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Tempête autour d’un « Petit peuple des petits blancs » ou l’incroyable talent de la France pour se créer des polémiques qui la détournent du réel
©Capture BFMTV

Alain Finkielkraut

Alain Finkielkraut se retrouve encore sous le feu des critiques des "progressistes" toujours prompts à s'indigner à tort et à travers pour sa réflexion sur l'absence des "non-souchiens" durant l'hommage à Johnny Hallyday. Analyse.

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent, ancien élève de l’ENA, est professeur d’économie à Sciences-Po Paris. Il est l’auteur de Qu’est-ce que le conservatisme (Les Belles Lettres, 2016).

 

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Atlantico : Suite à l'hommage rendu à Johnny Hallyday, le philosophe Alain Finkielkraut a déclaré "Le petit peuple des petits blancs est descendu dans la rue pour dire adieu à Johnny, il était nombreux et il était seul."​ avant de préciser "Les non-souchiens brillaient par leur absence", et ai ainsi provoqué de nombreuses critiques.​ Au delà du caractère polémique de la déclaration d'Alain Finkielkraut, et en écartant le débat relatif ​aux​ intentions supposées du philosophe, n'est-il pas surprenant de vouloir refuser "à priori" le constat dressé, tout comme le fut​, en son temps,​ le constat fait par Emmanuel Todd concernant les manifestants du 11 janvier 2015 ​(dans une logique bien différente) ?

Jean-Philippe Vincent : Il existe une grande capacité en France à s’émouvoir de ce qui n’est en définitive qu’une suite de mots, présentant une certaine logique et aboutissant à une conclusion, évidemment discutable. Qu’on se rappelle l’incroyable tohu-bohu créé par la déclaration du général de Gaulle qualifiant le peuple juif de « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ». Pourtant, dans l’esprit de de Gaulle, des qualificatifs comme « peuple d’élite et sûr de lui » constituaient un éloge prononcé. Et même « dominateur » était probablement flatteur dans l’esprit du général. Tout cela pour dire qu’en France il est d’usage de surréagir à « ces suites de mots », dès lors que l’auteur est dans le collimateur des médias.

Revenons aux propos de Finkelkraut. Ils ne constituent pas selon moi un constat, mais ce qu’on appelle en anglais un « stylised fact », un fait stylisé. Au départ, il y a évidemment le fait de ceux qui assistaient aux funérailles de Johnny. Mais ce fait est stylisé au sens où il sert à esquisser un débat et à délivrer un message. Et ce message est : la France d’aujourd’hui et la France des années 1960 et 1970 n’ont rien à voir. Tout le monde en conviendra. Mais, la personne de Johnny, la durée de son succès, la persistance de sa popularité révèlent une chose qui est presqu’insupportable aux progressistes : avec la mort de Johnny, une certaine France est morte ou en passe de mourir. Or beaucoup ont la nostalgie de cette France et c’est l’un des messages de Finkelkraut, message odieux pour les progressistes.

Le problème de ces derniers est qu’ils sont incapable de faire la différence entre un constat (ou un « fait stylisé ») et un jugement éthique. Forts de leur « éthique » (laquelle est d’ailleurs un objet éthique non identifié) ils condamnent systématiquement tous ceux qui s’écartent un tant soit peu de leur doxa. Ceux qui ne font pas le même constat/jugement qu’eux sont forcément des « salauds », pour reprendre la terminologie sartrienne. Donc, Finkelkraut est un « salaud » (au sens de Sartre) parce qu’il conteste que le relativisme intégral qui sévit soit une bonne chose.

Que révèle ce refus d'un constat simple, qui pourrait pourtant être expliqué et justifié sans caractère polémique, de la société française actuelle ? De quoi ont peur ceux qui s'opposent à ce types de déclarations ?

Les progressistes qui s’opposent à Finkelkraut ont une idéologie sommaire qui tient en trois propositions : (i) Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ; (ii) Toute discrimination doit être prohibée car contraire au relativisme intégral ; (iii) L’histoire commence aujourd’hui, le passé est un obscurantisme. Voilà, en résumé, « l’opium » de l’intelligentsia progressiste, pour démarquer le grand livre de Raymond Aron. Ce sont les articles de la foi progressiste. Mais, j’insiste, ce sont des articles de foi, relevant d’une religion du progrès, et pas des convictions étayées scientifiquement ou logiquement. Ces articles de foi sont par nature « infalsifiables » pour parler comme Karl Popper : ils ne se prêtent pas à une réfutation logique. Mais cette rhétorique peut cependant être démasquée par l’ironie ou le ridicule, et aussi par le bon sens populaire. La suite de mots de Finkelkraut ridiculise les trois articles de la foi progressiste : l’histoire ne commence par aujourd’hui, c’est l’évidence ; les discriminations existent en fait et elles sont parfois légitimes; et tout ne va pas pour le mieux. Pour nos modernes Pangloss, c’est insupportable !

Qu'est ce que le débat politique et médiatique peut avoir à perdre d'un tel contexte ? 

Il existait, autrefois, de belles choses qui s’appelaient : liberté d’opinion et liberté de la presse. C’étaient des principes sacrés, pour lesquels on s’était battu au XVIIIe et au XIXe siècle. Au nom de ces principes, on tolérait des écarts du genre de ceux de l’Action Française qui n’hésitait pas à écrire dans les années 1930 que Blum devait recevoir 12 balles dans la peau, et dans le dos ! Mais l’expression était libre et quand on lit la presse ou les débats parlementaires de ces années, on est frappé par l’extrême liberté qui régnait. C’est que l’on savait que la liberté de la presse était l’un des plus sûrs soutiens de la démocratie. Or, les progressistes adorent leur idée du progrès mais ne souhaitent surtout pas en discuter. En fait, ils n’aiment pas la démocratie. C’est aussi simple que cela. Mon père m’a rappelé un jour le propos d’un de ses amis, professeur de droit, avocat, membre de l’Institut et progressiste notoire qui lui avait dit : « Le problème avec le peuple, c’est qu’il pue ». Johnny avait l’odorat moins sensible. Et les conservateurs aussi : leur confiance dans la démocratie vient de ce qu’ils sont convaincus que le bon sens est équitablement réparti et qu’il y a plus de bon sens dans le peuple que chez les courtisans progressistes qui habitent les médias.

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