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Traiter moins lourdement mais plus efficacement est certainement la plus grande avancée dans la lutte contre le cancer
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

On revient de loin

Les évolutions dans la lutte contre le cancer ont permis d'alléger les traitements et d'améliorer les conditions de vie des patients.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Un article du Washington Post retrace les évolutions de la lutte contre le cancer. Dans ce dernier, des cancérologues racontent l'approche un temps utilisée qui consistait à prescrire des traitements les plus lourds possibles pour être sûr d'annihiler les cellules cancéreuses qu'importe le type de cancer ou son stade de développement. Est-ce que cette approche a longtemps été en vigueur ? Notamment en France ? Quelles étaient les conséquences pour les patients ?

L'époque de "pas de guérison sans la chirurgie"

Stéphane Gayet : Le cancer ou tumeur maligne reste dans le sens commun la maladie la pire qui soit, la maladie qui détruit, fait souffrir et tue, cela de façon inexorable. Pendant de longues années en effet, pour les médecins et chirurgiens soignant des personnes atteintes de cancer, l'objectif primordial était de les garder en vie. Atteindre cet objectif était synonyme de victoire, quelles qu'étaient les souffrances, les mutilations, les séquelles et les incapacités qui résultaient des traitements surtout chirurgicaux, mais aussi médicaux que l'on pratiquait. On a longtemps distingué en cancérologie – cela reste le cas, mais de façon moins binaire – les traitements à visée curative (qui ont pour objectif d'éradiquer le cancer) des traitements à visée palliative (qui ont pour but d'améliorer la tolérance du cancer et de son retentissement sur l'ensemble du corps). Longtemps, la chirurgie a été considérée comme le seul traitement vraiment curatif, donc capable de mettre fin à un cancer. C'est l'époque de ces interventions chirurgicales tellement mutilantes que l'on cachait plus ou moins au cancéreux ce que serait son état lors de son réveil de l'opération : l'exentération pelvienne, notamment, était assez effroyable ; elle consistait à retirer la totalité des organes se trouvant dans le bas ventre ou petit bassin (vessie, prostate, utérus, rectum…) avec ensuite une vie qui n'en était plus une. Cette période s'est prolongée jusqu'au début des années 1980. Il existait bien sûr déjà les méthodes complémentaires que sont la radiothérapie et la chimiothérapie anticancéreuse, mais on considérait qu'une prise en charge cancérologique ne pouvait pas être curative en dehors de la chirurgie, excepté les cancers dits non solides que sont les tumeurs malignes des cellules du sang ou des cellules lymphocytaires (leucémies et lymphomes malins). Mais il faut aussi parler des séquelles des chimiothérapies et surtout des radiothérapies alors mal maîtrisées et pour lesquelles on avait volontiers la main lourde, contribuant ainsi largement à une détérioration parfois majeure de la qualité de vie restante (brûlures, névralgies, gênes fonctionnelles et même incapacités, œdèmes, hémorragies…).

