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Tourisme : les chiffres 2016 encore pire qu’anticipés
©Reuters

Secteur en crise

Les attentats ont eu un impact majeur le secteur du tourisme, mais les difficultés actuelles ne doivent pas cacher le manque de stratégie dans la façon dont a été abordée cette industrie ces dernières années. Une réponse politique forte doit être envisagée afin de préserver un moteur essentiel de l'économie française.

Jean-Pierre Nadir

Jean-Pierre Nadir

Jean-Pierre Nadir est un homme d'affaire. Il est le président fondateur du comparateur de vol et de voyages Easyvoyage.

 

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Atlantico Les nombreux attentats et la situation morose de l'économie française semble avoir touché durement le secteur du tourisme. Quels en sont les marqueurs aujourd'hui ? Quels secteurs et régions ont été les plus touchés ?

Jean-Pierre Nadir : Les deux zones les plus touchées sont Paris et la Côte d'Azur. Il s'agit maintenant de savoir si cette baisse n'est liée qu'aux attentats ou s'il y a des éléments plus structurels qui pourraient l'expliquer. Il me semble qu'il y a, malheureusement, un certain nombre de rendez-vous manqués, qui expliquent la situation dans laquelle se trouve le tourisme français. Toutes les grandes réformes que l'on attendait n'ont pas eu lieu : aucun des problèmes de fond n'a été réglé. 

Il y a certes 84 millions de touristes en France, mais en termes de recettes, la France est en quatrième position, juste derrière la Chine. Ce qui est important, c'est la recette dégagée et non le volume de gens qui passent par la France. La France est un pays qui est traversé, plus qu'un pays dans lequel les voyageurs séjournent : ainsi, des Belges, des Allemands, des Anglais, des Hollandais, traversent La France pour aller en Espagne. La recette espagnole est supérieure à la recette française : avec moins de visiteurs, les Espagnols font plus de chiffre d'affaires. Et pourtant, les prix en Espagne  sont plus faibles qu'en France. 

La France, qui a une désirabilité qui est forte, est moins consommée. Les problèmes sont multiples. Tout d'abord, la France manque d'hébergements, notamment d'hôtels trois étoiles. Ainsi, la France a 100 000 chambres d'hôtels de moins que l'Espagne. Ce manque est particulièrement important en région parisienne. 

Deuxièmement, se pose le problème de la sécurité. La sécurité ne se limite pas aux attentats : le phénomène qui gangrène le plus l'industrie touristique, c'est l'insécurité quotidienne, et notamment pour les populations asiatiques. En 2020, il y aura 100 millions de Chinois qui vont voyager dans le monde. Les Chinois sont donc devenus un marché considérable et incontournable pour qui veut développer le tourisme dans son pays. La désertion des Chinois est-elle liée à l'attentat du Bataclan ou à l'agression d'un bus de Chinois, aux pickpockets dans le métro, aux jeunes filles avec des faux sondages qui essaient de voler les affaires des touristes chinois ? Au-delà du terrorisme, qui a eu un impact majeur, il y a tout un tas d'incivilités récurrentes, qui affectent le tourisme. 

Troisièmement, Paris et les grandes villes françaises ont pris du retard dans un contexte de tourisme urbain qui se développe fortement. Des villes comme Amsterdam ou Berlin ont accéléré leur développement touristique (à tel point qu'Amsterdam veut maintenant limiter le nombre de touristes), Londres s'est complètement réinventé avec une offre culturelle extrêmement forte.  Aujourd'hui, les grands concepts de restauration ou hôteliers naissent à Berlin ou à Londres, la "branchitude" est plutôt dans ces villes-là, alors qu'avant Paris était en tête. Le même problème se pose pour le tourisme de la nuit : Paris a complètement perdu la main, alors qu'à Londres, le métro est ouvert 24h/24 tout le week-end. 

Quel a été l'impact des réponses politiques, par exemple l'aide exceptionnelle débloquée pour le Tourisme par Jean-Marc Ayrault cet été ?

Cette aide exceptionnelle est dérisoire! Le tourisme en France, c'est 7% du PIB, soit 155 milliards d'euros. Pour 155 milliards, on met dix millions, ça n'a aucun sens ! Il y a un an, Laurent Fabius avait fixé l'objectif de 100 millions de touristes, pour lequel il avait débloqué 1 milliard d'euros et maintenant on donne 10 millions d'euros pour essayer d'organiser la résistance. Que ce soit 1 milliard ou 10 millions, c'est insuffisant à l'échelle des mesures qui doivent être prises. 

