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La pulsion du triomphe : quand les soldats posent aux côtés des cadavres
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Sale guerre

Encore un dérapage en Afghanistan : des soldats américains se sont pris en photo aux côtés d'insurgés tués. D'Abou Graïb à l'Afghanistan, qu'est-ce qui pousse profondément les militaires à multiplier de tels actes ?

Sophie de Mijolla-Mellor

Sophie de Mijolla-Mellor

Sophie de Mijolla-Mellor est psychanalyste et professeur émérite à l'université Paris-Diderot. Elle est présidente de l'Association Internationale d'Interactions de la psychanalyse et dirige la revue Topique.

Elle a écrit La mort donnée, essai de psychanalyse sur le meurtre et la guerre (PUF, 2011).

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Atlantico : Cette semaine, un nouveau scandale a éclaté impliquant des soldats américains se prenant en photo avec des cadavres d’insurgés afghans. Après la vidéo de marines urinant sur des corps ou les gardiens de la prison d’Abou Ghraib se mettant en scène avec des prisonniers, nous pouvons nous interroger sur les motivations de ces soldats pour commettre de tels actes.

Sophie de Mijolla Mellor : Il est difficile de répondre sans prendre les cas de manière individuelle. Pour moi, il s’agit de dérapages par rapport à l’esprit militaire. Nous pouvons même parler de dérapages graves. La notion d’armée exclue précisément des actes qui restent très personnels. L’armée est au service d’une Nation qu’elle représente et dont elle est le bras armé. Les soldats sont sensés se conformer à cette image. C’est un peu la même chose que ce qu'Ernst Kantarowiczappelle le corps du roi : il y a le corps mortel du roi et il y a le corps mystique, celui de la Nation. On peut transposer ça à l’armée qui est à la fois des individus qui peuvent être soumis à des pulsions et une institution qui les transcende.

En sortant de cet équilibre, on peut arriver dans des situations comparables à celles que vous évoquez. Une pulsion qui exacerbe le sentiment de triomphe sur l’ennemi mais qui n’a rien à voir avec l’armée. Les soldats concernés ne représentent alors plus qu’eux-mêmes.

Je ne sais pas si tous les individus pourraient commettre ce type de dérapages. Ceux qui le font sont probablement des personnes qui n’ont pas bien intégré ce qui se met en place à l’intérieur de l’armée.

Les motivations sont-elles les mêmes pour des soldats américains qui se prennent en photo avec des corps d’insurgés tués ou pour les Taliban qui avaient posé pour Paris Match en 2008 avec les effets de soldats français tués ?

Les buts recherchés varient sensiblement car les motivations ne sont pas les mêmes. Les talibans ne sont pas une armée régulière. Il faut bien distinguer ce cas de celui de soldats d’une armée conventionnelle se laissant aller à des pulsions individuelles relevant plus de la jouissance du triomphe que de celle de l’accomplissement de la mission.

Pour le dire en termes psychanalytiques, le soldat tire son plaisir, sa fierté, non pas du fait de tuer mais de la fierté de servir son pays en menant sa mission à bien. Dans ce cas-ci, ce n’est pas du tout le cas.

Les individus qui commettent de tels actes sont-ils des monstres, des fous ?

Des monstres, certainement pas. Des gens qui perdent de vue leur fonction, oui, probablement. Dans un métier, quel qu’il soit, un individu peut profiter de sa fonction pour commettre des actes qui sont répréhensibles. Le harcèlement sexuel dans l’entreprise ou le viol pédophile commis par un prêtre ou un enseignant en sont des exemples. Ces personnes oublient quel est leur rôle et se retrouvent dans l’incapacité de tirer satisfaction de l’accomplissement de sa fonction. Il y a alors un dérapage qui relève de la pulsion la plus brutale.

L’omniprésence de l’image, au travers de vidéos et de photos diffusées sur Internet, encouragent-elles l’accomplissement de telles pulsions ?

Pour moi, c’est un ajout qui n’a rien de fondamental. Le fait de se prendre en photo et de le partager sur Internet permet de prolonger la pulsion au même titre qu’un pédophile peut prolonger sa pulsion en partageant ses photos. Il ne s’agit pas de commettre les actes pour photographier ou pour se faire photographier.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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