctions, embargos, blocus alimentaires voire famines, avec des pays émergents inquiets ou suspicieux. Cette situation, propice à des provocations et dérapages, continuera à nécessiter sang-froid et maîtrise de soi y compris dans les domaines du nucléaire et de la guerre de l’information. A moyen terme, l’opinion russe continuera sans doute à être contrôlé et réprimée. À l’Ouest, la question pourra se poser de manière évolutive, selon les pertes de pouvoir d’achat. C’est dans ce contexte que se posera la question des buts de guerre : pour l’Ukraine, et pour nous,  reconquérir  toute ou partie des territoires, voire affaiblir la Russie? Pour la Russie se contenter du Donbass, ou tenter d’aller jusqu’à Odessa, voire plus loin vers la Moldavie?


7. Faute de solution militaire à court-terme, et avec un risque d’enlisement ou d’effritement, il faut nous préparer à accompagner une solution diplomatique bien calibrée. Le moment venu, et en fonction du rapport de forces, ce sera aux Ukrainiens eux-mêmes de déterminer sur quelle base ils veulent vraiment négocier. Sans que nous leur imposions un quelconque modèle tiré d’une palette décolorée des  nuances de « neutralité ». Si des garanties de sécurité sont requises de la part des grands acteurs y compris nucléaires, ces garanties devront aller bien au-delà de celles déjà données en 1994 par le mémorandum de Budapest à l’Ukraine et seront proches de l’article V de l’OTAN. Dans ce contexte, des considérations de « face saving » ne seront pas prioritaires.
Aux Européens et aux Américains de voir ensuite si ces négociations pourront s’orienter vers un cadre de sécurité rénové, avec de nouveaux accords de maîtrise des armements assurant prévisibilité et stabilité sur notre continent. Nous risquons d’avoir le temps./.

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