Tragédie à Gaza : et au fait, que fait vraiment le monde arabo-musulman pour soutenir les Palestiniens ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de l'autorité palestinienne Mahmoud Abbas et l'ambassadeur d'Arabie saoudite en Palestine Nayef bin Bandar al-Sudairi à Ramallah, le 26 septembre 2023.
Le président de l'autorité palestinienne Mahmoud Abbas et l'ambassadeur d'Arabie saoudite en Palestine Nayef bin Bandar al-Sudairi à Ramallah, le 26 septembre 2023.
©AFP PHOTO / HO / PPO

Double jeu et pudeurs de gazelle

Les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre ont provoqué une onde de choc au sein de la région, divisée entre le soutien à la cause palestinienne et la normalisation des relations avec Israël depuis les accords d’Abraham. Les pays arabes portent-ils une responsabilité majeure dans les difficultés rencontrées par les Palestiniens ?

Henry Laurens

Henry Laurens

Henry Laurens est historien et universitaire, spécialiste du monde arabe et professeur au Collège de France, où il occupe la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe depuis 2003.

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Atlantico : Que fait vraiment le monde arabo-musulman pour soutenir les Palestiniens ?

Henry Laurens : Les pays du monde arabo-musulman sont aux côtés des Palestiniens mais ils ne vont pas faire la guerre pour soutenir la Palestine. Ils sont pris dans leurs engrenages. Cette situation s’inscrit dans le contexte du Printemps arabe qui a conduit à une division politique en camps : un islamisme issu des Frères musulmans d'un côté et un mouvement dit libéral moderniste de l'autre. Face à cela, une contre-révolution a été menée par les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite. La contre-révolution l'a emporté en manipulant les libéraux en Egypte contre les Frères musulmans. Cette contre-révolution est au pouvoir pratiquement dans toute la région. La cause islamiste des Frères musulmans est devenue clandestine et a été persécutée. Les pays du Golfe ne leur ont pas pardonné de faire de la politique. Ils préconisent un « islam modéré » qui implique l’obéissance des gouvernés aux gouvernants.

Le monde arabe a aussi été déchiré par les terres de sang, pour reprendre l’expression de Timothy Snyder utilisée pour l'Ukraine. Une première terre de sang était l'Irak de Saddam Hussein, puis ensuite avec les guerres successives après 2003, en particulier avec l'Etat islamique. En Irak, le puissant courant chiite soutient la cause du Hamas et s’en est servi pour contester la présence américaine. La seconde terre de sang est la Syrie avec plus de 500.000 morts depuis 2011. Les pays arabes essayent de gérer les conséquences enréintégrant l'Irak dans le jeu politique arabe puis la Syrie mais avec moins de succès dans ce cas.

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Les préoccupations vis-à-vis des Palestiniens sont évidemment diverses en fonction des situations économiques de chaque pays. L'Arabie Saoudite a un horizon précis et essaie de bâtir l'après-pétrole en devenant un hub économique d'importance mondiale dans un certain nombre de domaines. Elle devait donc être prête à faire des affaires avec les Israéliens. Il s’agissait de la perspective de Mohammed Ben Salman et évidemment la crise actuelle le gêne considérablement. Alors il fait le service minimum en plaidant pour l’envoi de l’aide humanitaire à Gaza. Mohammed Ben Salman essaye de limiter le choc du conflit entre Israël et le Hamas sur sa propre société. Récemment, des personnes qui portaient des keffiehs palestiniens et qui étaient allés prier à La Mecque ont été sanctionnées.

Les Emirats et Bahreïn étaient aussi engagés pour des raisons économiques dans les accords d’Abraham avec Israël.

Le Qatar en revanche est une incarnation extraordinaire du « en même temps ». Le pays abrite une base américaine mais aussi le siège des Frères musulmans et également le Doha Institute refuge de la gauche arabe.

Au sein du monde arabo-musulman, qui vient en aide politiquement, diplomatiquement et financièrement aux Palestiniens ?

Les pays du Golfe participent à ce soutien financier. Des levées de fonds importantes sont aussi réalisées au sein de la diaspora palestinienne dans les pays du monde arabo-musulman. Ces fonds vont directement aux autorités ou sont envoyés aux familles par leurs membres dispersés dans la diaspora. Sur le plan financier, Israël impose des taxes sur les produits importés en Cisjordanie et à Gaza et a récemment décidé de couper l'argent qui était affecté à l'administration de la bande de Gaza. Des organismes internationaux comme l’UNRWA soutiennent financièrement la population palestinienne. Une grande partie du financement de l'Autorité palestinienne provient de l'Union européenne.

