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Thierry Lepercq : "La lutte contre le changement climatique souffre de l'incapacité des dirigeants à concevoir et à mettre en œuvre des solutions qui soient à la fois radicales et viables économiquement et socialement"
©YOAN VALAT / POOL / AFP

Révolution verte

Dans "Mégavagues - Scénario pour un monde post-carbone" (éditions Dunod), Thierry Lepercq analyse les menaces et les grands chantiers liés au dérèglement climatique et montre pourquoi il est si difficile de changer de cap.

Thierry Lepercq

Thierry Lepercq

Thierry Lepercq dirige l'opérateur d'énergie photovoltaïque Solairedirect.

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Atlantico : Vous publiez « Mégavagues - Scénario pour un monde post-carbone » aux éditions Dunod. A l’heure de la pandémie et des théories des collapsologues, vous analysez à travers différents spectres les menaces et les grands chantiers liés au dérèglement climatique, aux questions de l’énergie, de la démographie, de l’écologie ou bien encore de l’hypermétropolisation. Pourriez-vous revenir sur les principales « mégavagues » et sur ce concept ? Quelles seraient les mesures concrètes pour relever ces défis ? Lesquels seraient les plus urgents « à traiter » selon vous ?

Thierry Lepercq : Mégavagues est né du questionnement qui est le mien comme citoyen et dirigeant d’entreprise, frustré par la navigation à vue de nos leaders politiques et économiques et la prospective idéologique et mortifère dont la collapsologie nous abreuve. Je voulais avoir un éclairage à la fois quantitatif et systémique sur les tendances majeures qui vont façonner le monde dans les décennies à venir. J’ai choisi de suivre la méthodologie du Club de Rome qui, dans un rapport retentissant publié il y a un demi-siècle (Les limites à la croissance), a pour la première fois su décrypter les défis démographiques économiques et écologiques auxquels est confrontée l’humanité. Mégavagues prend le même parti en se focalisant sur 5 phénomènes structurants : le changement climatique (et son emballement exponentiel), l’énergie (avec la fin inévitable des combustibles fossiles), la démographie (avec la chute des naissances à l'échelle mondiale), l’environnement naturel (avec le déclin de la population rurale et des terres cultivées) et enfin l’hypermétropolisation (concentration de la population dans les métropoles). Mon point de vue d'entrepreneur est qu’on ne peut s’arrêter à l’analyse et lever les bras au ciel. Il faut aussi dessiner un plan d’action et surfer ces mégavagues avec détermination : se préparer à la montée des températures et du niveau des océans, accélérer la sortie des combustibles fossiles avec l’hydrogène renouvelable, promouvoir en Afrique la transition démographique avec l’urbanisation et l’éducation des filles et préparer ailleurs la « vie de 100 ans », mettre en œuvre partout des actions de réensauvagement de la nature et enfin, construire des hypermétropoles offrant la meilleure qualité de vie possible au plus grand nombre. Le plus important de ces défis est sans aucun doute la sortie urgentissime des combustibles fossiles, qui conditionne la survie même d’un grand nombre d’espèces dont la nôtre. La montée en puissance fulgurante de l’hydrogène et sa course effrénée à la compétitivité sont à cet égard un signal très encourageant.

Alors qu’Emmanuel Macron s’est impliqué sur les questions environnementales dans le cadre de la Convention Citoyenne pour le climat, comment expliquer le brouillard dans lequel se trouvent la classe politique et les acteurs économiques sur ces sujets ? Est-ce uniquement un problème de méthode, de vision, de moyens ou de courage politique ? 

