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Tempête après tempête : faut-il se résigner à renoncer à une partie de nos côtes ?
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Guerre des éléments

Alors que la tempête Qumaira souffle sur la France, un article du Guardian affirme que les solutions défensives pour lutter contre la destruction des côtes britanniques ne suffiront pas et que le pays devra se résigner à abandonner une partie de son littoral à la mer.

Atlantico : Dans un article publié sur le Guardian (ici), l'éditorialiste Patrick Barkham affirme que les solutions défensives pour lutter contre la destruction des côtes britanniques ne suffiront pas et que le pays devra se résigner à abandonner une partie de son littoral à la mer à cause des tempêtes. Cette théorie tient-elle la route ? L'érosion est-elle une force inéluctable ?

Isabelle Thomas : De la Gaspésie à la Louisiane, de l’Angleterre au Portugal, les mêmes questions se posent à l’occasion du passage d’ouragans dévastateurs, de tempêtes hivernales déstabilisantes et récurrentes ou de nouveaux types d’agression des aléas «naturels» sur les côtes souvent très urbanisées. Comme le mentionnait Ray Burby après le passage de l’ouragan Katrina sur la Nouvelle Orléans en août 2005, ce type d’évènement apporte une opportunité de réfléchir à nos modes d’habiter et aux moyens que nous donnons à nos maires et nos citoyens pour comprendre l’évolution des territoires et s’adapter au mieux aux changements. S’adapter, anticiper, informer, conscientiser, voilà les outils incontournables dont devront se doter les municipalités afin de construire ou reconstruire des communautés viables. Avant de penser à des solutions aussi radicales que l’abandon du littoral, malheureusement parfois inéluctables, il est opportun de réfléchir à des alternatives. Par exemple, l’idée de lignes multiples de défense contre les ouragans permet en Louisiane d’utiliser non seulement des solutions défensives comme le renforcement des digues, mais aussi la reconstruction des milieux naturels, que ce soient les îles naturelles ou les marais et l’adaptation des bâtiments aux risques d’inondation. Dans un autre ordre d’idées, le consortium Ouranos au Québec sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques apporte des éléments de solutions par scénarios qui permettent aux communautés de choisir les alternatives les plus viables aux changements inéluctables sur les moyen et long termes.

Des questions restent en suspends. Qui va / doit payer pour le renforcement des digues, le remboursement des maisons détruites par les inondations, le re-développement des parcs naturels et marais ? Comment impliquer au mieux les populations dans les décisions prises ? Doit-on, peut-on continuer à assurer les bâtiments dans les zones inondables et comment ? Comment impliquer les populations touchées et prendre en compte leur vulnérabilité ? Quels niveaux de résilience pouvons-nous assurer dans le contexte des changements climatiques ?

Il s’agit de véritables responsabilités collectives qui doivent aboutir au développement de plans cohérents de protection et d’adaptation en prenant en compte les caractéristiques culturelles locales pour améliorer la résilience des communautés.

Luc Hamm : Il ne s’agit pas d’une théorie mais de faits établis. L’érosion est en effet inéluctable sur les prochaines décennies (prévisions à 50 voire 100 ans) sur un certain nombre de sites exposés à ce risque. Il y a déjà au Royaume Uni une politique de « Managed Realignment » qui vise à rendre à la mer certains sites conquis par le passé par la méthode de la polderisation.

La France est-elle menacée au même titre que la Grande Bretagne ou est-elle davantage protégée par sa géographie ?

Luc Hamm :Le littoral français est menacé par le même risque d’érosion côtière. Cela a conduit également le gouvernement français à développer dans le cadre du grenelle de l’environnement une stratégie nationale de gestion du trait de côte, sous titrée Vers la relocalisation des activités et des biens et publiée par le ministère de l’Ecologie en 2011.

La perception selon laquelle les risques climatiques augmentent est-elle une illusion ou correspond-elle à une réalité scientifique ?