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Quels sont les pays dans le monde arabo-musulman qui aident militairement la Palestine ?

Le financement du Hamas est une donnée centrale sur le plan militaire et logistique à Gaza. Le Hamas bénéficie du financement et du soutien de la diaspora et de mouvances islamistes non palestiniennes. Le Hamas, en tant qu’autorité gestionnaire de facto de la bande de Gaza, a géré les moyens, les forces et les fonds qui étaient affectés à la bande de Gaza, même si officiellement, ces fonds ne les concernaient pas. L'argent que l'Autorité palestinienne envoyait servait en principe à payer les fonctionnaires de la bande de Gaza. Et l'argent que le Qatar envoyait devait normalement servir à financer les services publics dans la bande de Gaza. L’argent en provenance du Qatar était considéré comme un moyen de calmer la situation à Gaza.

Comment est-ce que le sort des Palestiniens s’inscrit historiquement dans la lignée des difficultés connues par les Koweïtiens ou les Jordaniens dans les années 70 et par le passé ?

Le Fatah avait été financé essentiellement par des contributions de Palestiniens travaillant dans le Golfe. Ces contributions étaient autorisées par les autorités des pays du Golfe. De l’argent en provenance d’Arabie saoudite a notamment été reversé à l’OLP.

Comment et pourquoi les Palestiniens ont toujours été très mal défendus par les pays du monde arabo-musulman ?

Ces pays considèrent qu’ils ont quand même fait quelques guerres contre Israël. Les Egyptiens considèrent qu’ils se sont toujours battus pour les Palestiniens.

Or les Palestiniens ont le sentiment d’avoir été abandonnés par les pays du monde arabo-musulman.

Il y a eu, néanmoins, après 1979 et dans les années suivantes, des contributions directes des pays du Golfe vers l'OLP.  En 1990, la donne a changé. L'Arabie saoudite en voulait à Arafat. Il était accusé d'avoir soutenu Saddam Hussein. De l'argent a pu alors être versé au Hamas à cette période.

Alors que les accords d'Abraham ont permis de rapprocher Israël avec les Emirats arabes unis et le Bahreïn d'autre part et alors que l’Arabie saoudite était en pourparlers avec Israël, les attaques du Hamas ont tenté de mettre fin à cette stratégie au cœur du monde arabo-musulman. Faut-il s’attendre à un vrai basculement suite aux attaques du Hamas ou s’agit-il d’une simple pause avant la reprise de nouveaux rapprochements entre Israël et certains pays du monde arabo-musulman ? Cela va-t-il nuire à la Palestine ?   

Pour se donner bonne conscience et donner l’impression qu’ils faisaient vainement quelque chose en soutien à la Palestine, les Saoudiens ont annoncé qu'ils allaient augmenter leur aide et leur soutien envers les Palestiniens malgré les processus entamés avec Israël qui ont été gelés.

Quelles ont été les principales erreurs des pays du monde arabe par rapport à la Palestine et qu’est-ce qu’ils ont toujours mal fait par rapport au peuple palestinien ?

À partir du moment où il y a un système pluraliste dans le monde arabe, il est soumis à l'ingérence étrangère. Par exemple au Liban, les partis politiques se définissent pour ou contre les Etats-Unis ou l'Occident et pour ou contre l'Iran. Cela peut ensuite impacter les finances et l’économie du pays.

Dans le cas de la Palestine, le système politique palestinien était pluraliste. Les différents mouvements palestiniens pouvaient coexister car ils bénéficiaient de financements externes, même s'ils avaient aussi de l'argent dans la diaspora.

Le Fatah était largement financé par les pays du Golfe, en particulier par les Palestiniens dans les pays du Golfe. La gauche palestinienne, le FPLP, était financée par les adversaires politiques d'Arafat, notamment l'Irak, la Syrie, la Libye. Chaque mouvement dépendait des financements de pays du monde arabo-musulman. Ce pluralisme était lié aux ingérences politiques des pays arabes.

Quelle est l'attitude du monde arabo-musulman vis-à-vis du soutien aux Palestiniens ?

Si vous posez la question aux gens dans la rue au sein du monde arabo-musulman, ils vous répondront à 99 % qu’ils sont pour les Palestiniens et qu’ils sont contre les Israéliens. Et en particulier dans les Etats qui ont signé des traités de paix avec Israël, c'est-à-dire la Jordanie et l'Egypte. L'opinion publique dans ces pays est farouchement anti-israélienne.

