Top départ du 2e étage de la fusée pacte de responsabilité, ou comment le gouvernement s’obstine dans une politique reposant sur un diagnostic erroné<!-- --> | Atlantico.fr
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Le deuxième volet du pacte de responsabilité est entré en vigueur vendredi
Le deuxième volet du pacte de responsabilité est entré en vigueur vendredi
©REUTERS/Kenzo Tribouillard/Pool

Mayday mayday

Alors que le deuxième volet du pacte de responsabilité entré en vigueur vendredi fait la part belle aux allègements de charges pour les entreprises, les effets à attendre de cette mesure sur l'emploi ou l'investissement sont très faibles, voire nuls.

Bruno Ducoudré

Bruno Ducoudré

Bruno Ducoudré est économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), au sein du département analyse et prévision.

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Atlantico : Ce vendredi est entré en vigueur le deuxième volet du pacte de responsabilité, avec notamment un nouvel allègement de charges (cotisations familiales) pour les entreprises sur les salaires situés entre 2350 et 5100 euros mensuels. Quel effet peut-on attendre de cette mesure ? Se répercura-t-elle sur l'investissement, l'emploi, les marges des entreprises, un autre secteur ?

Bruno Ducoudré : Cette mesure est ciblée sur les hauts salaires (entre 1,6 et 3,5 Smics), concernant des salariés qualifiés. Le premier volet des allègements en 2015 ciblait notamment les emplois peu rémunérés dans les services, la construction, etc. Ce volet sera plus centré sur l'industrie, le secteur exportateur et les emplois qualifiés.

Sur l'emploi, les effets à attendre de cette mesure sont faibles. Cet allègement est ciblé sur les hauts salaires, là où l'élasticité de l’emploi au coût du travail est considéré comme étant plus faible. Une baisse du coût du travail à ces niveaux de rémunération aura donc un effet moindre sur l'emploi.

En revanche, on peut s'attendre à ce que cela se répercute un peu plus sur les salaires. Sur ce segment du marché du travail, le taux de chômage est plus faible. Le pouvoir de négociation des salariés pour obtenir des augmentations afin de capter une partie de ces allègements pourrait être un peu plus important.

Globalement, on observe dans nos simulations avec le modèle macroéconométrique de l’OFCE pour l'économie française qu'à court terme, cela va davantage se répercuter sur les marges des entreprises. A moyen terme, on s’attend à une baisse des prix des entreprises, qui répercutent en partie la baisse des coûts sur leur prix de vente. Les marges des entreprises étaient déjà bien rétablies ces derniers trimestres, et ce volet du pacte va renforcer cette amélioration. Cela favorise les conditions du financement de l'investissement, mais le taux de marge des entreprises n'est pas le principal déterminant de l'investissement en France, qui est d’abord sensible aux perspectives de débouchés. Par ailleurs, les délais de réponse de l'investissement au taux de marge sont plutôt longs : il faut du temps pour que cela ait un effet.

Plus généralement, les politiques de baisses de charges sont-elles adaptées au contexte économique actuel ?

Si l'on regarde uniquement l'économie française, la réponse est plutôt non. Les entreprises souffrent d'abord d'un déficit de demande. C'est la fameuse question du carnet de commandes, qui est le déterminant principal de l'investissement et de l'embauche dans les entreprises. Tant que les carnets de commande ne sont pas regarnis, vous pouvez baisser le coût du travail, ce n'est pas cela qui va relancer l'activité et faire baisser le chômage.

Si l'on prend une perspective plus européenne, nos principaux concurrents sur les marchés internationaux sont nos partenaires européens. Or, eux ont mené ou mènent ce type de politiques (baisse de charges massive en Italie, flexibilisation du marché du travail en Espagne, baisse des salaires minimums dans plusieurs pays du sud, etc.). Toutes ces mesures visant à obtenir des gains de compétitivité par une baisse du coût du travail dans ces pays vont impacter directement notre compétitivité à nous, car notre position se dégrade et nous sommes donc contraints de faire la même chose pour maintenir la compétitivité de notre économie. C'est une position défensive, mais ce n'est pas cela non plus qui va améliorer la situation. D'une part, on ne fait que maintenir ou améliorer légèrement notre compétitivité par rapport à nos concurrents, et d'autre part le fait de faire cela tous en même temps dégrade la demande globale dans la zone euro, les baisses de salaires affaiblissant le pouvoir d’achat et la consommation. Or, l’Union européenne est assez peu ouverte vers l'extérieur (on importe beaucoup en provenance de nos partenaires européens,qui sont aussi le principal débouché pour nos exportations). Le fait de peser sur la demande interne de chacun des pays a donc plutôt tendance à freiner la croissance.