Isabelle Thomas : Le dernier rapport du GIEC est très significatif quant à ses conclusions concernant les changements climatiques. Rappelons que les scénarios décrits sont souvent les moins alarmants. Cela étant dit, au delà de l’aléa climatique et du lot d’incertitudes qui lui est associé, réfléchissons aux communautés localisées dans les zones à risques : société vieillissante des pays du Nord, nouveaux lotissements et imperméabilisation du sol près des cotes, infrastructures essentielles, que ce soient des hôpitaux, des écoles, des casernes de pompiers ou encore des industries polluantes localisées dans des zones hautement vulnérables…

Arrêtons de nous voiler la face et attaquons nous aux problèmes sur lesquels nous pouvons agir. Les changements climatiques apportent de nouveaux types d’aléas auxquels les citoyens et municipalités doivent s’adapter et qu’il faut anticiper. Si la forme et la mesure exacte de ces changements peut être source de débat, la volonté politique d’accepter ces changements et de mettre en place des mesures efficaces pour protéger les populations est nécessaire quelque soit la localité impliquée. De la gestion de l’urgence à la prévention et la protection sur le long terme, c’est par la collaboration d’équipes pluridisciplinaires intégrant la participation citoyenne que les incertitudes se transformeront en opportunités pour renforcer la résilience.

L'erreur principale n'est-elle pas d'avoir construit n'importe où sans égard pour les zones à risque, connues pour subir des tempêtes régulièrement tous les 30 ans ?

Isabelle Thomas : La construction de solutions défensives peut entrainer le développement d’un faux sentiment de sécurité (Ray Burby mentionne le paradoxe du développement sécurisé). Ainsi dans le cas de la Nouvelle Orléans, après l’ouragan Betsy, l’argent fédéral sera non seulement utilisé pour renforcer les digues existantes mais surtout en construire de nouvelles. Il en résulte un développement urbain massif dans des zones supposément protégées et donc une augmentation considérable des pertes potentielles. Les gains liés aux taxes municipales de nouvelles habitations, le rêve d’avoir sa maison individuelle dans un nouveau lotissement qu’on croit « sauvé » des flots, la possibilité de souscrire à une assurance inondation fédérale en cas de catastrophe sont des exemples d’éléments qui peuvent inciter les municipalités et les citoyens à faire des choix qui conduiront au cauchemar en cas de catastrophe.

Les citoyens de Eastern New Orleans, par exemple, ont fait les frais en 2005 de ce type de stratégies. La plupart des bâtiments de ce quartier furent construits entre 1970 et 2000 sur des marais. Ils se retrouvèrent sous quelques mètres d’eau après le passage de l’ouragan Katrina. La création  de nouveaux espaces résidentiels et commerciaux devait entre autres permettre de rentabiliser les coûts de construction du système de levées. Cependant, en se développant toujours plus loin dans les anciens marais sujets à forte subsidence, et en se privant d’une zone de protection naturelle, l’agglomération a inexorablement accru sa vulnérabilité.

L’objectif est donc plutôt de considérer les villes comme des écosystèmes et de comprendre l’importance des milieux naturels ; les acteurs locaux peuvent alors trouver des solutions qui leur permettent d’anticiper les risques et les incertitudes.

Selon le Phil Dyke, conseiller pour l'association britannique de protection des sites d'intérêt collectif, spécialiste de la côte et de la mer, "Nous pensons que les défenses sont des structures permanentes, mais elles ne le sont pas. Même le plus ardent des ingénieurs en défense côtière reconnaîtrait qu'une telle structure a une espérance de vie de 50 ans". Les plans de réparation et de maintenance (digues et autres murs), très coûteux, constituent-ils un investissement raisonnable au regard de leurs effets mesurés ?

Isabelle Thomas :Les solutions se basant essentiellement sur la résistance aux aléas, comme les digues et les murs et non la résilience, comme la restauration des milieux naturels, montrent leurs limites à chaque catastrophe, que ce soit aux Etats-Unis, au Japon, au Canada ou encore en Europe. Ainsi, même quand le système semble très sophistiqué, les conséquences peuvent s’avérer désastreuses si il s’avère défaillant.

