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Tout ce que les réseaux sociaux ont changé dans notre rapport à la mort
©Reuters

Décès 2.0

Nous sommes tous immortels... sur les réseaux sociaux. En effet, sur ces derniers les profils sont presque impossibles à faire disparaître une fois leur utilisateur décédé, et bien souvent ce sont les proches qui continuent à les alimenter en photos et statuts afin de faire vivre le défunt.

Alain Sautereau  Sautereaud

Alain Sautereau Sautereaud

Alain Sauteraud est psychiatre, spécialiste du  deuil et du trouble obsessionnel-compulsif. Il a écrit Comprendre et soigner les troubles obsessionnels compulsifs et Vivre après ta mort, psychologie du deuil, aux éditions Odile Jacob.  Il participe au site aftcc.org

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Atlantico : Alors que le nombre de pages Facebook d'utilisateurs décédés s’élèverait à 3 millions, un phénomène nouveau semble se développer : faire « vivre » ces gens en alimentant de photos ou de commentaires leurs profils sur les réseaux sociaux. Cela démontre-t-il un changement de notre rapport à la mort et à la fin de vie ? Cela peut-il empêcher le processus de deuil de se réaliser totalement  ?

Alain Sauteraud : Continuer à faire vivre un mort, par le biais de sites internet qui sont dédiés à un défunt ou par le biais d’une page Facebook, n’est en fait pas très  différent d’une « messe du souvenir » ou encore de se rendre régulièrement sur sa tombe, parfois plusieurs années après le décès. Il s’agit du même processus de deuil qui permet notamment de contourner un élément de la modernité face au deuil : l’éclatement géographique des familles. Ces plateformes permettent ainsi d’écluser la douleur et de la partager avec ceux qui sont loin.

Un album photo dans lequel vous exposez un « bon souvenir », une fête familiale par exemple, est une irruption du vivant au moment où ce dernier ne l’est plus au même titre que l’alimentation d’un profil Facebook. A chaque fois que des outils technologiques apparaissent, le débat est le même : la relation qui en ressort est elle viable, saine ? Lorsque le téléphone est apparu la question s’est posée de savoir s’il était possible d’entretenir une véritable relation entre humains par son biais. Des décennies plus tard, personne ne le conteste. Le rapport au deuil et à la mort ne m’en semble donc pas nécessairement modifié dans le fond, il ne le sont quand dans la forme, dans le support.

Il existe toutefois des déviances qui sont celles de certains sites qui commercialisent des services de messages préparés par la personne de son vivant et qui sont délivrés post-mortem. On se retrouve là avec une irruption d’un contenu inconnu, non contrôlé par les proches, envoyé par le vivant après sa mort mais pensé avant. Ce phénomène peut quant à lui réellement troubler le deuil mais nous ne savons pas encore quelle est son ampleur.

Un phénomène parallèle est celui de la publication sur les réseaux sociaux par les grands malades condamnés ou par leur famille de "posts" sur l’évolution de la maladie et la fin de vie. Comment analyser ce que certains voient comme une « théâtralisation » de la fin de vie ?

Les réseaux sociaux étant par définition la mise à la disposition de beaucoup d’« amis » des informations instantanées, il ne me semble pas vraiment choquant de tenir au courant les gens de l’évolution d’une maladie - sans pour autant que l’on puisse parler de théâtralisation. Reste à savoir si cela relève de l’impudeur ou pas, et la question se pose plus généralement à propos de Facebook et de nombreux autres réseaux sociaux sur tous les autres sujets. Sociologiquement, on répand donc dans un monde virtuel des informations privées – deuil ou pas deuil. Ainsi, si on juge non choquant l’usage de ces réseaux, il n’y a rien de choquant non plus à parler de sa maladie, ou de celle d’un proche, sur ces supports.

L’idée a même été évoquée par certains informaticiens de créer des avatars des morts en concentrant des données les concernant pour recréer leurs personnalités. Essayons-nous de faire ainsi disparaître la mort en recréant nos défunts ?

Je ne connais pas ces recherches mais il ne s’agit là que de l’écriture d’une sorte de biographie. Quand nous essayons de réécrire la vie du Général De Gaulle ou de Napoléon, c’est ce que nous faisons. Nous recréons une histoire, des souvenirs. Encore une fois, que nous utilisions l’outil technologique nouveau pour cela ne me semble pas tellement différent de ce qui se faisait précédemment puisqu’il est clair que cela n’ira pas beaucoup plus loin que cela. Personne ne recréera concrètement un de ses proches par le biais d’un programme informatique aussi sophistiqué soit-il.

Les hommages aux morts ont existé dans toutes les sociétés et à toutes les époques. N’est-ce qu’une version moderne, une version 2.0, de cette tradition qui marque pour beaucoup le début de la civilisation ?

Certainement. Notre époque rend beaucoup plus difficile qu’auparavant la matérialisation du deuil, notamment, comme je le disais, à cause de l’éclatement des familles, les difficultés à se déplacer sur la tombe du proche et la disparition des cortèges funéraires. On peut donc même faire preuve d'un certain optimisme sur la question, chacun peut ainsi vivre son deuil par ce biais là.

Cette utilisation des réseaux sociaux permet-elle de vivre sa fin de vie, ou celle des autres, plus facilement ?

Ceux qui le font doivent nécessairement penser que cela leur fait du bien, sans quoi ils ne le feraient pas. Se pose ensuite la question de savoir qui sont ceux qui nous suivent sur les réseaux sociaux. Exprimer sur Facebook sa souffrance ou ses peurs pour se sentir moins seul, devant un public sélectionné – c'est-à-dire ceux avec qui on a décidé d’être "ami" - me semble assez naturel si on ne peut être entouré physiquement par les siens. Pour les réseaux sociaux comme Twitter, où les followers sont des inconnus, la question est autre… Voulons-nous vraiment exprimer cela devant eux ? Tout est fonction du réseau, du public et de que recherche celui qui poste.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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