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Terrorisme et ressentiment anti-français : comment dépasser ce passé (colonial) qui ne passe pas
©Reuters

Causes et conséquences

L’analyse du profil des terroristes qui ont frappé la France ces dernières années dévoile une conjonction de plusieurs paramètres qui vont pousser au passage à l'acte. Parmi ces paramètres, un des critères récurrents s​erait une origine d'Afrique du Nord.

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren, historien, est président du Laboratoire d’analyse des ideologies contemporaines (LAIC), et a récemment publié, On a cassé la République, 150 ans d’histoire de la nation, Tallandier, Paris, 2020.

 

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Claude Robert

Claude Robert

Après des études supérieurs d’Arts Appliqués et de Sciences Humaines, un Master et un mémoire de DEA de Marketing et différents postes à responsabilités dans les domaines des études de marché, du marketing et de l’audit opérationnel, Claude Robert est actuellement consultant international en organisation. Il a exercé à ce jour dans près d’une trentaine de pays aux environnements politiques, ethniques et religieux les plus variés.

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Atlantico : Au regard des profils des "terroristes"​ qui ont frappé la France au cours de ces dernières années, il apparaît qu​'un critère récurrent s​erait une origine d'Afrique du Nord, ​et plus spécifiquement des ancienne​s​ colonie​s ou protectorat​s français. Que révèle ce fait sur l'analyse des causes du terrorisme ​en France ? Et quelles sont les "causes " que cet élément permet de minorer ?

Claude Robert : Il est difficile de tirer des conclusions universelles mais le fait est que l’analyse du profil de l’ensemble des terroristes qui ont frappé sur le sol français depuis l’affaire Merah montre qu’il y a une conjonction de plusieurs raisons au passage à l’acte. Parmi celles-ci, l’origine d’Afrique du Nord, principalement Maghreb, à l’exception du Mali. Comme le profil de ces terroristes est typique, stéréotypé, il est évident que nous avons affaire à un phénomène multi-causal. Et l’origine géographique semble de toute évidence faire partie des dimensions importantes. Etant consultant international, et pour avoir travaillé dans plus d’une vingtaine de pays (dont plus de la moitié en Afrique), je suis frappé de la vitesse à laquelle, juste en arrivant dans une "ancienne colonie" ou un "ancien protectorat", le comportement des gens à l’endroit des Français trahit instantanément la qualité de l’historique qui les lie à l’hexagone. A la réaction des gens dans la vie quotidienne, très vite, il est facile de déterminer si cet historique a été "digéré", accepté, s’il est considéré comme positif, s’il est encore mêlé de ressentiment, ou carrément s’il est vécu sur le mode amour/haine. Car il existe bel et bien un contentieux avec certains pays, et l’origine très localisée des terroristes n’est vraiment pas surprenante. Mais ce n’est bien évidemment pas le seul critère, car ce processus de passage à l’acte semble très complexe, hélas…

Pierre Vermeren : J'ajouterai une autre caractéristique : la quasi-totalité d'entre eux ont pratiqué d'une manière ou d'une autre la délinquance. Et dernière caractéristique : ils sont très souvent issus de milieux très défavorisés et en situation sociale périlleuse. On est très loin des ingénieurs qui ont préparé et réalisé le 11 septembre, qui étaient des Égyptiens ou des Saoudiens de milieux familiaux plutôt aisés et de milieux culturels plus élevés. C'est un profil radicalement inverse. Ce sont des enfants d'immigrés de 2e ou 3e génération, très pauvres… qu'il ne faut pas confondre avec les recruteurs.

C'est une erreur assez commune. Avec de tels profils, de personnes ignorant l'islam voire ignorant la culture arabe et qui n'ont la plupart aucun accès à la langue arabe à part quelques bribes d'arabe dialectal, on peut constater la fausse route empruntée par l'idée de la déradicalisation. Car il y a ignorance de la religion mais en revanche une manipulation par de bons connaisseurs – gourous ou idéologies salafistes On confond ici la cause, qui est l'Islam politique révolutionnaire au Moyen-Orient et Maghreb, et ses dérives, avec le matériau humain qui est utilisé et manipulé et a une autre histoire, celle de la délinquance, de la pauvreté, de la drogue, celle des origines familiales, l'absence de culture etc.

