Tempête de signaux contradictoires : mais comment va vraiment l’économie française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La France échappera-t-elle à la récession ?
La France échappera-t-elle à la récession ?
©JOEL SAGET AFP

Nuages sombres à l'horizon

Alors que les chiffres de la croissance sont meilleurs que prévus, ils cachent une réalité bien plus sombre.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Suite aux chiffres qui indiquaient une progression de 0,5 % de la croissance française au 2ème trimestre, Bruno Le Maire a salué "une performance remarquable de l’économie française", tirée beaucoup plus par les exportations (en hausse de 2,6 % par rapport au 1er trimestre) que par la consommation (- 0,4%). Ces chiffres indiquent-ils effectivement une bonne nouvelle ? Comment analyser ces données ?

Don Diego De La Vega : Un bon ministre de l’Economie devrait être quelqu’un d’exigeant qui pose des alertes et se comporter comme un patron, comme quelqu’un qui en demande plus et surtout qui ne passe pas son temps dans l’auto-satisfaction béate. Un bon patron de Bercy, au lieu de se féliciter de chiffres ponctuels trimestriels, devrait regarder les quelques dernières années et devrait surtout se focaliser sur les deux à trois prochaines années. Un bon ministre de l’Economie est quelqu’un qui aurait la lucidité de regarder l’énorme mur qui est devant nous à cause de l’augmentation de 500 points de base des taux d’intérêt de la BCE. Il devrait être capable d’anticiper ce qu’il risque d’arriver l’hiver prochain et le suivant. De nombreuses difficultés sont prévues sur le crédit, dans l’immobilier, le tout dans un contexte de dérives des finances publiques et de destruction de notre industrie Un bon ministre de l’Economie challengerait la BCE sur sa politique de taux d’intérêt et de taux de change et qui ne passerait pas son temps à s’auto-féliciter parce que l’on a créé quelques licornes licornes et parce que tels chiffres trimestriels sont meilleurs que prévu. Un bon ministre de l’Economie doit anticiper, proposer des initiatives et songer à l’avenir tout en sachant avoir un regard critique. Mais Bruno Le Maire est bien incapable de critiquer la BCE.

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Par rapport aux chiffres eux-mêmes, lorsque l’on a une croissance qui est essentiellement stimulée par l’export, cela est extrêmement fragile et ce n’est pas un bon signe. Les exportations sont volatiles, en particulier en France où ils sont mus par de gros contrats. Cela est d’autant plus temporaire que maintenant l’euro est très cher. Lorsque l’on souhaite lisser les choses et les rendre plus économiquement parlantes, on retire la contribution des exportations nettes et des stocks. Cela permet de se concentrer sur la demande agrégée (l’investissement des entreprises et la consommation des ménages). Cela permet alors de vérifier si l’économie va bien ou non. Il faut scruter les trimestres précédents mais également anticiper les trimestres à venir et qui ne sont pas très encourageants… Que l’on regarde la dépentification de la courbe des taux, les agrégats monétaires, les commandes dans les indices PMI… quelle que soit la technique retenue, il est évident que les trimestres à venir seront hostiles. La seule question est de savoir si cela va être mauvais ou catastrophique ? Pour avoir une idée juste de la situation réelle, il ne faut pas tenir compte des exportations sur ce genre de trimestres. La croissance française est un peu meilleure qu’en Allemagne et qu’en Italie. Car il y a une récession industrielle partout en Occident et particulièrement en zone euro et le poids du secteur industriel est très lourd en Allemagne. L’Italie est plus fragile par la chute de l’euro, le renchérissement des taux d’intérêt et par l’impact du cycle manufacturier. La France fait donc mieux que ces deux voisins mais cela n’est pas difficile car ils ont plus d’industries que nous.

La France a la particularité de rentrer parmi les derniers dans la récession. Mais la France sera la dernière à en sortir. Notre marché du travail s’ajuste moins vite. Et le poids de l’Etat et des services fait que nous sommes résilients au début mais notre rebond par la suite est beaucoup plus lent. Pour des raisons étatiques, structurelles et réglementaires, nous sommes plus lents à entrer en récession et plus lents à en sortir. Les Français seront parmi les derniers à entrer en récession l’hiver prochain et nous en sortirons parmi les derniers, vers la fin 2025.

- Des données de Standard & Poor's ont été publiées sur le PMI manufacturier et elles démontrent que la production manufacturière continue de chuter assez fortement (pour le 14e mois consécutif de baisse), avons-nous face à cela un problème majeur devant nous ? 