Quelle est l’attitude du monde arabo-musulman vis-à-vis de l'aide humanitaire à apporter à la Palestine ?

Pour se donner bonne conscience, les pays du Golfe sont prêts à payer pour apporter l'aide humanitaire nécessaire aux Palestiniens. La Jordanie a négocié avec les Israéliens des parachutages de vivres de produits de première nécessité par un avion jordanien au-dessus de Gaza.

L'Egypte gère le passage de Rafah mais est confrontée à une terrible crise économique. Elle prétend aussi qu'elle a plusieurs millions de réfugiés non palestiniens chez elle. Elle ne veut pas des Frères musulmans chez elle et ne souhaite pas accueillir des membres du Hamas. Elle a toujours refusé d’avoir desréfugiés palestiniens sur son sol.

La Jordanie est aussi frileuse et ne veut pas un transfert des populations palestiniennes sur son sol. La Jordanie avait aussi reçu des Irakiens depuis 1991 et 2003 et des Syriens en masse depuis 2011.

Les pays du monde arabo-musulman sont tous prêts à apporter de l’aide humanitaire envers la Palestine. Mais ils ne souhaitent pas faire la guerre. Pourtant, l’opinion publique de ces pays est violemment hostile envers Israël.

Quelle est l'influence du monde arabo-musulman pour l'avenir politique des Palestiniens, notamment par rapport à l'Autorité palestinienne ?

L'OLP est le représentant officiel des Palestiniens à la Ligue arabe. Les accords d'Oslo interdisent en théorie à l'Autorité palestinienne d'avoir une politique étrangère.

Mais les pays du monde arabo-musulman n’ont pas les moyens de faire la guerre à Israël. Ils ont très peur de voir le Hamas, le Hezbollah et l'Iran récolter les fruits de la situation et ramasser la mise.

Les pouvoirs en place dans les différents pays sont forts et puissants et autoritaires, mais ils sont, sur certains domaines, complètement coupés de leur opinion publique.

Les Palestiniens ne sont-ils pas abandonnés par le monde arabo-musulman dans cette crise ?

Effectivement, car les pays du monde arabo-musulman n’ont pas les moyens de faire la guerre. Ils ne souhaitent pas non plus la faire, même si des questions se posent sur le rôle de l’Iran. Les Egyptiens ont l’impression d’avoir suffisamment soutenu les Palestiniens militairement par le passé.

La guerre avec Israël avait été facilitée il y a quelques décennies grâce au contexte de la Guerre froide. Des partenaires fournissaient des armes. L'Union soviétique et le bloc de l'Est fournissaient des armements à l'Egypte, à la Syrie à l’Irak.

N'y aurait-il pas un double jeu au cœur du monde arabo-musulman vis-à-vis du soutien à la Palestine ? Y a-t-il des différences entre les pays du Maghreb, d'Afrique du Nord qui auraient une vision différente des pays du Proche-Orient, plus proches géographiquement d'Israël ?

Le clivage se situe entre les opinions publiques et les appareils d'Etat. L’opinion publique est très militante en Algérie depuis 1962 envers la cause palestinienne. La Tunisie est aussi extrêmement favorable à la cause palestinienne.

D’autres pays ont choisi une autre approche. C’est le cas du Maroc, dans le cadre du Sahara occidental, une négociation est intervenue avec l'Etat d'Israël.

Face à la situation des Palestiniens, est-ce que les pays du monde arabo-musulman redoutent de nouveaux soulèvements similaires au Printemps arabe, notamment face aux difficultés économiques et face au sort des Palestiniens ?

Les Egyptiens vivent vraiment très durement la crise économique au cœur de leur pays. La Jordanie est moins en difficulté grâce à l’aide étrangère importante. Les pouvoirs politiques sont obligés de lâcher du lest face à leur opinion publique.

Est-ce que les pays du monde arabo-musulman peuvent-ils être artisans de la paix pour les Palestiniens et pour améliorer le sort des Palestiniens à l'avenir ?

Améliorer le sort des Palestiniens s’apparente à une illusion économique. Elle consiste à donner des miettes pour assurer un semblant d’apaisement. Mais le Hamas a brisé ce cadre.

Le projet du Hamas, au regard de leur proclamation du 7 octobre, était de provoquer une insurrection non seulement à partir de la bande de Gaza, mais aussi en Cisjordanie, dans l'ensemble du monde arabo-musulman, du Maroc jusqu'à l'Indonésie. Le Hamas comptait aussi sur la mobilisation d’alliés comme le Hezbollah, les Houthis et l’Iran. Pour l’instant il n’a récolté que le service minimum.

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