La question de l'origine des terroristes me semble être une fausse route. Les jeunes musulmans en France sont quasiment tous originaires du Maghreb  (Algérie, Tunisie, Maroc). Cela reflète la population des banlieues en France. Il y a quelques exceptions avec Amedy Coulibaly qui est originaire du Mali. On trouvera peut-être un Comorien ou un Turc, mais la masse restera maghrébine dans des pays comme la France, la Belgique, l'Espagne ou les Pays-Bas où ils sont majoritaires. Et on voit d'ailleurs qu'en Angleterre, où l'immigration musulmane est majoritairement issue de l'Inde et du Pakistan, ce sont des personnes issues de ces pays qui passent à l'acte.

Les gens qui construisent ces réseaux ou qui les manipulent agissent en opportunité. Ils savent très bien que ces jeunes en difficulté sociale, matérielle, facilement manipulables sont à disposition pour eux. Ils en font des bombes humaines ou autres.

Le critère de "2e génération" est également très fortement représenté par les terroristes. Comment expliquer ce décalage avec les premières générations ? Quel est l'objet de la rupture, spécifiquement sur l'origine de ces personnes de "2e génération"?

Pierre Vermeren : Le monde a changé tout d'abord, et par là le djihadisme post guerre froide  est né en Algérie dans les années 90. Le djihad commence en 92 et avant cela ce n'existait pas sous sa forme actuelle. Merah est un des premiers de sa génération. Il y avait des militants de gauche, démocrates, berbèristes, ou islamistes bien-sûr, mais ils ne pratiquaient pas le djihadisme révolutionnaire. Ce modèle a été inventé au début des années 90. À partir des années 2000, on a vu un islam mondialisé, grâce aux télévisions du moyen orient qui ont diffusé à tous les images des guerres du Moyen-Orient, y compris les images les plus atroces, les plus manipulées.

Il y a eu ensuite les téléphones portables puis les réseaux sociaux qui ont donné à portée de tous le fait non seulement d'être spectateur voire acteur, et de rentrer en discussion avec des recrues ou des recruteurs partout dans le monde sans être nécessairement en contact direct. Les parents n'avaient ni le contexte historique ni l'accès à la technologie. Et vraiment, quand on parle de mondialisation, on voit bien qu'on est sur des modes de fonctionnement transnationaux. Dans les années 80, il n'y avait presque pas d'imam en France, et il y a maintenant quantité d'imams auto-proclamés ou de faux-imams manipulateurs qui eux aussi sont un fruit de la mondialisation puisque presque tous sont venus directement de l’étranger (contrairement aux immigrés d’avant qui venaient pour travailler et accumuler un pécule).

Claude Robert : Il est facile de comprendre que la première génération a fait un choix, elle a pris le temps et a fait les sacrifices nécessaires pour changer d’environnement culturel. Cela lui a coûté beaucoup mais encore l’a-t-elle fait de façon volontaire. C’était son choix. Si cette intégration se déroule bien, ce qui est le cas dans la grande majorité des cas, les enfants vont bénéficier d’un nouveau cadre de vie dans lequel l’acculturation nécessaire leur sera tout d’un coup beaucoup plus facile. Mais si cette intégration, ce changement d’environnement culturel ne s’est pas correctement déroulé, il est aisé d’imaginer que ce sont les enfants qui vont en faire les frais. Surtout s’ils sont mâles, issus d’une importante fratrie, avec une situation familiale tendue, et une autorité parentale défaillante…  Il est clair que le processus d’intégration des populations d’Afrique du nord paraît moins facile que celui des populations asiatiques ou européennes par exemple. Les Africains ayant fait le choix de venir en France ont certainement affronté des difficultés importantes sur le plan culturel, ethnique, financier, statutaire. Rien ne garantit que ce processus d’assimilation ou d’insertion fonctionne chaque fois parfaitement. Si jamais ce processus s’est opéré au prix de l’équilibre et de l’autorité familiale, il est évident que le risque de passage à l’acte chez la génération suivante se trouvera accru de façon très significative. C’est ce que semble démontrer ce profil de terroristes si stéréotypé…

Quelles seraient les pistes à suivre pour éradiquer ce processus ? 

