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Tout raser dans les quartiers Nord de Marseille ? Petites leçons tirées de rénovations urbaines qui ont (vraiment) marché
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Table rase

Pour Manuel Valls il faut "tout raser" dans certains quartiers de Marseille et "tout reconstruire" après. Cette solution a-t-elle vraiment marché un jour ?

Thibault  Tellier

Thibault Tellier

Thibault tellier est professeur des universités à  Sciences Po Rennes. Directeur du développement et de la formation tout au long de la vie, coresponsable du master "Gouverner les mutations territoriales" et participe à la chaire Territoires et mutations de l'action publique/Laboratoire Arènes. 

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Atlantico : Manuel Valls a déclaré sur RMC qu'à Marseille il fallait « tout raser » et « repeupler autrement ». Est-ce vraiment une stratégie envisageable ? Serait-elle efficace ?

Très sincèrement non. On a d’ailleurs connu Manuel Valls mieux inspiré, d’autant qu’il a été maire d’une grande ville de banlieue, Evry, et  qu’il a également été confronté à ces questions comme Premier ministre. D’abord, si l’on considère la configuration marseillaise on parle de plusieurs milliers de logements. Où les reloger sachant que l’on imagine mal les villes voisines participer à un accueil de cette envergure ?  Deuxièmement, l’Etat ne dispose plus des finances suffisantes pour accomplir une telle entreprise. J’en veux pour preuve la manière dont on finance la rénovation urbaine aujourd’hui. L’Union sociale pour le logement va tenir son congrès dans quelques jours à Bordeaux et la question financière est plutôt inquiétante car l’Etat fait payer les bailleurs pour une partie des rénovations. Donc tout détruire pose techniquement un problème financier. 

Il y a également un problème social. On a déjà beaucoup de difficulté dans le cadre des politiques de relogement à intégrer les populations plus modestes aux quartiers qui ne sont pas dans la politique de la ville. 20 ans après le vote de la loi SRU, on voit bien qu’il existe encore des blocages sociaux. Beaucoup de villes se montrent encore rétives à une véritable mixité sociale.

Troisième élément, et c’est ce qui est intéressant dans la posture le propos de Manuel Valls, c’est que jusqu’à une certaine période, la gauche avait surtout misé sur le développement social pour tenter de résoudre le problème de la dégradation de certains quartiers construits durant la période des Trente Glorieuses (grand ensembles). Le recours à la démolition massive. Le principe du « on détruit, on reconstruit » apparaît véritablement dans les années 1990, avec les premiers « grands projets urbains » (GPU) portés par la gauche. Jean-Louis Borloo en a ensuite systématisé le principe avec sa loi sur la rénovation urbaine. Pour en revenir aux propos de Manuel Valls, il me semble qu'ils traduisent surtout a un constat d’impuissance de la puissance publique sur le mode « on a tout essayé, il ne reste plus que la destruction massive ». La politique de la ville a été au contraire, jusqu’au début des années 2000 du moins (les émeutes de 2005 sont de ce point de vue un marqueur) un laboratoire d’expérimentation pour des politiques publiques innovantes, inventives. 

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En outre, On est plutôt, actuellement, dans une politique qui mixe rénovation urbaine (les bâtiments) et développement social. Cette proposition pose la question de la responsabilité de la forme urbaine et incite à penser qu’en changeant la forme urbaine on règle le problème, ce qui est faux. Vous pouvez toujours mettre des gens dans des habitats totalement réhabilités plus « développés » mais s’ils sont précarisés, qu’ils souffrent de désaffection scolaire, de chômage, etc. les problèmes ressurgissent. La solution tient autant dans la réhabilitation du cadre bâti que dans le développement social de ces quartiers.

Quelles doivent être les ressorts de la rénovation urbaine pour qu’elle fonctionne ?