Le bilan établi par le corps des ingénieurs après l’inondation majeure de la Nouvelle Orléans démontre que les digues construites à des époques différentes avec des matériaux et des technologies variées ne constituent aucunement un système de protection efficace, surtout que la maintenance de ces structures était très fragmentée, tant technologiquement que financièrement. Des mesures de préventions ont été adoptées suite à l’ampleur du désastre. Renforcer les systèmes de protection existants, restaurer l’environnement et adapter les bâtiments et les communautés aux risques ont permis d’apporter des pistes de solutions innovantes et la reconstruction de quartiers plus viables.

Luc Hamm : En France aussi, les ingénieurs conçoivent les structures permanentes de défense côtière pour une durée de vie de 50 ans. Les coûts de maintenance varient selon les sites et peuvent être effectivement très élevés. C’est pourquoi le ministère demande une analyse couts-bénéfices (ACB) pour les demandes de subvention concernant la construction ou la maintenance de ces structures permanentes. Cette ACB doit permettre, dans chaque cas, d’évaluer si l’investissement proposé est "raisonnable" ou non.

Quels recours nous restent-ils pour espérer protéger nos côtes ? Quelles sont les méthodes les plus efficaces ? Faut-il s'inspirer de la nature en recréant des dunes de sable plutôt que des murs de béton ? Voire pratiquer le "retrait programmé", et "faire de la place pour la mer", en laissant l'eau atteindre des zones jusqu'ici protégée par des défenses pour mieux protéger d'autres zones ? Doit-on prendre modèle sur le National Trust et accepter les modifications inéluctables de la côte, pour s'y adapter, voire en tirer parti ?

Isabelle Thomas : La vulnérabilité des populations face aux risques augmente non seulement de part l’occurrence des événements extrêmes mais aussi la localisation accrue des enjeux de territoires urbains de plus en plus densément peuplés sur les cotes. Les tempêtes et inondations obligent à réfléchir aux solutions pour se protéger des aléas naturels et aussi pour limiter la vulnérabilité des quartiers en s’adaptant et en acceptant l’incertitude. Les choix ne peuvent être réfléchi que localement, en prenant en compte les types de populations exposées.

L’homme est attiré par l’eau. De nombreuses villes sont localisés près des littoraux et des rivières depuis des générations. Nous avons transformé nos écosystèmes, déstabilisé les cotes par des constructions tellement inadéquates que l’adaptation pose aujourd’hui des questions aussi cruciales que le "retrait Programmé". Dans d’autres contexte comme en Louisiane, les choix urbanistiques innovants et les programmes de financements de l’état ont permis à plusieurs habitants victimes non seulement de revenir, mais de reconstruire des bâtiments, voir des quartiers écologiquement plus viables. Quelque soient les solutions choisies, elles doivent constituer une opportunité pour accepter l’incertitude, utiliser le changement comme anticipation pour construite ou reconstruire des quartiers, des villages plus résilients, plus préparés aux futurs changements. Les programmes de financement doivent être pensés et viables sur le long terme. Ils impliquent une concertation entre les décideurs, une volonté politique claire, transparente et une participation citoyenne active.

Luc Hamm : Effectivement, on ne peut pas tout protéger. Par exemple l’immeuble du signal avec 78 logements à Soulac sur Mer a été évacué et tombera prochainement à la mer. Le retrait programmé fait partie intégrante de la stratégie nationale du trait de côte et des programmes expérimentaux sont en cours sur le sujet.

L’expérience anglaise est intéressante mais il y a en France des projets très innovants qui les intéressent beaucoup aussi. Il s’agit donc plutôt d’échanges scientifiques et de partage de bonnes pratiques et notamment tirer parti de la relocalisation pour restaurer les écosystèmes côtier.

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