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Le PMI manufacturier français tombe à son plus bas niveau depuis mai 2020 en juillet (45,1 ; juin : 46,0), les entreprises signalant une forte baisse de leurs exportations et d'importantes réductions de leurs achats. 

Les chiffres officiels ne sont pas bons. Les chiffres avancés (les commandes, les enquêtes) sont encore moins bons. Et ils sont encore trop optimiste car ils ne tiennent compte que des volumes. Or la qualité est aussi très importante. Pour le cas de l’industrie automobile, ce qui est inquiétant n’est pas tant que l’on produise peu mais que l’on produise encore essentiellement des véhicules à moteurs thermiques. La part des véhicules électriques augmente mais de manière beaucoup moins rapide qu’en Chine. Nous sommes en train de nous faire disrupter sur toutes les technologies du futur. Et nous voyons nos contributeurs chercher des rabais temporels aux interdictions. Ce que l’on produit sera bientôt complètement prohibé en centre-ville. Il n’est pas possible de comparer les chiffres de production automobile avec la Chine car leurs volumes se portent mieux mais ce n’est pas du tout la même qualité. Il y a une augmentation de la qualité en Chine alors que cette évolution est plus lente en France. Si l’on prend en compte cette dimension qualitative, le constat est donc encore plus effrayant. Dans l’industrie, il est important de produire des éléments du futur. Nous avons une position dans l’échelle des valeurs qui se dégrade. Il y a donc une conjonction de problèmes structurels et conjoncturels.

- A quel point est-ce que la consommation française se porte mal actuellement ?

Pourquoi est-ce que les consommateurs seraient tentés de consommer aujourd’hui ? Il a été répété ad nauseam pendant des mois qu’il y avait un choc d’inflation. Il s’agissait surtout d’une dérive des coûts et d’une inflation statistique. Cela a évolué plus vite que l’augmentation de leurs salaires. Il n’y a pas eu de boucle prix-salaires. Lorsque vous avez des salaires qui augmentent de 2 à 3 % et que vous subissez une dérive des coûts de 5 à 6 %, cela vous freine dans vos perspectives de consommation. La charge fiscale des 400 milliards d’euros dépensés par Emmanuel Macron lors des quatre dernières années va revenir sur les citoyens et leurs enfants et les consommateurs le pressent. Les impôts ne baisseront pas et ils pourraient même augmenter, les gens s’en doutent. Et les perspectives pour la zone euro en 2024 et 2025 sont aussi hostiles. Le taux de chômage finira par remonter. Les salaires finiront par être comprimés. Ces difficultés font que les citoyens ne se précipitent pas sur la consommation.

De plus, une bonne partie de la consommation française est liée à l’immobilier. Mais les transactions ont ralenti. Cela entraîne donc une chute de la consommation.

Il y a également le poids des crédits. Beaucoup de Français ont acheté des voitures et de l’électroménager à crédit. Ces crédits étaient facturés à des taux proches de zéro. Maintenant, ils sont facturés à un niveau proche de 4. Il y a une restriction quantitative et qualitative sur le crédit. Cela ne peut aboutir qu’à un ralentissement des perspectives de consommation.

La consommation est relativement résiliente car elle ne s’effondre pas mais les tendances sont à la baisse pour les 18 prochains mois, et c’est tout à fait conforme à ce que voulait la BCE qui n’a pensé qu’à l’inflation.

Christine Lagarde a déploré qu’il n’y ait pas de croissance en Europe depuis un an et que cela n’allait pas s’améliorer. Il va sans doute y avoir une nouvelle hausse de taux. Le projet de la BCE est de laisser les taux le plus longtemps possible en phase cryogénique à un haut niveau. Certains pays se financent très chèrement or quand vous n’avez pas de perspectives d'augmentation du PMI nominal dans les deux prochaines années, ces taux deviennent très punitifs en réalité. Avec l’euro trop cher, cela devient un véritable frein.

- Plus structurellement, un graphique montre la trajectoire de consommation de biens des ménages avait décroché des prévisions qui avaient été faites depuis 2007 et que l’on ne s’en était jamais vraiment remis…

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(Dépenses de consommation des ménages en biens) Source : Nicolas Goetzmann

Depuis 2008, nous ne sommes jamais vraiment remis de la crise financière. L’économie française procède par paliers. A chaque crise, nous descendons d’un cran en termes de gain de productivité, de capacité de consommation... Puis cela se tasse avec un rebond très poussif. Avant une nouvelle crise, souvent suite à la politique de la BCE. Les conditions monétaires trop hostiles font perdre des capacités industrielles. Les conséquences de la crise de 2008 ne sont pas encore cautérisées. Le Covid et la situation post Covid ont entraîné une hausse des taux qui a autant d’effet qu’un sacrifice aztèque.