La classification des cancers et ses incessantes évolutions

En dehors de l'organe atteint, on a su très tôt classifier les cancers en fonction de leur taille (de T0 à T4) ; de leur envahissement des ganglions lymphatiques (de N0 à N3, de l'anglais node qui signifie ganglion) ; ainsi que de leur envahissement métastatique d'organes situés à distance de la tumeur (de M0 à M1). Ce sont les trois critères de la classification en stades dite classification TNM qui est essentiellement macroscopique (ce qui se constate grâce aux examens d'imagerie médicale et lors de l'intervention chirurgicale). Très tôt également, on a su classifier les cancers en fonction de leur aspect lors d'un examen au microscope optique. On a ainsi été capable visuellement de distinguer les cellules malignes tout particulièrement agressives (correspondant à un fort mauvais pronostic) des cellules malignes au contraire assez peu agressives (meilleur pronostic). C'est le principe de la classification en grades.
Mais longtemps, cette classification en stades TNM et en grades cytologiques a servi plus à déterminer le pronostic (les chances de guérison) qu'à adapter la thérapeutique. Car c'était toujours le principe de "pas de guérison sans chirurgie". Certes, en fonction du stade et du grade, on décidait ou non d'une radiothérapie ou d'une chimiothérapie en complément de la chirurgie, mais ce n'était pas souvent avec réelle conviction et il y avait peu de consensus. C'est surtout au cours des années 1990 que des progrès considérables ont été réalisés en cancérologie, grâce au développement exceptionnel des méthodes et des techniques de biologie moléculaire et d'immunologie qui est la conséquence de la révolution numérique. On est donc passé successivement en cancérologie, au cours du XXe siècle d'abord par une époque macroscopique, puis une époque microscopique, pour en arriver aujourd'hui à une époque moléculaire. Cet essor formidable de la cancérologie a entraîné et continue à entraîner des modifications successives et complexes de la classification des cancers.

Aujourd'hui comment a évolué le parcours du patient qui s'est fait diagnostiquer un cancer ? Quelles ont été les étapes les plus importantes et quels progrès avons-nous faits ?

Le diagnostic de cancer est fait de plus en plus tôt

Des progrès spectaculaires ont été réalisés depuis la dernière décennie du XXe siècle, tant sur le plan des méthodes diagnostiques que sur celui des techniques de traitement. Nous avons aujourd'hui les moyens de détecter de nombreux cancers à des stades de plus en plus précoces (tumeurs à peine visibles), grâce aux techniques d'imagerie médicale dont la performance est impressionnante. Nous pratiquons aussi de plus en plus de dépistages de masse de certains cancers au sein de populations à risque (cancer colorectal, cancer de la prostate, cancer du sein). De cette façon, dans un pays comme la France, le parcours du patient atteint de cancer commence de plus en plus fréquemment alors qu'il ne ressent rien. Etant donné qu'un cancer met des années à se développer, la précocité du diagnostic fait que le parcours du cancéreux a tendance à commencer plus tôt dans la vie, en particulier alors que le patient est encore en pleine activité professionnelle. 

Le diagnostic d'un cancer est devenu très précis et détaillé

Les techniques d'imagerie, de microscopie et les biotechnologies permettent aujourd'hui de caractériser un cancer diagnostiqué avec un haut niveau de précision. Chaque cancer est différent et on est capable de déterminer la carte d'identité de tout cancer, dès l'instant où l'on veut s'en donner les moyens. Cette carte d'identité du cancer permet d'en connaître le potentiel évolutif et d'en préciser les différentes options thérapeutiques. Le diagnostic est ainsi devenu de plus en plus génétique (étude de l'ADN des cellules cancéreuses), et donc de plus en plus moléculaire. Ce diagnostic moléculaire constitue un énorme progrès, car il permet désormais de distinguer les tumeurs à très fort potentiel évolutif de celles dont le potentiel évolutif est au contraire faible, et cela alors que les aspects microscopiques des unes et des autres sont les mêmes. Cette avancée permise par les nouvelles technologies numériques nous fait prendre conscience du fait, qu'il y a 15 ou 20 ans, on se fourvoyait très souvent en se fondant sur les seuls critères microscopiques. On a donc sans aucun doute à l'époque traité de façon beaucoup trop agressive certains cancers qui n'auraient pas été très évolutifs et au contraire de façon trop légère – on l'a su rétrospectivement – d'autres cancers qui étaient pourtant très agressifs, cette agressivité n'étant pas visible au microscope.

