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Thomas Piketty, l'anti-Friedman qui ne fait peur à personne
©JOEL SAGET / AFP

Nouveau livre

Sur la question du fond, Thomas Piketty ne fait quasiment pas d'analyse économique. La valeur ajoutée de cette somme sont les données, issue d'une œuvre d'historien et de sociologue politique. Thomas Piketty ne parle jamais de monnaie.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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"Capital et idéologie" le nouveau livre de Thomas Piketty s'intéresse au traitement des inégalités et au discours les justifiant. 

Alors que son livre précédent "Le capital au XXIème siècle" avait été un succès mondial, comment jugez-vous "Capital et idéologie" à l'aune de son œuvre ?

Je ne suis pas un adepte de Piketty. Je n'aime pas la façon dont il rédige, dont il pense et ce qu'il préconise. Sur la question de la forme, les 1200 pages sont ennuyeuses et barbantes, ce qui est un peu gênant au vu du caractère assez brillant de l'auteur. C'est souvent très descriptif et je ne sais pas comment le public peut avaler autant de pages ennuyeuses. Je pense que les gens achètent Piketty mais je pense que personne ne lit Piketty. 

Sur la question du fond, il n'y a quasiment pas d'analyse économique, ce qui est tout de même gênant. La valeur ajoutée de cette somme, ce sont les données, plus longues, plus profondes. Il y a un vrai travail sur ce point, c'est une œuvre d'historien et de sociologue politique. Mais l'analyse économique est elle-même très limitée. La description des mécanismes économiques est très légère.

Sur le point des préconisations, ce qui me dérange c'est que lorsqu'on lit du Piketty, on accepte qu'à la fin, cela va se terminer de la même façon depuis 20 ans, c’est-à-dire sur de la mécanique budgétaire et fiscale. Il rajoute là de la dynamique réglementaire : une sorte de propriété plus sociale des moyens de production. Il va plus loin que d'habitude dans ses préconisations mais il n'y a jamais rien de monétaire.

C'est magnifique avec Piketty sur ce point, on peut faire tout un constat sur le 19ème siècle qui est le siècle des inégalités sans parler de l'étalon-or. On va parler des inégalités aujourd'hui mais pas sous l'angle d'un régime monétaire qui singe l'étalon-or. Non, pas de dévaluation, pas de changement du cadre, de la politique ou du régime monétaire. On fait donc du Piketty : on se concentre sur ce que les gens peuvent comprendre le budgétaire et le fiscal. 

Piketty nous dit – sans le dire - que chaque fois qu'il y a un régime où il n'y a pas d'inflation on a une montée foudroyante des inégalités de patrimoine mais ensuite pour réduire les inégalités de patrimoine on ne va pas s'occuper de la question de l'inflation, du régime monétaire, de la possibilité de dévaluer…

Piketty c'est de l'anti-Friedman, tout est idéologie, tout est sociologie et maintenant juridique. Il s'attaque à l'ordre capitaliste garanti par le droit traditionnel. Cependant, pas question de s'attaquer aux banques centrales ! Il pense qu'on va pouvoir réduire les inégalités du 21ème siècle avec un régime monétaire qui singe simplement l'étalon-or. 

C'est ainsi que je comprends son livre, le tout accompagné d'un gros appareillage statistique avec tout de même de très bonnes pages. 

Dans son traitement des inégalités, Thomas Piketty s'intéresse particulièrement au 19ème siècle, qu'il décrit comme étant le plus grand responsable de l'accroissement des inégalités. Souscrivez-vous à son constat et à son analyse des causes qu'il met en avant ?

C'est amusant de voir que le constat le plus saillant qu'il puisse faire reste tout de même qu'il y a plus d'inégalités en France en 1914 qu'en 1815. Tout le 19ème siècle est un siècle de diffusion non pas de diffusion d'une petite propriété suite à la Révolution française mais un siècle de montée foudroyante des inégalités à un point considérable et il ne fait pas le lien avec le fait que la réduction des inégalités qu'il y a eu entre 1914 et 1945 c'est avant tout l'inflation et le débasement de la monnaie.

Concernant ce constat, ce qui me gêne c'est que tout n'est pas étroitement comptable. Piketty peut avoir raison dans l'idée qu'il y a une plus grande différence de patrimoine en 1914 qu'en 1815. Pourquoi pas, mais d'un point de vue purement chiffré. Or tout n'est pas que dans les chiffres. Par exemple la France de 1900 est par bien des côtés est bien plus douce que celle de la Révolution ou des deux Empires. Je sais que Piketty a fait ses devoirs d'un point de vue comptable mais cela ne signifie pas que la société est réellement plus inégalitaire au sens où lui l'entend, à savoir qu'inégalité est égale à injustice. 

