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Trois ans pour ne pas mettre en oeuvre le Brexit
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 

Le 23 juin 2019
A qui la faute? 
Mon cher ami, 
Cela fait trois ans, jour pour jour, que le peuple britannique a voté, à 52%, en faveur du Brexit. Et il n’est toujours pas mis en oeuvre. Il aurait pourtant été tellement simple et raisonnable de signer immédiatement un accord selon lequel les conditions commerciales de l’OMC s’appliquaient tant qu’un accord entre Londres et Bruxelles n’était pas trouvé. On entérinait le Brexit, on avait le filet de sécurité des accords commerciaux internationaux et on négociait dans la sérénité une nouvelle entente entre la Grande-Bretagne et ses cousins européens qui s’obstinent à se cacher derrière le brouillard de la Tamise et de la Manche. Las! C’est exactement la méthode opposée qui a été choisie: on s’est demandé ce qu’on pouvait enlever, a minima, à l’existant des relations, pour préserver à tout prix une union douanière contraignante. 
A qui la faute? L’Union Européenne a certainement joué un rôle. Il faut comprendre l’enjeu: si la sortie de l’Union Européenne s’était déroulée trop facilement, à quoi servirait l’organisation des 28? Nous avons vu les chefs d’Etat et de gouvernement se réfugier derrière la Commission et chargr cette dernière de mener les négociations. La Commission a fait ce qu’elle sait faire: traiter le dossier de manière purement technique et le compliquer à souhait. Ce qu’on n’ose pas appeler une trouvaille a consisté à introduire l’idée du « backstop » en espérant que la Grande-Bretagne trébucherait. Ce qui s’est passé, c’est que le sujet a empoisonné les négociations, empêché de voter l’accord négocié par Michel Barnier et Oliver Robbins et fait prolonger le délai originellement prévu au 29 mars. Ce que l’Union Européenne attendait, c’était l’effondrement de la Grande-Bretagne. Or les choses se sont passées autrement de ce point de vue. Jamais l’économie britannique n’a été plus florissante dans les décennies récentes. Loin de quitter massivement le pays, les services financiers, les banques et les entreprises industrielles ont certes un plan de départ, en cas de catastrophe, mais ont décidé de rester et de jouer le succès du Brexit. Quant à la réaction du peuple britannique lors des élections européennes imposées par l’absence de sortie, elle a été claire: les électeurs ont placé le Brexit Party en tête, à 33%, largement devant les autres (Les Libéraux-Démocrates sont à 21 % et les Verts à 12%) et ont infligé une correction aux Tories (très sévère, 9%) et au Labour (sous forme d’avertissement, 14%). 
L’absence de réalisation du Brexit est un peu due à l’Union Européenne et largement à nos dirigeants. L’Union Européenne est profondément divisée, comme nous le voyons, jour après jour; en particulier Emmanuel Macron et Angela Merkel sont devenus incapables de s’entendre sur le moindre sujet d’importance. Il est bien évident que le Conseil européen n’a pas voulu négocier directement avec le gouvernement britannique de peur d’étaler ses dissensions. En face, on a eu, curieusement, une tendance de Madame May à copier le comportement des gouvernements du continent. Elle a largement laissé les hauts fonctionnaires britanniques construire avec Bruxelles l’essentiel de la discussion. Lorsque le dialogue politique s’est instauré, le Premier ministre a négocié sur un mode en demi-teinte, en n’utilisant aucune des cartes maîtresses dont elle disposait: les divisions de l’UE, l’importance du marché britannique pour les exportations allemandes, l’invulnérabilité de la City, le soutien affiché de Donald Trump. On a bien cru, fin janvier 2019 que le délai du Brexit serait finalement respecté, à la date du 29 mars. Le Parlement britannique avait demandé, en effet, au Premier ministre d’obtenir un retrait du backstop de l’accord et s’était dit prêt à le voter dans ce cas. Mais Theresa May n’a jamais pris les moyens d’une telle négociation; progressivement, les députés pro-Remain se sont crus autorisés à être de plus en plus bruyants, amenant Bruxelles à espérer que le Brexit serait définitivement enrayé. 