Claude Robert : Ce problème de terrorisme semble cristalliser ce que les ethnologues nomment la "distance culturelle". Après avoir passé beaucoup d’énergie à ne jamais stigmatiser les différences entre cultures, Claude Levy Strauss a avoué sur la fin de sa vie qu’il existait des cultures avec lesquelles il était bien plus difficile de vivre car elles s’avéraient très différentes de la nôtre sur des dimensions non négociables. Le respect de la vie, le respect d’autrui, l’égalité homme-femme, la place de la religion, du corps, tout cela constitue un ensemble de dimensions sur lesquelles il n’est pas facile de tergiverser. A la lecture du profil des terroristes, ils semblent qu’à un moment donné, ces enfants de la seconde génération se sont rendu compte qu’ils ne feraient jamais jeu égal avec leurs semblables. Car l’échec scolaire des mâles va bien au-delà de simples notes sur les carnets et de parcours professionnel « au rabais ». C’est tout l’orgueil qui est blessé chez ces français d’adoption car nous ne pouvons leur proposer qu’un parcours « de seconde zone », des « demi-réussites », un « statut symbolique diminué »… D’ailleurs, en plus de cette fameuse « distance culturelle », et à cause d’elle justement, ce phénomène terroriste semble également cristalliser en France la médiocrité de l’enseignement primaire et secondaire. Si l’école était adaptative et savait proposer un vrai parcours culturel et professionnel à la mesure de ces personnes issues de cultures très différentes de la nôtre, sans doute l’exclusion scolaire serait moindre, et permettrait une insertion sociale plus facile. Et encore, rien n’est moins sûr, la critique est facile… Car l’insertion des filles fonctionne nettement moins mal. On en revient encore aux problèmes spécifiquement familiaux d’autorité du père et d’égalité des sexes devant cette autorité. Ce qui est un problème purement culturel. Il faut admettre ceci : une famille transplantée en France mais qui continue de laisser libre cours à ses enfants mâles et qui ne fait preuve d’autorité qu’auprès de ses rejetons femelles, génère forcément des garçons qui vont se trouver en porte à faux vis-à-vis d’une société policée comme la nôtre…

Sans doute est-il trop tard maintenant pour éradiquer le problème. Mais au cas où la France déciderait de ne toujours pas sélectionner son immigration, peut-être devrait-elle mettre en place un accompagnement culturel à l’insertion familiale et culturelle (accompagnement des parents dans leur responsabilité éducative), en plus de méthodes pédagogiques spécifiques pour ne pas dire des classes particulières d’acculturation des enfants de l’immigration (des classes dans lesquelles ces garçons ne sont pas découragés par leurs semblables et les programmes). Mais en avons-nous les moyens ? 

Pierre Vermeren : Malheureusement cela va être difficile. Toute une génération de jeunes gens est déformée par la télévision et les réseaux sociaux. Le péril numéro 1 c'est l'accès à l'image. Puis c'est l'accès au discours idéologique. Dans un système de liberté, on ne voit pas comment interdire ni la télévision, ni les réseaux sociaux ni les messages cryptés. Alors bien sûr, la lutte doit se dérouler dans cet univers électronique. La vraie chasse vise les recruteurs potentiels, les faux imams, les agents dormants de l'Etat islamique. On a vu comment en 2 ou 3 mois, un gourou en Espagne a réussi à retourner une douzaine de jeunes et les a envoyés à la mort avec toutes leurs victimes. C'est ce genre de personnes qu'il faut tenter de détecter tous les policiers le savent... C'est ce genre de personnes qu'il faut expulser en priorité et sans état d'âme. Cela ne suffira pas. Il y en aura toujours qui passeront  entre les gouttes.  Il y a ceux qui s'autoradicalisent. Et le dernier volet est évidemment celui de la politique sociale et scolaire : comment notre école peut former des enfants capables d'agir de la sorte à la fin de leur cursus. C'est une vraie question pour nos pédagogues ! Sans parler du fait que notre société à est habituée au business criminel de banlieue qui est la couveuse a tous les drames.

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