La rénovation urbaine doit fonctionner sur deux pieds : un pied urbanistique de rénovation du cadre bâti et d’autre part un pied de développement social. Le problème aujourd’hui avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) est que plus de 90 % l’essentiel de l’argent public part dans la rénovation et que la part réservée à l’action sociale est plutôt congrue. La question est donc celle d'une meilleure répartition entre les deux. Il faut mettre des moyens conséquents pour la rénovation, mais aussi investir davantage dans l'encadrement humain. Il faut par exemple que l’éducation nationale accompagne la démarche comme elle a commencé à le faire avec le dédoublement des classes de CP. Cela suppose aussi des actions d’ordre culturel. Les quartiers inscrits en politique de la ville doivent être intégrés, connectés aux grandes dynamiques qui caractérisent aujourd’hui les grandes métropoles. Or combien des habitants de ces habitants participent par exemple aux expositions visibles en centre ville ? Combien d’habitants des quartiers nord de Marseille sont-ils déjà allés au MUCEM ?

Ne s’attaquer qu’aux murs ne suffit pas semble une vision dépassée. Il faut maintenir coûte que coûte une vision globale en matière de projet urbain et ne pas enfermer les quartiers de la politique de la ville dans une logique exclusive de rénovation urbaine. Cela suppose par exemple de traiter simultanément la question des transports (de ce point de vue la liaison en transports en commun des quartiers nord de Marseille avec le centre-ville est un cas d’école) mais également la question scolaire ainsi que celle de la sécurité qui a longtemps été un impensé de la politique de la ville (hormis la période durant laquelle Jean-Pierre Chevènement a été ministre de l’Intérieur entre 1997 et 2001). On a commencé à détruire les tours à partir de la fin des années 1980 notamment dans l’est de Lyon mais c’est un tout. Si on détruit mais sans lignes de transport sécurisées, sans aménagements, les problèmes seront de retour tôt ou tard. Par ailleurs, ce genre d’actions ne peut se mener qu’à l’échelle intercommunale, sinon cela on ne fait que déplacer le problème dans la ville.  

Quelles sont les stratégies de renouvellement urbain qui ont fait leurs preuves dans les quartiers sensibles et qui pourraient inspirer Marseille ?

Il y a des projets qui ont réussi, comme à Villeurbanne. La ville n’est pas véritablement une ville de grands ensembles des années 1960 mais elle a connu des difficultés et aujourd’hui elle s’en sort plutôt bien. Elle a été choisie récemment pour représenter la France comme capitale culturelle. Cela montre qu’ils ne s’enferment pas dans une logique de rénovation urbaine. Il est important de sortir de cette logique et que la rénovation urbaine ne soit pas une fin en soi. On a toujours l’impression qu’une fois qu’on aura rénové tout ira bien mais c’est faux. C’est une politique de longue haleine et la rénovation du cadre bâti n’est qu’un élément, certes déterminant, parmi d’autres. A Rennes, dans les quartiers d’habitats sociaux, il y a une politique de rénovation mais elle est accompagnée d’une revitalisation commerciale, scolaire, etc. C’est un projet urbain global et c’est ça qui fait trop souvent défaut. Sans cela, on ne prend qu’un écheveau de la pelote.

 On a parlé de Villeurbanne, on pourrait aussi citer Vénissieux ou la ville de Meaux où tout un travail de maillage territorial est fait avec des animateurs culturels. C’est une question de mobilisation des acteurs dans tous les sens du terme. On a injecté beaucoup d’argent dans le bâti mais on a retiré de l’argent aux associations, aux fédérations d’éducation populaire, etc. Or la présence humaine est déterminante pour accompagner au quotidien les projets menés à l’échelle du quartier. Retirer des moyens humains comme dans le cadre du soutien scolaire, c’est également laisser le champ libre à des groupements qui en profitent par exemple pour faire du prosélytisme auprès des plus jeunes.  La rénovation urbaine doit aussi l’occasion permettre d’adapter la ville aux problèmes enjeux de transition énergétique, de développement durable, de précarité énergétique. A Villeurbanne, ils ont réussi à tisser des liens qui n’étaient pas forcément indispensables à la rénovation urbaine mais qui contribuent à faire avancer les choses. Enfin, et ce n’est pas le moindre des enjeux, il est nécessaire de « sortir » certains quartiers de la logique de la rénovation urbaine dans laquelle ils sont parfois depuis des décennies. Pour en revenir à Marseille, j’ai moi-même étudié le cas de la cité Frais-Vallon qui est inscrite dans les dispositifs de la politique de la ville depuis… 1975 !  Aujourd’hui, la question est aussi de savoir comment on peut sortir ces quartiers d’une logique exclusive de rénovation urbaine.