Le parcours du patient est protocolé, de l'annonce au suivi après traitement

Aujourd'hui, sous l'impulsion des démarches qualité et des procédures d'accréditation puis de certification, nous avons tendance à tout protocoliser et tout tracer, ce qui théoriquement laisse de moins en moins de place à l'improvisation et à l'erreur. C'est particulièrement vrai en cancérologie. Il y a un protocole diagnostique, un protocole d'annonce au patient de son diagnostic de cancer, un protocole thérapeutique, un protocole de suivi… La Haute autorité de santé ou HAS promeut largement la prise en charge des patients de façon longitudinale, c'est-à-dire en organisant son parcours dans le temps. Cette prise en charge demande une coordination efficace des différents professionnels de santé et l'implication du patient ainsi que souvent de sa famille. Cette organisation du parcours du patient trouve son application exemplaire en cancérologie, car le cancer est une maladie de tout le corps et qui évolue sur des années. Ce qui est également nouveau, c'est la participation du patient au choix de la méthode thérapeutique. Il n'est plus question d'imposer une intervention chirurgicale radicale comme cela a été le cas pendant des années, mais d'évoquer avec lui les options possibles et les avantages et inconvénients de chacune d'elles. C'est ainsi que le sujet cancéreux a presque toujours la possibilité de choisir un traitement conservateur qui n'enlève donc pas l'organe siège du cancer. Parfois, ce traitement conservateur ne laisse pas beaucoup de chances de survie prolongée, mais ce peut être un choix.

Le pronostic des cancers pris en charge assez tôt s'est transformé

Un cancer n'est plus la condamnation à mort qu'il était il y a quelques décennies. La survie des patients traités a fait d'énormes progrès. Ce qui fait surtout peur aujourd'hui, c'est plus les conséquences du traitement que le cancer lui-même. Car on est parfois excessif, malgré ce que nous avons vu, avec certains cancers diagnostiqués à un stade précoce, comme le cancer de la prostate et celui de la thyroïde. Il existe encore des facteurs d'évolution qui nous échappent étant donné que la cancérogénèse est extrêmement multifactorielle et complexe. Le pronostic d'un cancer dépend en très grande partie de la précocité de son diagnostic, qui dépend elle-même du comportement du patient, bien plus que de celle de son médecin traitant. Certaines personnes préfèrent rester sans diagnostic, animées d'un mélange de confiance et d'insouciance. D'autres connaissant leur diagnostic préfèrent ne pas être traitées. On cite le cas d'un homme chez lequel on a diagnostiqué un cancer du côlon compliqué de métastases et qui a refusé tout traitement : il a vécu neuf années.

Et à l'avenir ? A quoi pourrait ressembler le futur de la lutte contre le cancer ? Quelles innovations vous semblent les plus prometteuses ?

Le traitement d'un cancer devrait devenir de plus en plus spécifique de ce cancer. D'autres progrès devraient survenir en matière de précision et de détail du diagnostic. La balle est dans le camp de la biologie moléculaire et de l'immunologie. On devrait effectuer de moins en moins d'interventions chirurgicales macroscopiques (délabrantes et mutilantes), au profit d'interventions chirurgicales de plus en plus fines voire microscopiques, on devrait laisser de côté les chimiothérapies non sélectives qui sont trop destructrices et cela inutilement, ainsi que les radiothérapies qui ne sont qu'un pis-aller mais qui rend tout de même des services.
L'avenir de la prise en charge des cancers est de deux ordres. Premièrement, un diagnostic de plus en plus précoce grâce à la reconnaissance croissante des facteurs de risque ; et ces diagnostics de plus en plus précoces sont indissociables de la prévention. Deuxièmement, le traitement curatif devrait devenir de plus en plus moléculaire : idéalement, une fois effectué le diagnostic, on devrait parvenir à fabriquer un médicament sur mesure capable d'aller tuer dans le corps de façon sélective les cellules cancéreuses, et cela sans nuire aux cellules qui ne le sont pas. Ce serait en quelque sorte une forme de vaccin curatif anticancéreux, mais réalisé de façon individuelle et non pas générique à grande échelle. C'est sans doute, avec une prévention de plus en plus efficace, ce qui devrait transformer la cancérologie.

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