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Comment Luc Besson
se shoote à ses héroïnes
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The Lady

Dans The Lady qui sort ce mercredi, Luc Besson filme la vie d'Aung San Suu Kyi, l'opposante à la junte birmane. Mais à travers ce portrait, il raconte, comme dans tous ses précédents films, la femme qu'il fantasme dominant l'homme par sa pureté et son innocence. Retour sur les héroïnes filmées par le réalisateur français.

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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Le Courrier international, n°1079, du 7 au 12 juillet 2011 nous informe que 18 pays dans le monde sont dirigés par une femme. Analyse à courte vue. Il y a plus de femmes dirigeantes qu'il n'y paraît pour la simple raison que les femmes ont largement la main sur notre imaginaire. C'est très apparent chez le cinéaste Luc Besson, apôtre du cinéma français avec Mathieu (Kassovitz), Jean (-Jacques Anaud) ou Marc (Dorcel) et dont l'enfance, comme Saint Luc, fut grecque.

La figure de la femme frêle dans un monde d'hommes brutaux, dans son œuvre, est bien connue. C'est son Christ, son sujet qu'il peint et repeint, à qui il donne différents visages, qui portent cette sainte fragilité. En énorme pistolet comme un pénis en bandoulière dans Léon (1994) ou une épée sur dimensionnée qu'elle manie bientôt expertement dans Jeanne d'Arc (1999). L'apprentie nettoyeuse comme la bonne Lorraine sont désignées, destinées à être quelque chose de central, de rédempteur.

Dans Le Cinquième Elément (1997), une Milla Jovovitch pour qui l'adjectif "évanescent" semble conçu, porte seule sur ses épaules garçonnes le destin de la planète... avec en contrepoint la cantatrice à tentacules jouée par Maïwenn, grande et bleue. "Tu souffres en silence, incomprise de tous, / Ô noble vie !", écrivait le poète allemand Hölderlin d'une Diotima qu'il voulait par son chant "mettre au rang / Des héros et des dieux". Luc Besson prolonge cette quête mystique d'une femme idéale, ectoplasmique, victime innocente et surnaturelle qui ne mérite pas un monde si vil et par qui un monde si vil ne mérite pas d'être fréquenté.

Le Grand Bleu (1988), film dans lequel on ne trouve pas de personnage féminin marquant, ne fait pas exception à cette portée en gloire. Bien au contraire : exploration du liquide, retour aux sources pour l'amniotique Jean-Marc Barr. Le personnage féminin, c'était lui et non la fluette Rosanna Arquette, pour contraster avec l'über-viril et rembruni Jean Moreno, alias Reno. "World champion" combattif à l'excès (et dans l'excès, de spaghetti, de vin, de femmes) mais vaincu par l'élément aqueux. C'était la solution, le grand fantasme du Grand bleu : plonger, c'est devenir dauphin, devenir dauphin c'est vouloir se faire femme afin d'avoir sa légèreté. Jean Reno le myope avait beau réclamer « Roberto, mio palmo », son yogi neurasthénique d'adversaire le surclassait toujours en vision. A lui revenait la palme du meilleur humain à queue de poisson. Autrement dit : une sirène.

A l'époque, la critique avait trouvé trop salé ce Moby Dick new age qui, plus que de la femme, faisait l'éloge du féminin. Film d'une génération, a-t-on dit. Plus paresseuse, complaisante et dégénérée que la précédente... comme à chaque nouvelle génération. C'est le film du retour au ventre maternel. Il n'est que d'écouter la bande son moelleuse et cétacée d'Eric Serra pour en prendre conscience.

The Lady : la féminité ultime "made in Besson"

Avec The Lady, nous sommes dans le contexte de la dissidence birmane. Icône adulée, son portrait rayonne sur les affiches collées partout par ses "sympathisants". De fait, comment susciter la sympathie mieux qu'avec Aung San Suu Kyi, la "dame du lac" récipiendaire du Prix Nobel de la Paix, canonisée de son vivant ? De même, il y a dans le visage doré et égal de l'actrice Michelle Yeoh quelque chose qui rappelle les images de femmes pures, sculpturales, réalisées par les artistes depuis toujours.

The Lady s'annonce comme le portrait d'une femme martyre, une sainte qui concentre toutes les vertus louables aujourd'hui. Vertus judéo-chrétiennes vêtues d'habits laïcs : sens du sacrifice, don de soi, dévouement à un idéal, culte du peuple... Notre imaginaire profane ne manque pas de martyres. Prisonnières des monstres (Moyen Âge), des châteaux du roman gothique (XVIIIe), de leur propre fragilité sentimentale, de leurs rêves puis des conventions sociales (XIXe et XXe) : la femme est toujours à libérer. Prisonnière dans un pays plus isolé qu'une île, c'est bien ce thème qu'incarne à nouveau le personnage d'Aung San Suu Kyi.

Pour que sa perfection n'effraie pas, l'Histoire comme l'histoire l'affublent d'un mari. Car enfin, la dureté du politique froid et rationnel, la violence, la guerre, le Bien objectif sont étrangers aux femmes. Selon Simmel dans Philosophie de l'amour (1922), les femmes "ont, plus fortement que les hommes, le caractère de la fluidité [...] C'est là un des reproches banals qui leur est adressé : elles n'auraient aucune objectivité, leur dévouement n'irait jamais à un objet ou à une idée, mais en dernière instance toujours à une personne, donc à une réalité temporelle et en quelque sorte ponctuelle".

The Lady, avant d'avoir le sens de "femme supérieure" qu'on lui connaît, vient joliment du vieil anglais "hlæfdige", "celle qui façonne le pain". Simmel reprend à son compte une idée frappante et désuète : et si, tout comme le juge façonne le droit, l'enseignant façonne l'élève, l'artiste façonne son matériau, la femme façonnait l'âme masculine plus, bien plus, que le contraire ? Féminité organique contre monde masculin atomisé, c'est peut-être de cela dont l'impénitent Luc nous raconte l'évangile.

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