Certains députés de gauche estiment qu'une partie de l'argent alloué à cette disposition devrait être dirigée vers les ménages et les collectivités locales. Est-il juste de considérer que les gestes adressés aux entreprises par François Hollande ont été suffisamment nombreux ? Avec quels effets ?

Si l'on jette un regard sur ce quinquennat, on constate qu'il y a eu un certain nombre de mesures prises en faveur des entreprises, notamment avec le CICE et le pacte de responsabilité. 41 milliards d'euros de transferts en faveur des entreprises, cela ne s’est jamais vu dans le passé. C'est un plan massif d'aides aux entreprises.

Pour ce qui est des ménages et des collectivités locales, tout d'abord, il faut avoir à l’esprit la contrainte budgétaire forte qui pèse sur les finances publiques, avec une réduction des déficits imposée par les traités européens qui engagent la France vis-à-vis de ses partenaires. Lorsque nous effectuons des transferts massifs aux entreprises, nous augmentons l'effort global d’ajustement à faire, et cet effort s’est reporté massivement sur la dépense publique et sur la fiscalité des ménages. Cette dernière a été très fortement augmentée, et le financement des collectivités territoriales a aussi été progressivement contraint ces dernières années, ce qui explique pour partie la baisse de l'investissement public à l'échelon local.

Or, baisser l'investissement public a un impact négatif fort et rapide sur l'activité et une augmentation de la fiscalité des ménages a un impact négatif sur leur consommation.

Le Gouvernement a fait le choix d’un transfert massif vers les entreprises, mais sur des mesures qui ne permettent pas de redémarrer rapidement l'activité. Les entreprises ont besoin que les carnets de commande se remplissent, mais une fiscalité plus lourde sur les ménages a pesé sur la consommation et donc les carnets de commande... Cet effet de bascule a globalement freiné l'activité économique.

Ce choix est donc plutôt un choix de moyen-long terme pour restaurer la compétitivité des entreprises. Il comporte une large incertitude sur l’ampleur de l’effet à attendre sur l’economie francaise, puisqu’il dépend largement de la réaction de nos concurrents. Par contre à court terme, cela a indéniablement pesé fortement sur l'activité économique.

Est-il possible aujourd'hui de dresser un premier bilan du pacte de responsabilité et d'en mesurer réellement les effets, indépendamment de la baisse du pétrole et de la baisse de l'euro qui y ont été concomitantes ?

C'est effectivement assez compliqué. Au niveau macroéconomique, tous ces chocs agissent simultanément par différents canaux sur l'économie française. La baisse de l’euro a contribué à rétablir la compétitivité-prix des entreprises vis-à-vis de nos concurrents hors de la zone euro. La baisse du prix du pétrole a largement contribué au rétablissement des marges des entreprises. L'évaluation du pacte est aussi compliquée compte tenu du fait qu’une baisse des cotisations des entreprises n’a pas un effet immédiat sur l’emploi. Il faut attendre que l'emploi s’ajuste à la baisse des coûts et l'ajustement peut s'étaler sur plusieurs trimestres. On peut ainsi encore attendre en 2016 des effets des allègements de 2015. Par ailleurs, plusieurs mesures du pacte entrent seulement maintenant en vigueur avec notamment ce deuxième volet représentant 4,5 milliards d'euros. Il faudra attendre deux ou trois ans pour espérer pouvoir mesurer les effets de ce volet-là. Enfin, il y a aussi les mesures qui sont prévues pour 2017 (baisse de l'impôt sur les sociétés, suppression de la C3S).

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