Nos dirigeants sont bombardés en permanence de rapports prospectifs de la part de think tanks, d’organisations internationales et de consultants, qui sont censés guider leur action. Dans la grande majorité des cas, ces rapports sont conçus pour rassurer ceux qui les ont commandités ou financés, en confortant leurs décisions (ou non-décisions). Prenons l’exemple de la sortie des combustibles fossiles. C’est pourtant une évidence : il y a une équivalence presque parfaite entre la consommation de ces combustibles et les émissions de gaz à effet de serre. Avez-vous connaissance d’un seul rapport qui préconise à ces dirigeants une sortie très rapide des énergies fossiles ? Non, et la croissance ininterrompue de ces énergies depuis les grandes envolées de la COP 21 (sauf en 2020 pour les raisons qu’on connaît) en est l’illustration amère. Pourquoi ? C’est la résultante de plusieurs facteurs : un horizon de temps qui est devenu ultra court-termiste chez tous les décideurs, le souhait de ne pas contrarier des intérêts puissants, l’espoir que les choses finiront par s’arranger d’elles-mêmes, la crainte de se mettre à dos des pans entiers de la population (façon gilets jaunes) et surtout une incapacité à concevoir et à mettre en œuvre des solutions qui soient à la fois radicales et viables économiquement et socialement. Dans le cas de la Convention Citoyenne, ma question est simple : quelqu’un a-t-il mesuré l’impact de chacune des mesures concernées sur la consommation française de combustibles fossiles ? Je n’en suis pas sûr, et les résultats seraient probablement bien minces.

La prévision est-elle la notion maîtresse pour arriver à concilier une bonne gouvernance et pour arriver à limiter notre impact sur la planète ainsi que dans les différents domaines et secteurs clés que vous analysez dans votre ouvrage ? 

La prévision est un art incertain et dangereux - et le nombre de blagues à l’égard des prévisionnistes est à juste titre très fourni. C’est aussi une notion maîtresse comme vous l’indiquez, à trois conditions : elle doit s’appuyer sur une solide analyse historique. Les tendances ne sortent pas de nulle part : elles sont enracinées dans le passé. Elle doit aussi s’appuyer sur la donnée : je crois en son absolue primauté - et c’est d’ailleurs le fil rouge de Mégavagues. Enfin la prévision doit être articulée sur l’action : c’est cela qui lui donne du sens. Une prévision “gratuite” n’a pas beaucoup de poids. Une prévision qui est aussi un plan d’action, c’est autre chose : c’est Jean Monnet avec le Commissariat au Plan et la construction européenne, une vision transformatrice. Nous avons besoin de retrouver ce souffle, avec de l’audace, toujours de l’audace... C’est comme cela que nous pourrons surmonter les défis climatiques, énergétiques, démographiques, environnementaux et urbains.

Quels seront les principaux défis à relever face à la « mégavague » de la crise sanitaire, de la pandémie pour le monde d’après ainsi que sur le plan environnemental, démographique et énergétique ? 

Le principe d'une mégavague est qu'elle vient de loin, du bout des océans - ou des décennies. Pour filer la métaphore marine, la crise sanitaire s'apparente plutôt à une "vague scélérate", une vague très haute, soudaine, qu'on ne voit pas venir et - normalement - très rare. Une telle vague peut vous emporter, mais aussi accélérer votre route. Dans le cas d'espèce j'y vois plutôt un aspect positif - en tablant sur le fait que les vaccins nous débarrassent au plus vite de la pandémie. Je suis fasciné de voir comment nous avons fait en quelques mois un bond d'une décennie, par exemple dans les pratiques numériques des entreprises. Le même phénomène se retrouve dans la perception du changement climatique et de la sortie des combustibles fossiles : regardez comment les valeurs pétrolières se sont effondrées et le cours des acteurs de l'hydrogène a explosé depuis un an ! Comme le dit un grand hebdomadaire anglo-saxon dans sa livraison de cette semaine, il n'est pas impossible que, comme il y a un siècle, une pandémie gravissime ouvre une décennie "rugissante". J'en fais le pari, et suis convaincu que nous parviendrons à surfer avec succès les mégavagues que je décris dans mon ouvrage.

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Thierry Lepercq publie "Mégavagues - Scénario pour un monde post-carbone" aux éditions Dunod

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