Errare hu -may-num. Perseverare diabolicum
Le plus instructif, c’est que, loin de tirer les leçons des événements, un certain nombre de députés conservateurs et travaillistes continuent de dire qu’il faut à tout prix empêcher un « no deal ». Il est normal, pourtant, que les prétendants à la direction du parti conservateur et, donc, à la succession de Theresa May, remettent dans leur arsenal de négociation avec l’UE la possibilité du Brexit « sans accord », une carte de négociation que le Premier ministre sortant avait ostensiblement sorti de son jeu, se privant d’un de ses plus gros leviers de pression. Que veulent des individus comme Dominic Grieve? Sont-ils autre chose que de modernes appeasers? Oh, je sais, le camp d’en face, ce n’est plus la « bête immonde » qui menaçait d’envahir la Grande-Bretagne; c’est un groupe d’hommes et de femmes, déterminés à maintenir coûte que coûte leur principe d’action: la substitution de l’administration des choses au gouvernement des hommes. Or partout, chez nous comme dans le reste du monde, les individus se réveillent, ils réclament un retour à la politique, contre toutes les approches technico-administratives. Les élites progressistes ont beau les traiter de populistes, nos concitoyens, comme les vôtres, renvoient un message constant. Ils veulent « reprendre le contrôle » politique de tout ce qui les concerne. 
Mais si je reprends l’image des appeasers, c’est plus pour parler du point de vue britannique. La menace qui pèse sur nous aujourd’hui, comme il y a soixante-dix ans, c’est d’abord la démission de nos propres dirigeants devant leurs responsabilités. Nous ne sommes plus menacés - heureusement - de la barbarie nazie ou communiste. Mais notre pays n’en est pas moins menacé de déclin. Imaginez que la crise du Brexit s’éternise: notre pays se diviserait toujours plus, son unité politique serait menacée, son économie s’effriterait. Je pense même que se mettrait en place une guerre civile, plus ou moins ouverte entre ceux que David Goodhart appelle les « somewheres », les « sédentaires » et perdants de la mondialisation, et ceux qu’il désigne comme les « anywheres », les nomades gagnants de la mondialisation, avec leur armée de réserve, les immigrés des grandes métropoles. Aujourd’hui, ce n’est plus de l’invasion par l’armée d’un pays totalitaire que nous devons avoir peur; c’est de l’implosion de notre pays sous la poussée d’une subversion progressiste qui prend de nombreuses formes: la tentative de coup d’état des Remainers au Parlement, qui cherchent à confisquer l’ordre du jour au gouvernement; le discours univoque de la plupart des médias établis, selon lesquels le Brexit fut un vote absurde, tout comme l’élection de Trump ou tout ce qui ressemble à un programme conservateur; mais il faut mentionner aussi le profond effondrement moral de notre pays, où les comportements progressistes en matière sociétale sont poussés à grandes enjambées par des minorités actives - il est loin le début du XXè siècle où le député Josiah Wedgewood fut capable d’arrêter tous les projets de loi eugénistes à Westminster. Notre pays est travaillé de l’intérieur par des forces de dislocation. Et il n’est pas étonnant que le parti conservateur soit si fragile, dans un pays où l’on piétine, au sein des élites, la loi naturelle autant que le principe de souveraineté. 
Pourquoi Boris va réussir
Je continue à penser que Boris est bien fragile pour prendre sur ses épaules le fardeau du Brexit. Mais je maintiens aussi ce que je vous disais la semaine dernière: il se peut qu’il soit porté par un rôle qui le dépasse. D’un côté, les complots contre lui se multiplient, les médias essaient de le déstabiliser; de l’autre, les gouvernements de l’UE prennent discrètement contact avec lui. En réalité, je fais le pari que l’homme à la tignasse blonde si savamment ébouriffée va être porté par une vague de fond. Quelles que soient les rodomontades de quelques conservateurs Remainers aujourd’hui, ils ne pourront pas résister à la perspective d’être réélus.....grâce à la réussite de ce qu’ils abhorrent. Et puis l’UE aussi va avoir besoin d’en finir. Plus le temps passe, plus sa mauvaise volonté dans les négociations du Brexit devient palpable. Angela Merkel, qui sent les rapports de force mieux que toute autre, et s’alignent sur eux, ne pourra manquer de voir que l’espoir a changé de camp. Elle écoutera enfin tous ceux qui lui disent que l’absence d’accord est dommageable à la croissance allemande. Et Boris pourra offrir aux poules mouillées de son parti (les « wets ») l’accord sans lequel ils menacent de lui retirer leur soutien. 
A suivre. Mais nous avons beaucoup de raisons de penser que nous ne soufflerons pas la quatrième bougie d’anniversaire du référendum, en 2020, sans qu’ait été signé un accord durable entre la Grande-Bretagne et l’UE - si cette dernière existe toujours, bien entendu. 
Bien fidèlement à vous 
Benjamin Disraëli

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