A cet égard, quel regard portez-vous sur l’initiative « Marseille en Grand » qu’annonce Emmanuel Macron ?

D’abord, ce qui peut faire sourire, c’est qu’après 40 ans de décentralisation, c’est encore le chef de l’Etat qui apparaît comme le sauveur suprême de la ville de Marseille. Dans les esprits, c’est encore l’Etat qui apporte ou non les moyens aux élus locaux. Rappelons qu’en 2012 Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, était déjà venu dans la cité phocéenne proclamer solennellement le grand retour de l’Etat ! On note également dans le cas présent une sorte de tête à tête politique entre le maire de Marseille et le chef de l’Etat, ce qui semble exclure de fait la métropole et la Région qui sont pourtant deux acteurs clés dans les dossiers qui sont sur la table. Tout s’est organisé entre Emmanuel Macron et le maire de Marseille, Benoît Payan, alors que pourtant la région PACA contribue à la politique de la ville. Deuxièmement, il faut se méfier des coups de communication sur des questions aussi graves. S’il y a bien une spécificité marseillaise liée au grand banditisme, il peut s'avérer dangereux de chercher à faire un coup d’éclat, à annoncer un nouveau plan Marshall pour Marseille. Il y a certes des spécificités marseillaises sur le grand banditisme mais on retrouve ces problématiques dans d’autres quartiers de grandes villes. Il convient donc d’interroger les modes de fonctionnement de la politique de la ville au regard notamment des nouveaux enjeux liés par exemple à une délinquance de plus en plus jeune et de plus en plus violente. De même, la politique de la ville telle qu’elle fonctionne aujourd’hui doit également être questionnée par rapport aux écarts constatés dans de nombreux quartiers vis-à-vis des principes républicains. 

C’est d’ailleurs le Président de la République lui-même qui dans son discours des Mureaux a parlé de séparatisme. On a besoin aujourd’hui d’un véritable débat politique sur la refonte totale de la politique de la ville.

Cela révèle aussi un manque d’ambition en termes de politique de la ville. On retiendra le discours des Mureaux sur le séparatisme mais, à part ça, il a rangé le plan Borloo aux oubliettes donc il n’y a pas d’ambition politique. On attend encore un grand discours fédérateur sur ce que doit être la politique de la ville en 2021. Cette ambition politique a été désertée depuis la fin des années 2000.  Malgré la loi Lamy sur la participation citoyenne, le quiquennat de François Hollande n’a pas fait mieux.

Est-il forcément nécessaire d’avoir une intervention au sommet de l’Etat pour une politique de rénovation urbaine réussie ?

L’ambition de la politique de la ville telle qu’initialement constituée en 1981, c’était qu’elle soit décentralisée. C’est en octobre 1981 que Pierre Mauroy, le Premier ministre, annonce la création de la commission nationale du Développement social des quartiers (DSQ). On propose symboliquement sa présidence au député-maire de Grenoble, Hubert Dubedout. On a pu observer dans les années 1990 une forme de recentralisation sur la question avec la création d’un ministère de la Ville et d’une délégation interministérielle à la ville, signe évident d’une reprise en main par l’Etat de la question urbaine. En 2003, la loi sur la rénovation urbaine indiquait clairement une reprise en main par l’Etat a amplifié cette orientation. Aujourd’hui, nous en sommes toujours là et on ne voit pas bien quelle sera la prochaine étape de la politique de la ville en matière d’ambition de l’Etat à l’égard des quartiers populaires. 

Il y a pourtant urgence et de ce point de vue, le débat de l’élection présidentielle peut s’avérer utile sachant que plus de dix millions d’électeurs vivent dans les quartiers de la politique de la ville. L’occasion peut être aussi de leur redonner l’envie d’aller voter.

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