Je pense qu'effectivement il y a plus d'écart en 1914 qu'en 1815 mais dans une société plus riche, qui a déjà passé de nombreuses lois sociales et où les syndicats sont sans doute beaucoup mieux tolérés. On ne peut pas mesurer parfaitement une France rurale et une France qui commence à s'urbaniser, tout n'est pas étroitement chiffré : je ne pense pas que dans la France de 1920 les inégalités les plus injustes et saillantes soient les inégalités monétaires ou patrimoniales… Je pense qu'il amalgame trop inégalité et injustice.

Vous soulignez que Piketty s'oppose aux idées de Milton Friedman. Vous semble-t-il balayer la pensée de Friedman de manière générale ?

De manière directe il parle en fait très peu de Friedman. Il ne l'attaque que sur de petits à-côté comme le Chili de Pinochet, sur le fait qu'il pensait que l'euro ne se ferait pas… Mais c'est hors-contexte. On ne s'attaque pas à l'œuvre de Friedman dans le sens où on ne s'attaque pas à l'histoire monétaire des Etats-Unis en 1962 ou à ses très bons livres puisque de toute façon c'est du très costaud. 

C'est surtout au niveau méthodologique qu'il est anti-Friedmanien. C'est quelqu'un qui met systématiquement en avant les aspects budgétaires et fiscaux mais ne va jamais parler de la monnaie. Il est capable de parler de l'année 2008 sans jamais parler des banques centrales. Il fait partie de ces gens qui sont capables de démonétariser totalement les sujets. Ils vont évoquer vaguement le fait que très curieusement les périodes d'accroissement des inégalités sont comme par hasard des périodes où il n'y a pas d'inflation alors que les périodes où les patrimoines évoluent sont des périodes d'agitation monétaire. Ils veulent bien en parler mais pas en inférer quoi que ce soit, ils ne s'attaqueront jamais aux banquiers centraux. 

En réalité, le problème de Piketty et des gens du même courant est que fondamentalement ce sont des keynésiens, mais pas celui de Keynes. C'est un keynésianisme de synthèse qui considère qu'il faut agir dans un moment de grande crise avec des armes qui sont par exemple les grands travaux ou une fiscalité plus progressive, mais pas via la monnaie.

J'ai lu récemment "Dette : 5000 ans d'histoire" de David Graeber, un très bon livre sur la remise des dettes  qui traite de cette capacité qu'ont les classes supérieures à refuser toutes les remises de dette. En lisant Piketty à la lumière de Graeber, je me suis dit que Graeber est plus intéressant, mieux écrit, beaucoup plus original et se termine par des préconisations beaucoup plus radicales. Piketty, à part appeler à une sorte de socialisme du 22ème siècle ou appeler à encore plus de progressivité sur l'impôt sur le revenu, ne préconise pas grand-chose.

Piketty ne propose rien à la hauteur des enjeux. Ses idées seront refusées en bloc : l'idée qu'on va obliger les entreprises à détenir 50% de syndicats dans les conseils d'administration, ça n'a pas marché en Allemagne, ça ne sera pas exporté ailleurs. Son économie mixte me fait doucement rire. C'était le slogan de deux hommes politiques qui ont fait mal à la France : Philippe Pétain et François Mitterrand.  

Thomas Piketty ne dérange en réalité personne. Lorsqu'on a fini son livre, on se demande qui il a attaqué… Les riches ? Si je suis riche je ne suis pas effrayé par ce que dit Piketty : sa coordination mondiale ne réunira jamais tous les pays, sa cogestion ne fera pas peur à beaucoup de capitalistes. S'il avait parlé de remise de dette, il aurait fâché tous les banquiers. S'il s'était attaqué au cocotier monétaire, il se serait attaqué à ceux qui ont vraiment du pouvoir : les banquiers centraux. 

Je trouve au final qu'il manque à Piketty du souffle, que ce soit au niveau littéraire ou des propositions. On voit que c'est au final une sorte de statisticien de luxe et un sociologue à la française. Mais ça n'est pas un philosophe façon Karl Marx, ni un véritable économiste comme Milton Friedman.

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