On a mené une hausse de taux non anticipée et très violente dans un pays où les anticipations étaient aibles. Il n’y avait aucune raison de monter les taux. Le marché a été obligé de suivre péniblement. Nous sommes dans une situation délicate du fait de l’hystérie des banquiers centraux. Cela fait un énorme contraste par rapport à nos concurrents japonais ou chinois qui n’ont pas monté les taux et qui bénéficient d’un avantage fabuleux.

Quid de ceux qui estiment que les chiffres de la croissance donnent tort aux « oiseaux de mauvaise augure » prédisant une récession ?

On peut tout à fait critiquer les oiseaux de mauvaise augure, il y en a, mais ils sont aussi critiquable que ceux qui sont déraisonnablement optimistes et on eu tort depuis 15 ans sur tous les sujets.

- La récession est-elle un scénario probable, plausible ou inévitable ?

Nous sommes déjà en récession. La zone euro a fait -0,1 au 4e trimestre 2022 et -0,1 au premier trimestre 2023. Cela fait un an qu’il n’y a plus de croissance. Et sur la même période les taux ont augmenté. Cela ne va donc pas s’améliorer. La récession manufacturière est évidente. Nous y serons encore plus dans six à douze mois.

La situation n’est néanmoins pas comparable à la situation de 2008 ou de 1993. Il n’y pas encore de spirale infernale avec une remontée des taux de défauts, des faillites bancaires ou un carnage sur le marché du travail. Mais toutes les conditions ont été remplies pour avoir une récession. Toutes les cases ont été cochées, notamment en termes de politique monétaire. Mais cette récession pourrait ne pas être trop importante. Il pourrait y avoir une absence de croissance sur les trois prochaines années en zone euro. Nous nous sommes mis dans une situation de vulnérabilité. Au moindre choc supplémentaire, le poids de la récession peut s’abattre.

- Entre le T4 2019 et le T1 2023 les salaires réels aux Etats-Unis ont progressé de 4,2 % et ont régressé de 2,5 % dans la zone euro, comment expliquer ce différentiel-là ?

Ces salaires sont mal calculés. Cette baisse est exagérée par les statistiques. Il est délicat de comparer les États-Unis et la zone euro car les gains de productivité ne sont pas du tout les mêmes, surtout depuis quatre ans.

Par ailleurs, il n’est pas possible de dire à la fois que la consommation est résiliente et tenir des propos apocalyptiques sur les revenus et les salaires. Le drame pour la zone euro est à venir. Il n’est pas sur les dernières années. La situation des finances publiques est compliquée. Il faudra bien payer les hausses de taux d’intérêt. Nous sommes partis sur des années de correction sur le marché du travail et pour l’immobilier.  La baisse est plutôt devant nous. Les nouvelles positives engrangées devront être retranchées dans les trimestres qui viennent. Cela préempte de la richesse à venir. Les nouvelles positives émanent toutes de la Chine. Elles concernent les exportations, les ventes de LVMH et de Hermès en Chine… Tout dépend donc du scénario chinois. Les sociétés qui performent ces dernières années sont CMA CGM, LVMH ou L’Oréal. Cela concerne le commerce chinois, le consommateur chinois et le producteur chinois. Cela s’appelle de la dépendance. Quand on n’est pas dépendant de Francfort, lorsque l’on ne se fait pas imposer 80 à 90 % de notre politique monétaire par des gens non élus et pas toujours compétents, ce qui nous reste dépend du scénario chinois. Dans ce cadre-là, il est donc indécent pour le ministre de l’Economie de se féliciter d’un chiffre très isolé par rapport au passé et par rapport à l’avenir. L’utilité marginale d’un ministre de l’Economie qui ne peut rien faire sur la monnaie et sur les grands curseurs devrait être de faire de la pédagogie sur l’épargne, sur la nécessité de faire une réforme de la réglementation dans de nombreux secteurs comme la construction immobilière, de la pédagogie sur les réformes à faire qui ne seraient pas uniquement des sadoréformes comme l’annulation des dettes. Au lieu de cela, Bercy, la Banque de France et certains experts passent leur temps à nous servir un discours lénifiant sur la croissance malgré la hausse des taux d’intérêt.

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