Il faut rappeler que le souci de développer le tourisme en France répond à l'objectif de créer des emplois non délocalisables. Alors que le pays compte aujourd'hui 5 à 6 millions de gens sans emploi, le tourisme a le potentiel de créer un million d'emplois. Le tourisme représente déjà aujourd'hui deux millions d'emplois directs et indirects, auxquels on pourrait ajouter 500 000 emplois induits. 

Plus généralement, que pensez-vous de la décision de François Hollande de rattacher le chargé d'Etat au tourisme au ministère des Affaires étrangères ? 

De Gaulle est le dernier à avoir eu un grand discours, une vraie vision, en matière de tourisme. Dans son discours en 1959 à la Grande Motte, il a défini la stratégie touristique française. On est passé d'une vision touristique avec De Gaulle à une industrie du tourisme, ce dernier étant devenu un levier très important de la croissance et du développement économique.

Le fait d'avoir rattaché le chargé d'Etat au tourisme au ministère des Affaires étrangères sous Fabius me semble une bonne décision : cela a donné un coup d'accélérateur au secteur du tourisme ainsi qu'un poids de la parole ministérielle plus important. En dehors de De Gaulle, le seul à avoir fait du tourisme une priorité nationale, c'est François Hollande. Il y a trois ans, il a eu une fulgurance en faisant du tourisme une grande cause nationale. Il n'y a pas de développement touristique sans vision politique. Le tourisme est la conséquence d'éléments transversaux, qui touchent tous les grands corps de l'Etat. Il faut donc un grand ministre qui porte cela. Est-ce que le ministre des Affaires étrangères est le plus indiqué ? Sans doute que non. Il aurait mieux valu que ce soit rattaché à Bercy, ce qui était le cas auparavant, sauf que ce n'était porté par personne. Il faut donc un grand ministre, dans un grand ministère, ce que l'on avait avec Fabius et que l'on a moins avec Ayrault. 

Quels sont ces mots-clés du tourisme aujourd'hui ?

Indéniablement, il s'agit de sécurité, propreté, shopping, transports, ainsi que l'attractivité de la destination. Cette dernière dépend de nombreux éléments : beauté des paysages, culture, etc. Notre promesse est très faible par rapport à celle de Londres et ne tient absolument pas la comparaison avec celle de New York, avec son programme de sécurité totale et de concession 0. En 15 ans, New-York a su devenir une destination on ne peut plus sûre. Pourtant la ville partait d'un niveau autrement plus bas que le nôtre.

Revenons sur la création d'emploi. L'Espagne a 200 000 hôtels. La France n'en a que 100 000. On considère qu'une chambre d'hôtel génère deux à trois emplois. Ne serait-ce qu'en créant 100 000 chambres d'hôtels de plus, on produirait 300 000 emplois de plus. C'est mécanique. Il est primordial de relancer à fond l'apprentissage. Le tourisme doit avoir une vocation d'éducation, mais aussi d'insertion. Aujourd'hui, nous avons un vrai problème qui s'avère davantage un problème d'éducation que de vocation. Nous n'arrivons plus à insérer des gens qui sont pourtant nés en France. C'est clairement un problème d'éducation. Ce problème d'éducation contribue d'ailleurs à la faillite de l'école à qui on demande de tout faire. Toute entreprise qui embauche un apprenti devrait non seulement ne pas avoir de charges, mais également recevoir de l'argent. Ce faisant, l'entrepreneur accompagne l'entrée dans la vie active – et au fond, dans la vie désormais – de populations jeunes et de chômeurs. Une telle mesure viendrait mécaniquement enrayer le chômage des jeunes. Le tourisme a d'ailleurs une vertu incroyable, puisqu'il est accessible à tous. N'importe qui, peu importe sa formation, est qualifié pour devenir serveur dans un restaurant. Il faut simplement de la bonne volonté et un peu de dynamisme. Et cela ne se limite pas au métier de serveur : il y a plein de petits jobs, du réceptionniste au bagagiste par exemple. Ces emplois de bas d'échelle permettent d'entrer dans le monde du travail et de découvrir le métier. L'ascension y est d'ailleurs assez rapide et permet, pour quiconque se débrouille correctement, de progresser. L'apprentissage dans le tourisme doit impérativement être développé et encouragé.

Pour ce qui est des services, j'aimerais souligner le problème du rapport aux pourboires en France. Dans tous les pays du monde, le pourboire doit être équivalent à 15% de la facture. Parfois, c'est 100% comme aux États-Unis. Or, quand un individu laisse un pourboire, les serveurs sont généralement plus aimables.

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